Drogues : 70, une loi très dépassée

Publié par jfl-seronet le 03.07.2012
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Le débat citoyen organisé le 30 mai dernier à Bordeaux par les militants de AIDES sur la loi de 70 a permis de recenser les raisons (elles ne manquent pas) d’abroger cette loi qui mise tout sur la répression. Ce soir-là, des candidats aux législatives ont fait part publiquement de leurs positions sur la dépénalisation ou la légalisation. Seronet était là. Reportage.
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Alors qu’en pensent les autres invités politiques de ce débat citoyen ? Pas facile d’enchaîner après le député-maire de Bègles dont on connaît les positions progressistes depuis sa candidature à la présidentielle en 2002. Il avait alors expliqué sa vision politique des drogues depuis une rave party, sur le stand d’une association de réduction des risques qui faisait du testing de drogues à des fins préventives. Pas facile non plus parce qu’avant l’intervention du député écologiste, c’est Cathy, militante à AIDES, qui s’est exprimée. Longuement, à mots choisis et formules bien senties, elle a déroulé, très émue, son parcours. Elle a surtout montré les impasses de la répression. "Ma vie aurait pu être bien différente si la loi du 31 décembre 70 avait été réformée, et l’usage de drogues dépénalisé", affirme-t-elle. Cathy parle de ses débuts avec l’héroïne lorsqu’elle avait 17 ans et demi, c’était en 1983 ; de ce qui s’est  passé par la suite. Elle explique aussi : "Aujourd’hui, je consomme peu et à des fins thérapeutiques. Car contrairement à ce que pense la plupart des gens, on peut être sorti de la toxicomanie, de la dépendance, et consommer occasionnellement. J’ai eu un cancer il y a trois ans. Les médecins préfèrent que je fume mon cannabis et mon opium pour lutter contre la douleur et les effets indésirables. Si aujourd’hui je vais en prison parce que je consomme pour vivre mieux avec mon VIH et mon cancer, j’arrêterai volontairement la trithérapie et je ferai appel à une grève générale des personnes séropos incarcérées pour usage de stupéfiants par le biais des associations et de mon avocat". Evidemment, ça laisse sans voix… et puis la nature politique reprend le dessus.
 
Des soupirs… bien entendus !
Des experts en tribune, des militants dans la salle, tout cela invite à jouer les modestes, surtout lorsqu’on ne maîtrise que de très loin le sujet. C’est cette posture de modestie que choisit Vincent Feltesse, le suppléant de Michèle Delaunay. Comme elle est ministre, c’est lui qui désormais siège au palais Bourbon. Elle est médecin, lui pas. Elle s’intéresse aux questions de santé, domaine dont le président de la communauté urbaine de Bordeaux n’est guère familier.

"C’est un débat complexe… dont les termes sont à mesurer au trébuchet", explique-t-il. Vincent Feltesse en reste aux réponses de François Hollande dans son interview sur Seronet en mars 2012. Il se dit d’accord avec l’ouverture d’un débat pour "revisiter la loi de 70". D’accord aussi pour "redonner toute leur place aux politiques de prévention" et pour "offrir la possibilité aux collectivités locales qui le souhaitent d’expérimenter les salles d’injection supervisée". Jusque-là tout va bien. L’accroc vient avec la légalisation. "Il n’y aura pas d’ouverture sur la légalisation des drogues", indique Vincent Feltesse, soit la stricte position de François Hollande. L’accroc s’agrandit avec la suite : "La nécessité de l’interdit doit demeurer". Dans la salle, il y a des soupirs… de découragement. Vincent Feltesse semble avoir compris le message…  Il donne le sentiment dans la suite de ses interventions d’avoir connu sa révolution copernicienne personnelle sur la question des drogues. D’ailleurs, il s’engage à parler à ses collègues, au Parti Socialiste des revendications qu’il a entendues.
 
IN TER DIT !
L’interdit. Le fameux argument de l’interdit. Olivier Doubre, journaliste, spécialiste des drogues, auteur d’ouvrages sur le sujet et invité du débat citoyen, l’a souvent entendu. C’est l’argument fourre-tout censé être imparable. "On voit bien que l’interdit ne fonctionne pas", assène-t-il. "Il faut préciser de quoi l’on parle. La France a ratifié des conventions internationales qui interdisent de légaliser les drogues. La question n’est donc pas de savoir s’il faut ou pas légaliser toutes les drogues puisque nous nous sommes engagés à ne pas le faire, mais de savoir s’il faut ou pas dépénaliser l’usage", explique Olivier Doubre. Pour lui, c’est clairement oui ! Il faut dépénaliser l’usage et la détention à des fins de consommation personnelle. "Cela peut paraître naïf, dangereux à certains, mais la dépénalisation de l’usage est la première grande mesure prise par les pays qui ont su trouver une réponse adéquate en matière de drogues", affirme-t-il. Un exemple, on compte plus de jeunes consommateurs de cannabis en France qu’aux Pays-Bas… et aucun rapport avec la taille de la population. "La loi de 70 empêche en grande partie de faire des actions de prévention", note-t-il. "Elle interdit même de parler des drogues… un peu à la manière de la loi de 1920 qui sanctionnait le fait de parler de l’avortement. La France a un énorme retard. Cela pousse à mettre des gens en prison. En 2005, 5 000 personnes ont été placées en détention pour simple usage, plus de 9 000 en 2009. Citons l’exemple des Etats-Unis où  30 millions de personnes sont passées par la case prison. Dans le monde, 50 % des personnes en prison le sont pour le seul usage de drogues. La prison détruit des vies", lance Oliver Doubre. Il rappelle que d’autres choix peuvent être faits, ceux du Portugal par exemple. "On y a dépénalisé l’usage et la détention de produit jusqu’à 10 jours pour consommation personnelle. Cela a permis de faire diminuer l’épidémie de VIH et de faire stagner celle de l’hépatite C".
 
Tous des malades !
Fabien Robert (MoDem) est maire adjoint à la mairie de Bordeaux et est également venu pour l’occasion porter la parole de Nicolas Florian, candidat UMP aux législatives (Nicolas Florian qui a perdu le 17 juin contre Michèle Delaunay). Fabien Robert s’intéresse à la lutte contre le VIH/sida et aux toxicomanies dont il connaît les enjeux (notamment comme vice-président des Elus locaux contre le sida). Il est partisan de la politique de réduction des risques et soutient l’expérimentation à Bordeaux des salles d’injection supervisée. Il sait argumenter, se montrer progressiste sur certains sujets et pas sur d’autres. Il est opposé à la légalisation et soutient, sous conditions, une révision de la loi de 70. Manifestement très à l’aise en public comme sur ce sujet, il n’échappe pourtant pas au dérapage classique. Celui qui fait dire que "les drogués sont des malades". Coup gagnant dans l’assistance et auprès de Christian Andréo, directeur des Actions nationales et de la Communication de AIDES, qui, lors de sa première intervention, a expliqué qu’il était lui-même consommateur. "Attention aux raccourcis. Je suis drogué, mais je ne suis pas un malade comme vous dîtes", lance-t-il. Cela ne m’empêche pas d’être un bon père de famille, d’exercer pleinement mes responsabilités et d’occuper un poste qui nécessite de réfléchir". Sourires dans le public et blanc en tribune. "C’est toujours étonnant ces raccourcis où lorsqu’il s’agit de consommateurs victimes d’inégalités sociales notamment en matière de santé on voit les gens comme des malades et que cela ne s’applique jamais aux présentateurs télé qui tournent à 5 grammes de coke par jour".
 
Le bedo joue perso !
Le débat se poursuit sur les interdits qui feraient sens ou le sans interdit. On entend des formules comme : "L’interdit ne protège pas… si c’était le cas, ça se verrait !" Dans la salle, on argumente, fort de son expérience militante, de son expérience de consommateur, parfois des deux. Un consensus se dégage sur l’intérêt d’une dépénalisation de l’usage, la nécessité d’expérimenter des réponses innovantes… éprouvées à l’étranger. Et puis s’affirme aussi l’idée qu’il y a un risque à ce que la question des drogues ne soit abordée que sous l’angle de la dépénalisation du cannabis. Il est là le point de faille qui risque de bloquer les avancées. D’abord parce qu’il ferme le débat, impose des réactions caricaturales et des points de vue inconciliables. Et puis, il faut admettre que, très souvent, les partisans de cette dépénalisation jouent très perso, trop. Ils entendent consommer, détenir et si possible produire en toute liberté. Et peu importe ce qui se passe avec les autres produits, d’autres consommateurs. Or la question et les enjeux de la politique en matière de drogues ne se résument pas à cela. Le débat de Bordeaux en est une preuve de plus !

Ce reportage a été réalisé lors du débat citoyen organisé par AIDES le 30 mai dernier à Bordeaux. Tous nos remerciements aux militants de AIDES en Gironde pour avoir permis la réalisation de ce dossier.