Des financements en chute libre

Publié par Renaud Persiaux le 26.03.2012
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En chute libre. C’est ainsi que MSF a choisi de titrer son dernier rapport sur l’avancement des antirétroviraux. "En chute libre", "désengagement", "assèchement des financements", autant de mots qui revenaient sans cesse au cours des deux symposiums, l’un organisé par MSF, l’autre par Unitaid. Après les regards de Sophie (Seronet) et de Sabrina (Groupe sida Genève), c’est au tour de Renaud de revenir sur… les conséquences de cette "chute libre".
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Tout comme Médecin sans frontières (MSF), Unitaid a dressé un sombre tableau de la situation mondiale à l’orée de cette conférence francophone de Genève. Avec l’annulation du Round 11 du Fonds Mondial - son appel à propositions - c’est à un véritable assèchement des financements de la lutte contre le sida qu’on assiste. Un terrible coup d'arrêt après une décennie de progrès. La course à l'accès universel aux traitements est bel et bien interrompue.

15 militants camerounais poursuivis

Face aux difficultés qu’il observe dans son pays, et à "une indisponibilité croissante des soins", Fogué Foguito, de Positive Generation, au Cameroun, craint "un exode massif vers les pays qui ont encore accès aux soins". En 2010, les militants de Positive Generation ont manifesté pour rappeler le gouvernement camerounais à ses engagements de consacrer 15% de ses fonds à la santé (comme les pays africains s’y étaient engagés à Abuja en 2000). 15 militants avaient été arrêtés. Puis les charges avaient été abandonnées. Finalement, il y a deux semaines, certains militants font de nouveau l’objet de poursuites ; Ils encourent 6 mois de prison au minimum.

Henri Mukumbi d’AmoCongo, en République Démocratique du Congo (RDC), rappelle que sur 350 000 personnes vivant avec le VIH éligibles aux traitements en RDC, seulement 12% y ont accès. Une des plus basses couvertures en antirétroviraux et qui fait de la situation dans ce pays une "urgence humanitaire". L’assèchement des financements conduit à la stagnation du nombre de personnes mises sous traitement. Et l’augmentation du nombre de personnes que les soignants perdent de vue et ne revoient plus. Et enfin, cela conduit à la mise en place de tickets modérateurs. Tout cela "hypothèque l’initiative de zéro naissance sida", rappelle le militant.

Décentraliser, simplifier, traiter plus tôt

Pour Annick Antierens et Bruno Jochum de Médecins sans Frontières (MSF), il faut "décentraliser" et "simplifier" la prise en charge et "traiter plus tôt". Président de AIDES, Bruno Spire a insisté sur la nécessité d’utiliser le TasP comme argument politique pour plaider pour l’accès au traitement. "Il faut retenir dans le soin, ce qui implique une reprise en charge globale, une lutte contre la sérophobie, et devrait conduire à valoriser l’expérience de la vie et  à renforcer les communautés". Des communautés pour la pérennité desquelles Michel Sidibé, directeur exécutif de l’ONUSIDA, est inquiet. Sans argent, "le risque est que les associations perdent leur vitalité. Si c’est le cas, l'objectif 0 contamination sera impossible" à atteindre. Les enjeux sont nombreux, explique Michel Kazatchkine, ancien directeur du Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose : l’accès au traitement, mais aussi le coût des traitements, et des réactifs biologiques (les mesures de CD4 sont trop rares et trop chères, celles de charge virale encore plus rares et encore plus chères), les nouveaux accords de propriété intellectuelle mettent en péril les progrès passés, il faut enfin favoriser l’innovation  pour les nouveaux traitements.

Communautés de brevets : les négociations piétinent

Sur ce plan, les nouvelles ne sont guères plus enthousiasmantes, suggérait la présentation d’Ellen’t Hoen, directrice de la campagne de MSF sur l’accès aux traitements et la communauté de brevets (patent pool) qui vise à favoriser le développement de comprimés "deux en un" ou "trois en un" génériques. Après le seul accord de Gilead en juillet 2011, les négociations avec les autres laboratoires piétinent. Et encore l’accord avec Gilead est-il controversé car il exclut les pays intermédiaires – alors que 70% des personnes les plus pauvres vivent dans ses pays, selon Michel Kazatchkine. C’est ce qu’a dénoncé Hakima Himmich, de l’ALCS au Maroc, un pays qui rentre justement dans cette catégorie des pays écartés de l’accord. Et Johnson & J Johnson/Janssen a carrément fermé la porte à toute négociation ! Alors que la firme possède dans son portefeuille les molécules qui seraient les plus utiles au Sud. La Coalition Plus organise mardi une marché pour l'accès aux génériques qui ont permis de sauver la vie de tant de personnes.

Les plus vulnérables pourraient être négligés

Pour Yves Yomb, directeur de l'association Alternatives Cameroun, les enjeux sont "énormes" et il ne faudrait pas que les homosexuels passent à la trappe. Malgré la baisse des financements, il faut rappeler que "certains groupes sont plus à risques que d'autres et qu'il est important d'en tenir compte". Et Michel Sidibé, directeur exécutif d’ONUSIDA de revenir sur cet enjeu : "on nous accuse de promouvoir l'homosexualité, le commerce du sexe, l’usage de drogues. Alors qu’on promeut simplement la protection au sein de populations exclues des programmes".

En symposium et lors de l’ouverture, des hommages ont été rendus à Michel Kazatchkine, ancien président du Fonds mondial. Emmanuel Trenado, de la Coalition PLUS, a exprimé les revendications de la société civile : relancer le Round 11 (appel à proposition) dès maintenant afin de permettre aux pays du Sud de formuler la demande (afin de mieux évaluer les besoins), et lancer une conférence de reconstitution du Fonds mondial (appel aux pays donateurs) à mi parcours, avant la conférence IAS de Washington qui se tiendra en juillet prochain.

Se retrouver 10 ans en arrière

"La lutte contre le sida n’a jamais été facile, souligne-t-il. On a connu une période d’accalmie à partir de 2004-2005, jusqu’à fin 2010. C’est plus difficile pour nous tous maintenant. Mais nous restons mobilisés et comptons jouer notre rôle pour mettre un terme à l’épidémie".

Grands absents de cette conférence : les militants et collègues du Mali qui en raison du coup d’Etat n’ont pu faire le déplacement et partager leurs expériences.