Deux épidémies pour le prix d’une !

Publié par Fred Lebreton et Bruno Spire le 08.03.2021
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ConférencesCroi 2021

Dimanche 7 mars 2021, 16 heures à Paris et Marseille. Nous aurions dû être à Chicago dans la ferveur et l’agitation d’un grand centre de conférences internationales mais, crise sanitaire oblige, c’est devant notre ordinateur avec un casque audio et une tasse de café, que nous avons suivi en direct la plénière d’ouverture de cette 28e édition de la Croi (Conférence sur les rétrovirus et les maladies opportunistes). Une plénière largement consacrée à la Covid-19, même si le VIH était présent dans chaque discussion et présentation, comme un écho à la fois proche et lointain du monde d’avant.

Dix fois plus de publications sur la Covid-19

Nous l’avons compris, le Sars-CoV-2 et ses variants vont rester longtemps dans nos vies et dans celle de la communauté scientifique qui lutte contre le VIH depuis 40 ans. C’est ce qu’a expliqué Sharon Hillier, microbiologiste de l’Université de Pittsburg (États-Unis) et co-présidente de la conférence, en ouverture de plénière : « Les États-Unis n’étaient pas préparés pour faire face à cette pandémie. La santé publique s’était détériorée au niveau de ses services au fil des années, la politisation des messages a été une catastrophe et la Covid-19 a aggravé les inégalités sociales de santé ».

Les réponses à cette nouvelle pandémie ont largement été apportées par la communauté scientifique issue de la lutte contre le VIH (chercheurs-es, cliniciens-nes, professionnels-les de santé publique, etc.) et Sharon Hillier explique que, du jour au lendemain, ces experts-es du VIH ont été mobilisés-es sur ce nouveau virus. Elle parle de leur « résilience »  à continuer à travailler en parallèle sur les deux virus et de la difficulté de cette édition de la Croi pour trouver un équilibre entre les présentations consacrées aux deux virus. Elle constate que cette année il y a eu 6 600 publications scientifiques sur le VIH et 64 000 sur le Sars-CoV-2, soit dix fois plus ! Au final, les organisateurs-rices ont décidé de consacrer la moitié des discussions et un quart des abstracts au Sars-CoV-2.

Plaidoyer pour un vaccin universel

Après cette courte introduction, la conférence s’est ouverte sur une discussion passionnante entre deux activistes de la lutte contre le VIH, Gregg Gonsalves (professeur à l’Université de Yale et ancien membre d’Act Up New-York) et Fatima Hassan (avocate, Afrique du Sud). Durant cette session intitulée : « Le nationalisme vaccinal nous tue : comment les inégalités dans la recherche et l’accès aux vaccins du Sars-CoV-2 vont faire durer la pandémie », les deux activistes ont comparé les difficultés d’accès aux antirétroviraux (ARV) dans les années 90/2000, et notamment dans les pays du Sud, avec la situation actuelle autour de l’accès aux vaccins anti-Covid-19. Les ARV ont été freinés au Sud par le déni du gouvernement Sud-Africain et l’avidité des compagnies pharmaceutiques, explique Fatima Hassan. L’histoire se répète, puisqu’aujourd’hui les politiques de santé nationales sont dans un chacun pour soi avec peu de vaccins disponibles pour les pays du Sud. « Une fois encore, ce sont les personnes les plus vulnérables qui n’ont pas accès aux vaccins et qui sont en bout de file d’attente et la recherche n’est pas partagée », déplore Fatima Hassan.

Gregg Gonsalves dénonce, lui, à la fois le nationalisme vaccinal, mais aussi les inégalités d’accès aux vaccins à l’intérieur même des pays. Des inégalités qui reproduisent ce que les États-Unis ont déjà connu avec l’épidémie de VIH/sida. « Le président Reagan a mis sept ans avant de prononcer le mot : sida », dénonce le militant. Et pour cause, l’épidémie de VIH/sida touchait principalement ce qu’on appelait à l’époque « les 4 H » (Homosexuels masculins, Hémophiles, Héroïnomanes, Haïtiens-nes). Le VIH, comme la Covid-19, ont mis en évidence les inégalités entre Blancs et Noirs aux États-Unis. Les chiffres sont, sans appel, les personnes noires et hispaniques sont moins vaccinées que les personnes blanches. Ce sont ces mêmes populations qui sont les plus touchées par le VIH aux États-Unis.

Des mécanismes de solidarité comme Covax (1) ont été mis en place, notamment grâce à la pression des scientifiques qui viennent de la lutte contre le VIH car il n y a pas eu de volonté politique de partage des vaccins Covid-19 par les « pays développés à économie de marché » (2). Cependant Covax manque de transparence et les inégalités d’accès demeurent. On estime que seules 27 %, au mieux, des populations vulnérables pourraient être vaccinées avant septembre 2021, dans les pays du Sud. Le monde se replie sur un nationalisme sanitaire notamment vaccinal. À ce rythme, il faudrait au moins trois à quatre ans avant d’arriver à contrôler la pandémie et la conséquence de ce retard, c’est le risque d’aggravation de la pandémie et l’apparition de nouveaux variants.

Pour Gregg Gonsalves, il faudrait tout recommencer à zéro maintenant pour produire des vaccins pour tous-tes à l’échelle mondiale. De nombreux-ses scientifiques estiment qu’il y a la capacité de produire beaucoup plus de vaccins, notamment pour les vaccins à ARN messager (ARNm). Pour cela, il faut remettre en cause les brevets déposés par les compagnies pharmaceutiques et exiger des gouvernements qu’ils jouent leur rôle de régulation. Ce n’est pas seulement une question morale, mais une question sanitaire mondiale, insiste Gregg Gonsalves. On ne se débarrassera pas de la Covid-19 sans une réponse mondiale que pourrait coordonner le président américain Biden, par exemple.

Pour Fatima Hassan, les compagnies pharmaceutiques « jouent à Dieu ». « Que se passera-t-il lors de la prochaine pandémie, si nous n’agissons pas maintenant ? » demande l’activiste sud-africaine avant de conclure sur une formule choc : « Pas d’apartheid vaccinal ! ».

En parallèle de cette discussion, Gregg Gonsalves a fait une proposition intéressante sur le « chat » qui permettait aux personnes inscrites à la conférence de discuter en direct : « Si vous voulez lutter contre le nationalisme vaccinal, peut-être que nous avons besoin d’une déclaration Croi 2021 comme il y a eu la déclaration de Durban pour un accès universel aux ARV en 2000 ». Proposition qui a généré des réponses enthousiastes sur le chat. À suivre donc.

L’espoir d’un vaccin « pan Covid-19 »

La seconde présentation de cette plénière d’ouverture était signée par Pamela Bjorkman, professeure de biologie à l'Institut de technologie de Californie (États-Unis). Une présentation très technique sur la neutralisation des protéines d’enveloppes virales, durant laquelle la biochimiste a expliqué que les spicules à la surface du VIH sont plus rares qu’on pensait. De cette découverte, Pamela Bjorkman a tiré une revue des travaux de biologie structurale qui permettent une nouvelle stratégie vaccinale qui pourrait être utilisée à la fois pour le VIH et pour le Sars-CoV-2. Certains anticorps pourraient être utilisés en prévention pour un vaccin, d’autres pour un traitement. Certains anticorps ne fonctionnent plus pour les variants du Sars-CoV-2, mais une application est capable de prédire l’efficacité des anticorps et s’ils se fixent sur l’enveloppe en fonction de la séquence du variant. Il serait donc possible de générer un vaccin à base de nanoparticules pouvant neutraliser toutes les souches de Sars-CoV-2 qui pourraient passer des animaux à l’humain. Ce vaccin « pan Covid-19 » a besoin d’être évalué et testé sur l’humain, mais il constitue un espoir pour les années à venir.

Une présentation très scientifique, donc, mais avec en fond, un message presque philosophique : les nombreuses années de recherche dans le VIH nous permettent aujourd’hui d’avancer plus rapidement dans la recherche vaccinale contre le Sars-CoV-2. Une façon de plus de lier ces deux virus qui mobilisent tant la communauté scientifique.

Tirer les leçons du VIH

A-t-on vraiment besoin de présenter Anthony Fauci, cet immunologue américain expert du VIH depuis le début des années 80, que tout le monde a vu à la télévision en train de tenter de garder son sang-froid lors des conférences de presse granguignolesques de Donald Trump sur la Covid-19 ? C’est celui qu’on surnomme la rock star de l’infectiologie qui a conclu cette plénière d’ouverture de la Croi 2021 avec une présentation passionnante sur les leçons à tirer de la lutte contre le VIH pour la pandémie de Covid-19.

Quelques chiffres d’abord pour contextualiser. En 40 ans d’épidémie, le VIH/sida a infecté plus de 76 millions de personnes dans le monde et causé plus de 32 millions de décès. En un an, le Sars-CoV-2 a infecté près de 115 millions de personnes et causé 2,5 millions de décès. Du jamais vu depuis la grippe espagnole en 1918.

On trouve beaucoup de points communs entre les deux épidémies comme le rôle déterminant des cas asymptomatiques pour la transmission. En effet, 59 % des transmissions de Sars-CoV-2 viennent de personnes asymptomatiques et nous le savons les infections à VIH aujourd’hui ont lieu principalement du fait de personnes qui ignorent leur séropositivité. Autre point commun, les deux épidémies exacerbent les inégalités et touchent davantage certains groupes que d’autres, comme les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes et les personnes noires pour le VIH et pour la Covid-19, les personnes à faibles revenus ou les minorités ethniques (en particulier issues des communautés noires et hispaniques aux États-Unis).

Anthony Fauci est revenu sur l’engagement des communautés les plus touchées dans la recherche VIH grâce à la lutte activiste et l’engagement communautaire dans la recherche clinique qui, selon lui, a été reproduit dans la recherche vaccinale liée à la Covid-19 aux États-Unis. Il met également en parallèle le rôle important des interventions thérapeutiques dans le VIH avec le Tasp, la Prep et les anticorps monoclonaux efficaces en prévention du VIH. Une méthode qui s’applique à la Covid-19 avec des anticorps monoclonaux qui évitent 80 % des infections en préventif.

En ce qui concerne le vaccin, celui qui dirige depuis 1984 le centre de recherche du département américain de la santé en maladies infectieuses, admet que la mise au point d’un vaccin efficace contre le VIH demeure un défi, mais la recherche a beaucoup progressé notamment en faisant travailler différents-es chercheurs-es de façon multidisciplinaire. Ces travaux ont profité à l’ensemble de la recherche vaccinale contre différents virus, et bien sûr aux vaccins contre le Sars-CoV-2 en établissant la structure de la protéine spike aujourd’hui à la base de la majorité des vaccins anti-Covid-19.

Anthony Fauci a poursuivi sa démonstration avec le concept d’efficacité contre efficience valable pour les deux virus. Il prend l’exemple de la Prep qui est très efficace pour protéger du VIH mais peu efficiente dans la vraie vie à cause d’une sous-utilisation et des disparités d’accès entre personnes blanche et noires, par exemple. Même constat en ce qui concerne l’accès inégal aux vaccins contre la Covid-19.

Last but not least, le déni dans les deux épidémies : Anthony Fauci a évoqué les théories de Peter Duesberg dans les années 1990 qui refusait de croire que le VIH était la cause du sida (3). Des théories qu’il met en parallèle avec les discours complotistes anti-Covid et anti-masques, exacerbés par le pouvoir de nuisance des réseaux sociaux et les fake news, dans une allusion directe à Donald Trump et ses théories fumeuses.

« Nous avons écouté les activistes de la lutte contre le sida. Nous avons appris d’eux et les choses se sont améliorées. Nous avons créé un nouveau paradigme autour de l’engagement communautaire qui est maintenant appliqué à la Covid-19. Espérons que les leçons apprises à la fois du VIH et de la Covid nous aideront concrètement à faire face à de nouvelles épidémies à venir,  qui sont inévitables », a conclu Anthony Fauci. Nous l’espérons aussi.

(1) Covax (Covid-19 vaccines global access) est une initiative ayant pour but d'assurer un accès équitable à la vaccination contre la covid-19 dans 200 pays.
(2) : Les pays développés à économie de marché (PDEM) sont des pays où la majorité de la population accède à tous ses besoins vitaux, c'est-à-dire l'accès à un logement décent, à l'eau potable, à la santé, à l'éducation et à la nourriture.
(3) : Professeur de biologie moléculaire à Berkeley, Duesberg est notamment connu pour un livre : L’invention du virus du sida, édité en France, il y a plusieurs années.



Commentaires

Portrait de Butterfly

Hello

Interressant l'article j'ai comme vous le sous entendez si bien , qu'on revient au même discours 40 ans aprés que le vih continue a progresser - les pays en difficulté pour obtenir des traitements et hop pour le COv idem no vaccin ou médicaments 2 poid 2 mesure et toujours pour les contaminations les plus défavorisés touché par le vih ou le covid ptin de merde .... triste tout ça et c'est pas fini les virus en profitent pour se muter comme pour le vih ou tout autre virus .... d'ou les traitements différents pour chacun d'entre nous ou le nombre de prise ... moi depuis 85 ral le bol du vih qui me fatigue blablabla toutes les maladies oppornistes car on est + fragiles et les maux sont X/2 voir + - les cancers rapide qui s'inscrustent partout partout a tout age faut le dire - Bref GOOD LUCK AUX SCIENTIFIQUES ET A NOUS .