Drogues : en manque de soutien !

Publié par jfl-seronet le 24.06.2022
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Produitsdrogues

Le 26 juin, se tiendra la journée internationale Support don’t punish (Soutenez, ne punissez pas) qui défend une autre politique des drogues. Cette année, l’événement mondial est conçu comme un contre-événement à la « Journée mondiale de lutte contre l'abus et le trafic de drogue » des Nations unies. Explications.

Support don’t punish mobilise !

De nombreuses associations de santé, dont AIDES, prennent des initiatives à l’occasion de l’événement mondial Support don’t punish (Soutenez, ne punissez pas). Cet événement annuel, créé en 2013, par IDPC (International drug policy consortium), vise à lancer un débat autour des politiques publiques en matière de drogue. Il a aussi pour objectif de placer la santé des personnes usagères au cœur du débat et des politiques d'avenir en matière de consommation de produits psychoactifs. C’est, par exemple, ce que compte faire un collectif de trois associations : le collectif Orange bleue, le Pare-à-Chutes et AIDES. Elles se sont investies, à l’occasion du 10e anniversaire de cette campagne mondiale dans un événement qui se déroulera dimanche 26 juin, place Hoche à Rennes (métro Sainte-Anne). Est prévu au programme : divers ateliers autour des salles de consommation à moindre risque (SCMR), l'analyse de produits, l'approche par la réduction des risques (RDR) comme politique de santé publique. On y verra également une exposition photo réalisée au Caarud (centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues) du Morbihan. Seront aussi proposés : un espace de prévention en milieu festif, des dépistages rapides par Trod pour le VIH et les hépatites virales B et C, ainsi qu'un espace documentaire. Cet événement est ouvert à toutes et tous. Un coin enfants animé est également prévu pour permettre aux parents-es de participer aux ateliers ! Le site de la fédération Addiction fait le point sur cet événement et recense diverses initiatives.

Asud, association fondée en 1992 qui a pour objectif de changer l’image des usagers-ères de drogues dans la société, organise (le 26 juin) dans ses locaux et sur sa chaine YouTube un live de 14 heures à 20 heures. Trois documentaires seront diffusés suivis de plateaux en direct pour discuter, commenter, réagir. Marie Öngün-Rombaldi, déléguée générale de la Fédération Addiction, y interviendra pour le Collectif pour une nouvelle politique des drogues.

Comme chaque année, il est proposé de participer au projet Photo ; soit une « pétition photo ouverte », en direct et en constante évolution, avec déjà plus de 10 000 entrées. Les clichés mettent en avant des plaideurs-ses, des usagers-ères de drogues, des responsables gouvernementaux et des Nations unies, des célébrités et plus encore, tous-tes unis-es par le même message : « Soutenez. Ne punissez pas ». Prenez-vous en photo avec le logo Support. Don’t Punish et partagez la sur les réseaux sociaux en taguant @FedeAddiction avec le hashtag #SupportDontPunish.

Autre « Journée », autre vision

C’est en décembre 1987 que l'Assemblée générale des Nations unies a décidé de célébrer une « Journée internationale contre l'abus et le trafic de drogues ». Elle vise à « renforcer l'action et la coopération aux échelons national, régional et international dans le but de parvenir à une société affranchie de l'abus des drogues ». Comme on le voit, c’est une approche très différente. L’objectif n’est d’ailleurs pas d’avoir une autre politique des drogues, ni même d’ouvrir un débat à ce propos, mais bien de « renforcer la sensibilisation au grand danger que sont les drogues illicites pour notre société ». C’est ainsi que la journée est présentée sur le site des Nations unies par l’ONUDC (Office des Nations unies contre les drogues et le crime), la filiale « drogues » de l’Onu. Bien sûr, l’organisme international affirme « lutter pour protéger le droit à la santé des plus vulnérables, notamment pour les enfants et les jeunes, les personnes qui consomment des drogues, celles qui souffrent de troubles liés à cette consommation, et celle qui ont besoin d’accéder à des médicaments réglementés ». Mais le message politique, notamment en cette période de crise, est d’appeler les pays à prendre des mesures d’urgence. Pour cela, l’ONUDC s’appuie sur les données de son rapport mondial sur les drogues. Composé de cinq brochures distinctes, ledit rapport fournit une « analyse approfondie des marchés mondiaux de la drogue » et dresse « un tableau complet des effets mesurables et de l'impact potentiel de la crise de la Covid-19 sur le problème mondial de la drogue ». Le document entend surtout « favoriser une plus grande coopération internationale pour contrer l'impact du problème mondial de la drogue sur la santé, la gouvernance et la sécurité ». Un prisme particulier qui alimente une approche qui met souvent (trop) en avant les aspects répressifs aux dépens de l’approche en santé. Reste qu’on ne peut pas dire que l’objectif de santé est absent de la démarche onusienne et pas seulement dans le choix du slogan de cette journée 2022 : « le soin en temps de crise » qui est d’ailleurs le titre d’une campagne : #LeSoinEnTempsDeCrise.

Données, c’est donner !

L’offre et la consommation de drogues avaient légèrement freiné en 2020 du fait de la crise sanitaire liée à la Covid-19. Elles sont revenues en 2021 à leur niveau élevé d’avant la pandémie, prévient l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (EMCDDA) dans son rapport annuel. C’est toujours une curiosité, mais le rapport se fonde, pour une part, sur l’analyse des eaux usées, dans lesquelles on retrouve des restes des substances considérées comme drogues. Leur présence et leur niveau donnent des indications sur la consommation. Le rapport 2022 porte sur l’analyse des eaux usées de 75 villes de 25 pays (23 de l’Union européenne, plus la Turquie et la Norvège), explique l’AFP. Les résultats révèlent une « augmentation globale des détections » de cannabis, de cocaïne, d’amphétamines et de métamphétamines. L’ecstasy (et son principe actif, la MDMA) est la seule drogue « pour laquelle les résidus ont diminué dans la majorité des villes étudiées », peut-être car les boîtes de nuit de nombreux pays étaient toujours fermées au printemps 2021 lorsque cette vaste étude a été réalisée, avancent les auteurs-rices du rapport. Le cannabis reste de loin la substance la plus consommée, « plus de 22 millions d’adultes européens ayant déclaré » en avoir pris en 2021, selon cette source. Suivent la cocaïne (3,5 millions) la MDMA/ecstasy (2,6 millions) et les amphétamines (2 millions). L’offre de drogues « reste élevée dans l’ensemble de l’UE » et dépasse même « les niveaux d’avant la pandémie » pour la cocaïne, indique le document. « Cet indicateur et d’autres suggèrent qu’à l’heure actuelle, rien n’indique que la tendance à la hausse de la disponibilité de cette drogue, observée ces dernières années, ait changé » estime l’Observatoire.

D’une manière générale, « les drogues classiques n’ont jamais été aussi accessibles et de nouvelles substances fortement dosées continuent d’apparaître », s’alarme le rapport. En 2021, 52 nouvelles drogues ont « été signalées pour la première fois », dont « 15 nouveaux cannabinoïdes de synthèse ». Le rapport 2022 s’inquiète de l’augmentation de « cathinones de synthèse » (six nouveaux détectés), sortent de mélange entre cocaïne, MDMA/ecstasy et amphétamines. Les deux plus répandues sont le « 3-MMC » et le « 3-CMC », qui peuvent être vendus légalement et sont détournés à des fins récréatives.

La politique des drogues : un sujet politique

À l’occasion des élections présidentielle et législatives 2022, AIDES a mené campagne sur ses revendications concernant la lutte contre le VIH/sida et les hépatites virales et le soutien aux personnes qui vivent avec ou qui y sont plus particulièrement exposées. Une des champs de réflexion a porté sur le besoin de changer la politique des drogues. À l’occasion de cette longue séquence politique qui a vus s’enchaîner deux élections, il faut bien se rendre à l’évidence : aujourd’hui, les enjeux d’accès aux soins, à la prévention et à la santé des personnes consommatrices de drogues ont été absents du débat public. Focalisés-es sur la lutte incessante contre la drogue, les différents-es candidats-es à la présidentielle d’abord, puis les candidats-es à la députation ont négligé un « sujet crucial de santé publique ». C’est ce qu’a mis en avant AIDES, ces derniers mois. C’est certain que le quinquennat d’Emmanuel Macron a nettement privilégié une politique du « tout répressif » que de nombreux-ses acteurs-rices de la réduction des risques considèrent comme « dangereuse » et « inefficace ». Cette politique n’est pas nouvelle ; elle sévit depuis plusieurs décennies. Un demi-siècle après la promulgation de la loi relative « aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l’usage illicite de substances vénéneuses », dite loi de 1970, la France maintient effectivement une politique des drogues axée sur la répres­sion. « Cette approche est nocive. Alors que l’efficacité de cette loi n’a jamais été évaluée par les pouvoirs publics, la France perdure dans cette démarche », a expliqué AIDES et le rappelle aujourd’hui La décriminalisation ou la régulation des drogues bénéficierait à la RDR, comme c’est le cas dans plus de 25 pays, sans que cela ait entraîné une augmen­tation de la consommation ou de la délinquance, souligne l’association. Et de rappeler : « En dépit des avancées qu’a permis la RDR, les consom­mateurs-rices restent plus exposés-es au risque infec­tieux, et plus particulièrement au virus de l’hépatite C, que la population générale. Ces politiques répressives les tiennent éloignés-es des soins et de la santé et rallongent la période entre les contaminations et l’accès aux traitements. Il y a urgence à réformer le cadre légal relatif à la consommation de produits psychoactifs ».

All over the world !

Cette réflexion sur une autre politique des drogues, elle est aussi conduite au niveau international. En la matière, le principal acteur est la Commission globale sur les politiques publiques en matière de drogues. Cette structure qui réunit des personnalités de haut vol (le professeur Michel Kazatchkine, Louise Arbor, Rochard Branson, Mohamed ElBaradei, Michel Sidibé, Javier Solana, Mario Vargas Llosa, etc.), dont d’anciens-nes chefs-fes d’État ou de gouvernement (Ruth Dreifuss, Fernando Henrique Cardoso, Helen Clark, César Gaviria, Aleksander Kwaśniewski, Ricardo Lagos, Olusegun Obasanjo, George Papandreou, Juan Manuel Santos, Ernesto Zedillo, etc.) est une sorte de think tank, publiant rapports et points de vue. Son objectif : susciter une réflexion pour mettre en place une nouvelle approche des drogues. On a un très bon exemple de l’approche de cette structure avec une toute récente tribune publiée dans les colonnes du Monde (16 juin). Dans un texte intitulé : « À l’aube du nouveau quinquennat, il est urgent que s’ouvre un débat national sur les politiques en matière de drogues », trois personnalités de la Commission : l’ancienne Première ministre de Nouvelle Zélande Helen Clark, Ruth Dreifuss, l’ancienne Présidente de la confédération helvétique et le professeur Michel Kazatchkine (par ailleurs, envoyé spécial de l’Onusida pour le VIH/sida en Europe orientale et en Asie centrale) interpellent spécifiquement les dirigeants-es français-es pour leur « demander de réformer leur approche de gestion des stupéfiants ».

Avec quels arguments ? « Au cours des cinq dernières années, les questions touchant à la consommation de substances psychoactives illégales, à la création de salles de consommation à moindre risque, la gestion du crack ainsi que le trafic de cannabis dans les cités, n’ont été abordées que sous l’angle sécuritaire et pénal », écrivent les trois auteurs-rices de la tribune. Ils-elles invitent donc, une nouvelle fois,  les politiques à ouvrir un vrai débat national et à s’appuyer d’une part « sur les données scientifiques accumulées dans les dernières décennies » et d’autre part « sur l’expérience acquise dans de nombreux pays ». Le tour de force demandé est de faire cela « en évitant l’écueil de la simplification, des préjugés et des idéologies partisanes ». Autant dire que la tâche est colossale.

Reste que pour sortir du blocage actuel, il faudrait en finir avec la loi de 70 ; ce qui ne semble pas être un souhait de l’actuelle majorité présidentielle. Alors les signataires avancent des chiffres, dont ils-elles espèrent qu’ils constituent un déclic.

Ces chiffres proviennent de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (ODFT). Ils indiquent que la consommation de drogues n’a cessé de croître. « D’après le huitième rapport de cette institution, au moins 537 décès par surdose ont été enregistrés, toutes substances illicites confondues, en 2017 ; 161 000 interpellations pour usage de stupéfiants ont été réalisées ; 67 500 condamnations prononcées pour un délit lié à la drogue, une majorité pour des délits d’usage et de possession d’une substance illégale, sans que ce comportement ait nui à autrui », indiquent les auteurs-rices. Ils rappellent que les « interpellations et incarcérations continuent à augmenter et accroissent la stigmatisation de personnes déjà discriminées du fait de la couleur de leur peau, de leur origine ou de leur marginalisation social ». Et d’expliquer que les « politiques de gestion des stupéfiants menées en France s’écartent sur de nombreux points des recommandations élaborées par la Commission globale de politique en matière de drogues ». Et la tribune de conclure : « Seule une politique cohérente, dite des « quatre piliers », est susceptible de diminuer les effets négatifs de la présence de la drogue dans nos sociétés. Ces quatre piliers impliquent la prévention, les thérapies, la réduction des risques et la répression ciblée sur les responsables des organisations criminelles » ; ce qui n’est, hélas, pas le credo actuel. « Dans ce sens, nous pensons qu’il est urgent d’analyser le bilan des politiques en matière de drogues en France et de les réformer, en replaçant la santé publique, l’intégration sociale et les droits humains au cœur de vos réflexions », concluent Helen Clark, Ruth Dreifuss et Michel Kazatchkine, en s’adressant à nos dirigeants-es.