Détention : quelles mesures ?

Publié par Chloé le Gouëz le 10.04.2020
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Politiqueprison

La surpopulation chronique des prisons françaises expose fortement les personnes détenues à un risque de contamination au Covid-19 avec, en miroir, une prise en charge sanitaire en milieu carcéral qui ne pourra pas répondre à la crise du fait de ses fragilités préexistantes. Depuis le début de la crise, plusieurs voix - celles des associations, celles de la contrôleure générale des lieux de privation et de liberté (Adeline Hazan), du Défenseur des Droits (Jacques Toubon), de la section française de l’observatoire internationale des prisons (OIP), du syndicat de la magistrature et du syndicat des avocats de France - se sont élevées pour demander à la ministre de la justice et au Président de la République « une libération massive des personnes détenues » et de plébisciter les aménagements de peine.

La loi instaurant l’état d’urgence sanitaire a autorisé le gouvernement à prendre des ordonnances pour aménager la procédure pénale. Celle-ci a été publiée le 25 mars dernier. Elle permet de faciliter l'aménagement des peines et adapte, notamment, les conditions de la garde à vue et de la détention provisoire. Ce sont donc des « mesures exceptionnelles » qui ont été prises ; certaines sont sujettes à critiques et controverses. D’ores et déjà, le syndicat de la magistrature et le syndicat des avocats de France ont exprimé de vives craintes quant au respect des droits des personnes au regard de plusieurs dispositifs qui remettent en cause les droits des justiciables (droit à un procès équitable, indépendance de la justice, principe du contradictoire). Pour un grand nombre d'acteurs-rices de la société civile, il ne « s'agit pas que l'état d'urgence sanitaire devienne le laboratoire de mesures restrictives en matière de libertés fondamentales qui s'inscrivent par la suite dans la durée ». À cet égard, le Défenseur des droits, la Contrôleure générale des lieux de privation et de liberté et le président de la commission nationale consultative des droits de l'Homme exhortent dans une tribune à « sauvegarder nos droits fondamentaux durant la crise sanitaire et sans oublier l'après ».

Les mesures exceptionnelles sont applicables jusqu’au 24 juin 2020, voire plus longtemps, si l’état d’urgence sanitaire est prolongé.

La garde à vue

L’ordonnance prévoit : la possibilité d’une intervention à distance de l’avocat, si l’officier de police judiciaire l’estime faisable ; la possibilité d’une prolongation de la garde à vue sans que la personne ne soit présentée devant un magistrat. Et, cette mesure concerne aussi les mineurs-es âgés-es de 16 à 18 ans.

La détention provisoire

L’ordonnance permet d’allonger les délais maximum de détention provisoire : une prolongation de 2 mois pour les peines encourues inférieure ou égale à 5 ans ; une prolongation de 3 mois pour les peines encourues supérieures à 5 ans ; une prolongation de 6 mois lorsqu’il s’agit d’une procédure criminelle.

L’aménagement de peine

L’ordonnance permet une simplification de certaines dispositions habituelles, telles que : la possibilité pour un-e juge d’application des peines de statuer sur les aménagements de peine sans la présence de la personne condamnée et de l’ensemble des parties ; la possibilité pour un-e juge d’application des peines de suspendre la peine d’une personne condamnée à condition que le procureur de la République émette un avis favorable et que la personne dispose d’un hébergement ; la possibilité de prononcer des aménagements de peine (réduction de peine, libération sous contrainte, par exemples) sans passer par la commission d’application des peines à la condition que le procureur de la République émette un avis favorable et que la personne dispose d’un hébergement.

L’ordonnance crée de nouveaux dispositifs

Une réduction supplémentaire de la peine de deux mois maximum mais il existe certaines limites. Ne peuvent pas y prétendre les détenus-es condamnés-es pour des faits de terrorisme, des infractions commises au sein du couple, ou ayant participé à « une action collective de nature à compromettre la sécurité des établissements ou à en perturber l’ordre ».

La possibilité d’une sortie anticipée pour des détenus-es majeurs-es condamnés-es à une peine inférieure ou égale à 5 ans et ayant encore deux mois ou moins de détention à faire. Là aussi, ne peuvent pas y prétendre les détenus-es condamnés-es pour des faits de terrorisme, des infractions commises au sein du couple, ou ayant participé à « une action collective de nature à compromettre la sécurité des établissements ou à en perturber l’ordre ».

La possibilité pour un-e juge de l’application des peines d’aménager les 6 derniers mois ou moins d’une peine d’emprisonnement en cours.

Ces mesures exceptionnelles sont applicables jusqu’à la fin déclarée de l’état d’urgence sanitaire prolongée d’un mois. Si l’état d’urgence sanitaire n’est pas allongé, ces mesures courent jusqu’au 24 juin 2020.