Drogues : le HRW dénonce la torture

Publié par jfl-seronet le 05.09.2012
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Le Human Right Watch (HRW) a le chic pour débusquer les paradoxes les plus navrants… et les dénoncer : "des centres de détention pour toxicomanes [qui] proposent la torture et non des traitements". Le paradoxe, c’est que bien souvent ces structures sont financées par l’ONU et les bailleurs de fonds. Le HRW les appelle à faire pression pour la fermeture immédiate de ces centres.
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©2001 Roberta Valerio

"Ils essaient d'enseigner à ne pas consommer de drogue, que ce n'est pas bon d’en prendre, tout en montrant que les gens normaux ont un bel avenir. Je ne pense pas que les cours m'aient aidé à arrêter de me droguer ... Certaines personnes prennent plus de drogue quand elles sortent de Somsanga", explique un ancien détenu pour usage de drogues emprisonné à Vientiane (Laos) en 2010. "J'ai essayé de m'enfuir, et dans la foulée, je me suis cassé les deux pieds. Quand je suis allé à l'hôpital pour un traitement, j'ai été arrêté et renvoyé au centre pour toxicomanes... Là-bas on m'a donné très peu de nourriture, et ils ne m'ont donné aucun médicament pour soigner mes pieds. J'ai été enfermé pendant environ une demi-année et mes pieds sont devenus estropiés". C’est ce qu’explique un ancien détenu pour usage de drogues en 2009 dans le Yunnan (Chine). Un autre détenu chinois, dans le Yunnan toujours, raconte : "La détention pour toxicomanes, ce n'est rien que du travail. Nous nous levons à cinq heures du matin pour fabriquer des chaussures. Nous travaillons toute la journée et tard dans la nuit. C'est tout". Ces témoignages et bien d’autres ont été publiés dans un rapport du Human Right Watch (HRW) intitulé : "La torture en guise de traitement : Violations des droits humains au Vietnam, en Chine, au Cambodge et en République démocratique populaire du Laos".
 
Ce document, rare, sert de point d’appui à la campagne lancée, cet été, par le HRW, une des principales organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme. Le HRW s’en expliquait d’ailleurs dans un communiqué de presse le 24 juillet dernier. "Des centaines de milliers de personnes identifiées comme étant des toxicomanes en Chine et à travers l'Asie du Sud-est sont détenues sans procédure en bonne et due forme dans des centres où elles peuvent être soumises à la torture, ainsi qu’à la violence physique et sexuelle en guise de "traitement", dénonce l’ONG. Le HRW estime que les "bailleurs de fonds internationaux et les organismes des Nations Unies" doivent savoir qu’ils soutiennent et financent des "centres de détention pour toxicomanes qui privent systématiquement les personnes de leurs droits à un traitement efficace contre le VIH et la dépendance aux drogues" et qu’ils ferment "les yeux sur le travail forcé et les exactions".


Le document de 23 pages rédigé par l’ONG récapitule les recherches auprès de personnes qui ont été détenues au Vietnam, en Chine, au Cambodge et au Laos. "Plus de 350 000 personnes identifiées comme toxicomanes sont détenues en guise de "traitement" dans ces pays pour des périodes pouvant aller jusqu'à cinq ans, estime l’ONG. Dans de nombreux centres, les toxicomanes sont détenus aux côtés de personnes sans-abri, de personnes présentant des handicaps psychosociaux et d’enfants des rues, et sont contraints d'effectuer des exercices militaires, de scander des slogans et de travailler en guise de "thérapie". Il existe des moyens éprouvés pour traiter la dépendance à la drogue compatibles avec les droits humains, mais les passages à tabac, le travail forcé et l'humiliation ne figurent pas parmi ces méthodes", a rappelé, non sans ironie, Joe Amon, directeur de la division Santé et droits humains à Human Rights Watch, lors de la présentation officielle de ce rapport. Pour lui, la solution est aussi simple que radicale : "Ces centres doivent être fermés et un traitement de désintoxication volontaire et efficace fourni à leur place".


La raison est d’ailleurs assez simple, les "personnes se trouvant dans les centres de détention pour toxicomanes dans [ces] quatre pays sont généralement détenues contre leur volonté. Elles sont appréhendées par la police, ou "portées volontaires" par les autorités locales ou des membres de leur famille qui succombent à la pression sociale pour "libérer leur village de la drogue". Une fois à l'intérieur, ces personnes ne peuvent pas partir. Aucune évaluation clinique de la dépendance aux drogues n’est effectuée, ce qui aboutit à la détention de toxicomanes occasionnels ainsi que d'autres simplement soupçonnés de consommer de la drogue". Il ne s’agit dès lors plus de prise en charge médicale ou de santé publique, mais simplement de répression policière.

Le HRW rappelle que cette façon de procéder va à l’encontre des préconisations officielles des agences internationales de santé et de lutte contre la drogue. On peut citer le Bureau des Nations Unies contre la drogue et le crime, l’ONUSIDA et l'Organisation mondiale de la santé. Ces trois agences, par exemple, "recommandent des services communautaires complets de réduction des risques, notamment des traitements pour la dépendance fondés sur des preuves et l'accès à des seringues stériles comme éléments essentiels pour protéger les droits à la santé et les droits humains des toxicomanes". Le HRW en tire donc la conclusion que : "Les centres de détention pour toxicomanes qui détiennent les consommateurs de drogue pendant de longues périodes sans fournir un traitement fondé sur des preuves violent ces normes et sont largement considérés comme étant inefficaces. Des recherches en Chine et au Vietnam ont révélé des taux élevés de rechute chez les personnes détenues dans les centres de détention pour toxicomanes, ainsi qu'un risque accru d'infection par le VIH en détention.
 
Dans son communiqué, l’ONG rappelle qu’en "mars 2012, douze organismes des Nations Unies, notamment le Bureau des Nations Unies contre la drogue et le crime, l'Organisation mondiale de la Santé, l’UNICEF et l'ONUSIDA, ont publié une Déclaration commune appelant à la fermeture des centres de détention pour toxicomanes et à la libération des personnes détenues "de toute urgence". Mais les bailleurs de fonds internationaux continuent à fournir des fonds et autres formes de soutien à de nombreux centres, malgré les conséquences en matière de droits humains". Un paradoxe… encore. Et le Human Right Watch de citer un exemple : "En juin 2012 le gouvernement des Etats-Unis a promis 400 000 dollars US pour aider la Commission nationale du Laos pour le contrôle et la supervision des drogues à "améliorer" les installations dans un centre de détention qui avait fait l'objet d'un rapport à charge de Human Rights Watch.

"Les bailleurs de fonds devraient reconnaître qu'ils ne peuvent pas appeler à la libération immédiate de tous les individus dans les centres de détention pour toxicomanes de façon crédible tout en continuant à mener des recherches et à apporter soutien et assistance, comme si ceux-ci étaient des centres de traitement légitimes", a conclu Joe Amon.