Drogues : les russophones à Paris

Publié par jfl-seronet le 11.10.2020
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Vaste projet de l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales, l’étude ANRS-Coquelicot montre la vulnérabilité des personnes usagères de drogues russophones à Paris. Explications.

« Les personnes usagères de drogues russophones vivant à Paris ont un parcours et des conditions de vie chaotiques, marqués par une grande précarité ». C’est ce qu’indiquent les résultats de la dernière étude ANRS-Coquelicot. « Entre les traumatismes liés au parcours migratoire, leurs addictions, la méconnaissance du français et leur difficulté à trouver un travail, les obstacles à leur intégration sont nombreux », souligne d’ailleurs un communiqué de presse de l’Agence nationale de recherche suer le sida et les hépatites virales. Malgré ces obstacles, l’équipe de recherche de l’étude ANRS-Coquelicot montre que les personnes concernées « adhèrent bien aux mesures de prévention des maladies infectieuses recommandées dans les centres de prévention » si elles ont du « matériel stérile à disposition ». Par exemple, ces personnes partagent moins souvent leur seringue qu’avant la migration et moins que les personnes usagères francophones.

Ces résultats ont fait l’objet d’une publication, cet été, dans la revue Harm Reduction Journal. On la doit à trois chercheuses du groupe ANRS-Coquelicot (laboratoire Cermes3 – CNRS/Inserm/EHESS/Université de Paris) : Yaël Tibi-Lévy, Daria Serebryakova et Marie Jauffret-Roustide. Elles ont recueilli et analysé les données provenant de questionnaires et d’entretiens menés entre 2013 et 2015 auprès de 150 personnes usagères. Afin d’étudier leur parcours migratoire, leurs conditions de vie et leur usage de drogues, le groupe ANRS-Coquelicot a demandé entre 2013 et 2015 à un sous-échantillon de 150 personnes injectrices russophones de compléter un questionnaire, puis a interrogé 20 d’entre eux (18 hommes et 2 femmes) lors d’un entretien qualitatif.

L’âge moyen des répondants-es était de 36,7 ans. Plus de la moitié d’entre eux-elles (55 %) étaient nés-es en Géorgie, les autres venaient de Russie, de Lituanie ou d’autres pays de l’Est, détaille un communiqué de l’agence de recherche. Au moment de l’étude, cela faisait en moyenne 3,3 ans qu’ils-elles vivaient en France. Ils-elles avaient quitté leur pays d’origine pour fuir la guerre ou un régime totalitaire, pour des raisons identitaires, ethniques voire religieuses ou à cause de la forte répression envers les usagers-ères de drogues. La majorité d’entre eux-elles a commencé à consommer des drogues avant d’émigrer. L’âge moyen de la première injection est de 21,8 ans, mais la fourchette s’étend de 13 à 40 ans. L’héroïne est la drogue la plus utilisée, suivie par la cherniashka (mixture à base de paille de pavot), la morphine, l’opium et la buprénorphine (traitement de substitution à l’héroïne). Une fois en France, peu de consommateurs-rices arrêtent de consommer des drogues (6,2 % des répondants-es), mais leurs habitudes changent en fonction de l’indisponibilité de certains produits et de leur coût, notent l’article des chercheuses. Depuis leur arrivée en France, les personnes injectrices sont plus conscientes des risques de maladies infectieuses (notamment de contamination par le VIH et le VHC) liés au partage de seringues. Ils étaient 49,9 % à avoir déjà partagé une seringue dans leur pays d’origine, contre 13,9 % après leur arrivée en France. Ce taux tombe à 9,3 % si l’on considère le mois précédent l’étude : cette proportion est plus basse que celle des UDI francophones. Bien que 43 % d’entre eux-elles aient suivi un enseignement supérieur dans leur pays d’origine, ils-elles se retrouvent presque tous-tes (96,8 %) dans une situation sociale plus précaire après la migration (chômage ou petits boulots non déclarés, pas de logement personnel…). La langue est un frein à leur intégration : 37,6 % d’entre eux-elles n’ont aucune connaissance du français, dont près de la moitié n’a aucune possibilité d’assistance linguistique (famille ou proches).

Le groupe de recherche a conclu cette étude en soulignant la « vulnérabilité des personnes interrogées, plus précaires que les autres usagers-ères de drogues par injection (francophones ou non) et ayant de faibles perspectives d’intégration socio-économique ». Il pointe cependant leur « bonne adhésion (…) aux messages de prévention des maladies infectieuses » et, de là, formule deux recommandations. « La première est la nécessité de consolider en France l’accès aux soins de santé, mais aussi aux aides sociales, pour les UDI russophones, en faisant par exemple appel à des traducteurs-rices et en prenant en compte leurs spécificités culturelles. « Il faudrait également encourager la création de liens dans cette communauté pour toucher les personnes les plus isolées, qui ne se rendent pas dans les centres de réduction des risques », précise la chercheuse (Inserm) Marie Jauffret-Roustide du groupe ANRS-Coquelicot. La seconde recommandation est d’encourager l’évolution des politiques très répressives contre les personnes usagères de drogues dans les pays d’origine vers une approche de santé publique centrée sur la prévention, le traitement et la réduction des risques.

Source : Migration experiences, life conditions, and drug use practices of Russian-speaking drug users who live in Paris: a mixed-method analysis from the ANRS-Coquelicot study
par Yaël Tibi-Lévy, Daria Serebryakova, Marie Jauffret-Roustide and ANRS-Coquelicot Study Group.

L’étude ANRS-Coquelicot, c’est quoi ?
Cette étude a pour objectif d’estimer la proportion de personnes usagères de drogues infectées par le VIH et le VHC et de comprendre les déterminants de l’exposition aux risques infectieux. Dans ce cadre, le groupe de recherche s’est récemment focalisé sur les personnes usagères de drogues injectables (UDI) russophones vivant à Paris. Ces derniers représentent jusqu’à un tiers des personnes accueillies dans les services de prévention parisiens.