Drogues : un nouveau plan… trop plan-plan

Publié par jfl-seronet le 06.10.2013
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ProduitsMildtPES en prisonloi 70

Le 19 septembre 2013, le premier Plan gouvernemental de lutte contre la drogue et les conduites addictives a été adopté lors d’un comité interministériel présidé par le Premier ministre en présence de l’ensemble des ministres concernés. Ce plan, assez attendu, est très moyennement reçu par les associations. Certaines dénoncent sa timidité et l’évitement de certains sujets qu’elles considèrent pourtant comme prioritaires.

Les trois priorités du nouveau Plan de la MILDT. Voici comment l’institution les présente.

1 : Fonder l’action publique sur l’observation, la recherche et l’évaluation : en progressant dans la compréhension des conduites addictives ; en soutenant la recherche sur les nouveaux traitements médicamenteux et les stratégies thérapeutiques innovantes ainsi que les recherches en sciences sociales ; en faisant de la recherche un outil d’aide à la décision.

2 : Prendre en compte les populations les plus exposées pour réduire les risques et les dommages sanitaires et sociaux : en empêchant, retardant et limitant les consommations des jeunes ; en améliorant le soin et l’accompagnement des femmes usagères de drogue ; en rapprochant les dispositifs des populations les plus éloignées (que ce soit pour des raisons géographiques ou sociales) ; par la prévention des addictions dans le monde du travail.

3 : Renforcer la sécurité, la tranquillité et la santé publiques au niveau national et international en luttant contre les trafics et contre toutes les formes de délinquance liées aux consommations de substances psychoactives : en favorisant l’acceptabilité sociale des usagers et des dispositifs de soins et de réduction des risques notamment par les actions de médiation sociale ; en améliorant l’articulation entre les champs judiciaire et  sanitaire ; en luttant contre le trafic au niveau local et international ; en prenant en compte les phénomènes émergents en matière de trafic.

Les assos réagissent

La publication du Plan de la MILDT a évidemment fait réagir. Pour AIDES (communiqué de presse du 20 septembre), l’institution : "Peut (vraiment)  mieux faire !". L’association ne cache pas "une certaine déception devant son manque d'ambition". "Il est vrai qu'après des années passées à subir une MILDT uniquement axée sur le volet répressif, l'attente était forte. Certes, il y a des avancées dans le Plan, comme la reconnaissance du matériel pour le sniff et l'inhalation des drogues comme outil de réduction des risques (il était temps) où le focus sur les femmes usagères, axe par ailleurs investi par AIDES avec le soutien de l'INPES. Malheureusement, les mesures tant attendues sur l'accès aux seringues en milieu carcéral ou la diversification de la palette des traitements de substitution attendront visiblement encore un moment... Et c'est d'autant plus dommage qu'une grande partie des usagers de drogues massivement touchés par l'hépatite C ne peuvent pas attendre", détaille AIDES.

Le plan annonce également l'ouverture d'une salle de consommation à Paris dans un premier temps, puis dans une ou deux autres villes", c'est une bonne nouvelle et AIDES soutient bien évidemment cette initiative, mais c’est une confirmation.

"En revanche, le plan reste atone sur l'éducation à l'injection. C'est dommage car AIDES et Médecins du Monde, avec le soutien de l'Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites (ANRS), expérimentent depuis 2011 ce modèle d'intervention auprès des consommateurs de drogues par injection. La recherche ANRS-AERLI (accompagnement et éducation aux risques liés à l'injection) a accueilli quotidiennement, dans huit villes de France, des personnes consommant des drogues par injection pour leur offrir des conditions d'injection et d'accompagnement conformes aux exigences de santé publique. L'analyse des données issues de cette recherche est en cours et les résultats seront connus début 2014. "Nous pouvons déjà constater que ce modèle d'espace de consommation à moindre risque peut être implanté sans dommage pour les personnes ni trouble à l'ordre public dans des structures de réduction des risques comme les CAARUD, explique AIDES. Il s'agit sans doute du modèle d'avenir pour toutes les villes de province dans lesquelles il n'existe pas de concentration (de scène ouverte) de consommateurs, mais où les besoins n'en sont pas moins criants en termes de santé pour ce public."

Manque de courage politique

"Le plan développant la recherche et l'évaluation comme piliers de la politique du Gouvernement, nous ne pouvons qu'inviter nos décideurs à avoir le courage d'assumer ce que montre déjà l'évidence scientifique. Les salles de consommation, les programmes d'échanges de seringues en prison, la substitution injectable sont des interventions qui ont fait leur preuve, il faut avoir le courage politique d'assumer l'évidence scientifique et d'anticiper les futures avancées dans le domaine de la RDR", explique Bruno Spire, président de AIDES, dans le communiqué de l’association. Malheureusement, il reste un obstacle de taille à la mise en place de dispositifs innovants, passé sous silence par le plan : la loi de 70 et ses effets dévastateurs pour la santé des usagers de drogues. Pour Christian Andreo, directeur du plaidoyer à AIDES : "Nous  l'avons tellement répété que cela en devient absurde. Mais pour être entendus, encore faudrait-il que nous, usagers de drogues, soyons reconnus dans notre pleine citoyenneté. Tant que la loi fera de nous des délinquants, nous continuerons à n'être au mieux que des malades qu'il faut soigner."

Un verre à moitié plein ou à moitié vide ?

"Le plan gouvernemental contre les addictions : un verre à moitié plein ou à moitié vide ? ", se demande le Réseau Français de RDR (20 septembre). Pour le réseau : le plan gouvernemental "concerne l'ensemble des pratiques addictives, et comporte de réelles avancées sur la réduction des risques, mais aussi de cruelles déceptions." Motif de satisfaction : la méthode. "A l'inverse du dernier plan et de son ancien président sourd à toute avancée sur la réduction des risques, la consultation a été large, les associations du secteur ont eu leur mot à dire, et un certains nombre de leurs revendications ont été satisfaites. Sur les traitements de substitution aux opiacés, l'accessibilité à la méthadone va être améliorée avec l'expérimentation de la primo-prescription en médecine de ville, et le développement des bus. Des recherches sur de nouvelles galéniques pour les usagers qui sont en échec avec les traitements actuels sont également envisagées : l'inhalation, le patch transdermique ainsi que des TSO à demi-vie courte sont cités", note le Réseau.

Il constate aussi la volonté de "renforcer le dispositif de réduction des risques actuel". Par exemple en milieu rural et pour les usagers les plus éloignés des structures, en développant des dispositifs mobiles CAARUD, et en expérimentant l’envoi postal de matériel. Autres exemples : "en développant la mise à disposition de matériel de réduction des risques (automates)" ; "en favorisant son adéquation avec les différentes pratiques (sniff, kit base, nouveaux outils comme le filtre toupie), en demandant de ne pas à limiter le matériel distribué dans les structures CSAPA/CAARUD." "Une plus grande place sera accordée aux actions qui permettent d'aller à la rencontre des usagers les plus précaires, si possible avec leur participation, et de nouvelles modalités pour aller à la rencontre de tous les usagers sur Internet (notamment les jeunes) seront expérimentées. Enfin, l'insertion sociale des usagers de drogues, l'une des grandes oubliées de la réduction des risques, est remis au goût du jour pour les usagers fréquentant les CSAPA et les CAARUD.

Mais le Plan déçoit aussi

Pour le Réseau Français de RDR, le bât blesse sur "les expérimentations de dispositifs innovants", même si l'outil salle de consommation est réaffirmé, et doit être même étendu dans une ou deux villes d'ici à 2017. "La réduction des risques et les programmes d’échange de seringue en prison, pourtant promis par Marisol Touraine il y a moins de 3 mois et par François Hollande pendant la campagne, ne sont pas retenus, note le Réseau. La population carcérale fait pourtant parti des populations à risques auxquelles le plan veut s'attaquer..."

Autre déception : "Pas de distribution de naloxone aux usagers de drogues sortant de cure ou de prison pour prévenir les overdoses, alors que celles-ci remontent en flèche depuis 5 ans". Le Réseau forme la même critique que AIDES sur l’absence de mention sur "les espaces de consommation et l'Accompagnement et l'Education aux Risques liés à l'injection (AERLI) dans les CAARUD." "Enfin, la substitution injectable et les programmes d’héroïne médicalisée ne sont pas évoqués, alors qu'ils ont fait leur preuve dans d'autres pays."

Le débat sur le statut pénal… encore oublié

Même diagnostic que AIDES sur le statut pénal des stupéfiants… qui n'est pas abordé. "La réflexion dans de nombreux pays, y compris en Europe, sur la réponse graduée, n'a pas droit de citer en France, tacle le Réseau. L'usager simple continuera d’être inutilement pénalisé. Avec les nouvelles drogues de synthèse, on aurait pu avoir par exemple un début de réponse graduée selon la nocivité des produits, comme l'a proposé la Commission européenne [mi septembre], en utilisant la pénalisation qu'en dernier recours. Si les principes de ce plan sont suivis d'actes, le dispositif de réduction des risques sortira renforcé, et les lacunes de ses dernières années pourront être comblées (…) Mais une partie de l'innovation sociale et la nécessaire rénovation pénale attendront des jours meilleurs..."

"Les prisonniers condamnés aux contaminations"

"Une fois de plus la MILDT se rend complice des contaminations VIH/VHC en prison", dénonce Act Up-Paris. "En effet, ce nouveau plan n’évoque aucunement la mise en place, même expérimentale, des PES (programmes d’échange de seringue) en prison, ceci malgré plusieurs mois de réunions au ministère de la Santé du groupe de travail sur les PES, auxquelles la MILDT a participé, et qui a conclu devant l’évidence de la situation carcérale que la mise en place de ce programme était nécessaire et même urgente pour éviter les contamination des prisonniers et prisonnières", rappelle l’association. "Sachant que ces travaux attendent l’arbitrage de la MILDT, Act Up-Paris dénonce et s’inquiète de la mise en péril des PES en prison par ce nouveau plan. La MILDT lance un mauvais signe pour la mise en place effective des PES en prison", explique l’association qui "proteste donc contre l’aveuglement obstiné de la MILDT de ne pas accorder aux prisonniers et prisonnières les mêmes droits à la réduction des risques qu’à l’extérieur. Ce déni criminel causera la contamination des usagers et usagères de drogue incarcérés."