Drogues : la ministre joue à la maman !

Publié par jfl-seronet le 23.06.2011
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Le moins que l’on puisse dire, c’est que le gouvernement est extrêmement chatouilleux lorsqu’on s’exprime sur les drogues. Que des militants parlent d’ouvrir le débat sur la dépénalisation et Claude Guéant entre en éruption. Que des activistes parlent de santé publique et Nora Berra se demande si elle doit parler en ministre ou agir en mère de famille. Il faut sans doute, hélas, s’habituer à ce registre qui oscille entre infantilisation et dogmatisme forcené…
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Secrétaire d’Etat est un métier difficile. D’autant plus lorsque son ministre de tutelle est un bourreau de travail, reconnu comme compétent et un politicien madré. Ça laisse peu de place pour exister. C’est encore plus difficile  lorsque ses missions consistent, pour l’essentiel, à ouvrir des colloques où personne ne veut se rendre, à remplacer, parfois au débotté, son ministre et à montrer au créneau pour prendre des coups à sa place. Telle est la vie publique de Nora Berra, secrétaire d’Etat à la Santé, seconde de Xavier Bertrand. Il suffit de consulter son agenda ministériel pour voir que la ministre fait beaucoup de discours, qu’elle est souvent de corvée sur des textes législatifs polémiques ou ennuyeux et que, de façon occasionnelle, on lui demande de monter au créneau pour faire les gros yeux voire de défendre des points de vue auxquels elle-même ne semble pas croire. Un exemple ? On a du mal à imaginer que le médecin qu’elle est puisse sérieusement trouver bien (ce qu’elle a pourtant dit) la loi sur l’immigration de son collègue Claude Guéant et les restrictions en matière de droit à la santé des étrangers malades qu’elle comporte.

Récemment, Nora Berra a publié un communiqué de presse ministériel sur les débats concernant l’usage de drogues en France et la dépénalisation. Le débat est sérieux, complexe et ancien. Il revient, très régulièrement, à chaque fois plus lancinant. La raison en est simple. La volonté gouvernementale, une constante, de fermer toute discussion sur le sujet frustre, agace et cristallise les positions. Elle empêche surtout d’aller plus loin… et de trouver un consensus. A l’origine de cette dernière sortie, il y a la dépénalisation du cannabis, une mesure réclamée par divers élus de gauche qui voient là le seul moyen de lutter efficacement contre les trafics notamment dans les quartiers sensibles, mais aussi de répondre à des impératifs de santé publique. Nora Berra ne voit pas les choses ainsi et l’affirme dans un communiqué de presse au titre ronflant : "Les interrogations philosophiques s’arrêtent tout simplement là où commence la santé des Français et de leurs enfants !" Le choix de la formule est assez caractéristique. Il vise d’une part à dénoncer ce qui serait la désinvolture de certains politiques et d’autre part à les faire passer pour des irresponsables. La secrétaire d’Etat laisse ainsi entendre que les revendications d’une dépénalisation sont des discussions oiseuses d’intellos pas préoccupés de la santé des vraies gens. C’est juste l’inverse. Pour Nora Berra, ce débat sur la dépénalisation n’a pas lieu d’être. D’ailleurs, pour enfoncer le clou, elle indique : "Syndrome paranoïaque, désocialisation, troubles scolaires, risques professionnels, accidents de la route… les méfaits directs et indirects du cannabis sont légion et ne font, eux, pas débat". Elle avance aussi quelques chiffres : "L’usage du cannabis au cours des douze derniers mois concerne 8% des 16-64 ans. Cet usage touche particulièrement les jeunes puisqu’un tiers des 18-24 ans déclarent avoir déjà consommé du cannabis au cours de leur vie. Doit-on s’en satisfaire et leur donner un blanc-seing ?" Bien entendu, on pourrait lui rappeler que les chiffres qu’elles dénoncent avec tant de virulence ne sont pas le résultat d’une dépénalisation, mais celui de la politique actuellement conduite. Elle pourrait également prendre en compte les arguments avancés par ceux qui défendent la dépénalisation et qui sont loin d’être sans intérêt. Manifestement, c’est au dessus de ses forces !

Jusque là, la réponse ministérielle est archi classique, désespérément convenue… à un détail près. "En tant que secrétaire d’Etat chargée de la Santé, mais aussi en tant que mère de famille, je ne le souhaite pas", dit-elle à propos de la dépénalisation. Et pour faire bonne mesure, Nora Berra de conclure : "Le ministère chargé de la Santé n’est pas, et ne sera jamais, le ministère chargé de la promotion des addictions". De deux choses l’une, soit Nora Berra ne se relit pas avant de signer ses communiqués de presse, soit elle doit arrêter de les faire rédiger (lorsqu’ils concernent les drogues) par la Mildt (Mission interministérielle de lutte contre la drogue et les toxicomanies). Deux problèmes se posent. D’une part, il est caricatural de laisser entendre que les partisans de la dépénalisation (qui, soit dit en passant, n’est jamais défendue comme devant être sauvage mais parfaitement encadrée par l’Etat et la loi) veulent conforter les addictions. Une fois encore, c’est travestir l’esprit et les motifs de la pénalisation. D’autre part, il est singulier et scandaleux de jouer la carte "mère de famille" pour justifier d’une position politique en matière de santé. En quoi le fait d’avoir des enfants rend-il ses positions plus légitimes politiquement ? Il est symptomatique que cette carte-là (paternalo-démagogique) soit brandie, sur ce sujet-là. Nora Berra ne se prononce jamais publiquement en tant que mère de famille habituellement. Tout simplement parce qu’elle n’occupe pas des fonctions ministérielles à ce titre. On imagine qu’elle a été choisie pour ses compétences, par exemple, parce qu’elle est médecin. Et pas parce que la drogue lui fait peur pour ses enfants. Si elle veut parler en tant que mère, d’autres tribunes sont plus adaptées. Ce mélange des genres n’est pas de bon augure dans l’action politique. Est-ce d’ailleurs de la politique voire même de la santé publique ? On peut en douter.