Droit des étrangers : la majorité droite dans ses bottes !

Publié par jfl-seronet le 22.02.2016
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Droit et socialdroit des étrangers

Présenté en 2014, le projet de loi relatif au droit des étrangers en France est débattu depuis. L’objectif du gouvernement avec ce texte est de "mieux accueillir les migrants en situation régulière tout en luttant contre l'immigration illégale". En juillet 2015 et en janvier 2016 à l’Assemblée nationale, en octobre 2015 au Sénat, les associations, dont AIDES, ont proposé de nombreux amendements pour améliorer le texte et pallier certaines dérives. Qu’est-ce qui a été demandé ? Qu’est-ce qui a été pris en compte ?

Il y a maintenant plusieurs mois que se déroulent les débats sur le projet de loi consacré au droit des étrangers. Les objectifs affichés du gouvernement avec ce texte sont de trois ordres : "Améliorer l’accueil et l’intégration des étrangers régulièrement admis au séjour ; renforcer l’attractivité de la France en facilitant la mobilité des talents internationaux (1) ; lutter plus efficacement contre l’immigration irrégulière, dans le respect des droits fondamentaux".

En différentes occasions, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a expliqué à quel point le parcours migratoire actuel était, selon sa formule, un "véritable parcours administratif du combattant". "Nous soumettons des centaines de milliers d'étrangers à environ une dizaine de passages par an en préfecture. Comment s'intégrer quand on court de titre précaire en titre précaire ?", s’interrogeait-il, il y a quelques mois, rejoignant le constat fait depuis longtemps par les associations de défense des droits des étrangers. Voilà pour les intentions affichées… Mais lorsqu’on passe en revue les articles de loi et surtout que l’on voit la nature des débats et les arguments, cela s’avère plus compliqué que cela… et peu rassurant. D’autant que les "assouplissements" apportés au texte par l’Assemblée nationale en juillet 2015 ont été supprimés par le Sénat en octobre de la même année. On est ainsi passé d’un texte relatif au droit des étrangers en France à des "dispositions relatives à la maîtrise de l’immigration". Le projet de loi adopté le 26 janvier à l’Assemblée nationale rétablit le nom initial du projet de loi ainsi que le texte voté en première lecture avec quelques amendements gouvernementaux, mais conforté d'évolutions contestables et d’ailleurs contestées.

Plusieurs grandes mesures sont comprises dans le texte du gouvernement. La première est celle d’un titre de séjour pluriannuel valable entre deux et quatre ans — délivré après un premier titre d'un an. Ce nouveau dispositif s'adresserait aux quelque 700 000 étrangers hors communauté européenne — sur les 2,5 millions résidant en France — qui doivent faire renouveler leur titre de séjour tous les ans. Les autres personnes disposent d'une carte de résident de dix ans. L'objectif serait double : désengorger les préfectures et "faciliter" l'intégration des étrangers. Par ailleurs, la future loi comprend des mesures qui visent à une lutte renforcée contre la fraude aux titres de séjour. La préfecture pourrait désormais se faire communiquer, sous le contrôle de la Commission nationale informatique et libertés, des informations par d'autres administrations — les impôts, la Sécurité sociale — ou des structures privées comme les banques, des informations pour vérifier la situation des demandeurs. Bernard Cazeneuve promet que ces contrôles seront ciblés. Les associations dénoncent l'aspect intrusif de cette disposition et les pouvoirs accrus des préfets. Elles estiment que ce qui est mis en place est parfaitement disproportionné eu égard aux objectifs assignés… et à l’importance du phénomène de fraude. C’est aussi l’avis du Défenseur des droits.

"Le texte du projet de loi de maîtrise de l’immigration ouvre une brèche dangereuse sur la levée du secret professionnel dans des secteurs essentiels de la vie citoyenne comme la santé, l’école, l’emploi et le social à travers ses articles 8, 22 et 25", expliquaient la Cimade et un collectif d’associations (dont AIDES). "Si le projet de loi initial allonge les durées de validité de la carte de séjour, ce qui est bénéfique pour lutter contre la précarité des titres et donc des situations des personnes, il instaure, en revanche, un principe de surveillance permanente", notent les associations. "Le projet de loi crée lui-même les conditions de ces contrôles avec la levée inédite du secret professionnel pour plusieurs organismes et leur personnel. Si les articles 8 et 25 sont [définitivement] votés en l’état, pôle emploi, les écoles et universités, les établissements de santé publics et privés, les fournisseurs d’énergie et opérateurs de téléphonie, tout comme les établissements bancaires auront l’obligation, sous peine d’amende (7 500 euros) de fournir toute information que les agents de la préfecture jugeront utile pour contrôler la "sincérité et l’exactitude des déclarations et de l’authenticité des pièces" des personnes titulaires d’une carte de séjour". Pour les associations, les articles 8, 22 et 25 assimilent "délinquants et étrangers et mettent à mal l’intégration des personnes titulaires de titre de séjour dans leur pays d’accueil". Les associations ont demandé leur suppression. Par ailleurs, le texte réforme notamment les procédures d'éloignement des étrangers en situation irrégulière.

En juillet 2015 comme en janvier 2016, les associations de défense des droits des étrangers ont proposé des amendements au texte pour qu’il évite ce qu’elles considèrent comme des écueils. Sans succès, hélas. Certains amendements ont été rejetés en commission, d’autres en séances. Le droit au séjour pour soins est l’un des grands sujets du projet de loi… avec l’article 10.

Les députés avaient approuvé (en juillet 2015) les modifications prévues concernant le droit au séjour pour soins. La législation actuelle permet à un malade étranger de bénéficier du droit au séjour pour soins et donc d’avoir un accès aux soins et à un traitement médical dont "l'absence" dans son pays pourrait entraîner pour lui "des conséquences d'une exceptionnelle gravité". La disposition du projet de loi sur le droit des étrangers votée par l'Assemblée en juillet 2015 et confirmée en janvier 2016 prévoit que le droit au séjour pour soins est ouvert dès lors que la personne ne peut pas avoir un accès "effectif" dans son pays d’origine aux traitements dont elle a besoin. Elle maintient la notion "d'exceptionnelle gravité". En effet, avait expliqué le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve l’été dernier, "ces soins peuvent être présents dans le pays, mais non accessibles en raison de leur coût". Dans la pratique, il s'agit d'harmoniser le droit avec les faits, car la disposition actuelle, votée en 2011 (dans la loi Besson) et qui exige, "sauf circonstance humanitaire exceptionnelle", une stricte absence du traitement, n’était, en réalité, pas appliquée de la même manière sur tout le territoire.

Les députés les Républicains ont voté contre le texte, jugeant la nouvelle rédaction, "plus vaste, plus floue, plus large" et annonçant qu’elle allait entraîner "un véritable appel d'air". Un message rabâché à droite en janvier 2016… en forçant le trait. "Actuellement, une personne étrangère doit démontrer que les soins dont elle a besoin sont complètement absents de son pays d’origine pour bénéficier d’un titre de séjour pour soins. Or, avec les dispositions proposées, cette personne devra simplement démontrer que le système de santé publique de son pays d’origine n’est pas en mesure de lui fournir les soins dont elle a besoin. Cet article est donc, une fois encore, un "aspirateur" à immigration", a avancé la députée les Républicains, Valérie Boyer. "Une envolée du nombre de personnes concernées et du coût sont à craindre, à l’image de ce qui s’est produit pour l’aide médicale d’État, avec laquelle on a connu les pires difficultés, si bien qu’elle est devenue un symbole qui divise les Français". Elle craint même une mesure qui "pourrait conduire la France à devenir un "hôpital international" gratuit et à accueillir un véritable tourisme médical".

Député PS et rapporteur, Erwann Binet a, quant à lui, rappelé que le souhait du gouvernement était bien de changer la disposition de façon à ce que le critère soit l’accès effectif au traitement approprié et plus l’absence de traitement. L’alinéa 5 de l’‘article 10 dispose en effet : "Si, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié".

Par ailleurs, en vertu de ce même article 10 du projet de loi, ce ne sera plus un médecin de l'Agence régionale de santé (Mars) qui donnera l'avis médical concernant un titre de séjour pour soins d’un malade étranger, mais un collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii), sous tutelle du ministère de l’Intérieur. Actuellement, "les pratiques des ARS sont trop hétérogènes, avec des taux d'accords variant de 30 % à 100 %", avait souligné Bernard Cazeneuve en juillet 2015. Les médecins de l'Ofii agiront "sous le contrôle exclusif du ministère de la Santé", avait-il assuré, pour calmer les inquiétudes des associations d'aides aux migrants, comme du Défenseur des droits, qui craignent une politique trop restrictive de l'Ofii.

AIDES avec ses partenaires de l’ODSE avaient proposé différents amendements pour améliorer le texte et notamment évité le transfert des compétences des Mars vers les médecins de l’Ofii. L’amendement proposé par les associations visait à ce que ce soit une commission médicale nationale sous tutelle exclusive du ministère de la Santé qui rende les avis médicaux, mais il n’a pas été repris. Le groupe Europe Ecologie Les Verts (EELV) avait déposé un amendement visant à rester en l’état du droit actuel, à savoir que ce soient les médecins des Agences régionales de santé (ARS) qui continuent d'effectuer cette évaluation médicale. Refus encore !

Une démarche identique a été faite lors des débats en janvier 2016 à l’Assemblée nationale. En séance, le député communiste Marc Dolez a bien proposé un amendement contre le transfert des compétences vers l’Ofii. Sans succès. "Dans son cinquième alinéa, l’article 10 confie l’évaluation médicale aux médecins de l’Ofii, désormais compétents pour accorder le droit au séjour pour raisons médicales. Un tel transfert de compétence nous paraît à la fois attester du désengagement du ministère de la santé et comporter le risque que l’Ofii s’éloigne de l’objectif de protection et de prévention en matière de santé pour privilégier un objectif de gestion des flux migratoires et de contrôle des étrangers", a–t-il expliqué. Il a rappelé que, dans un avis du 15 janvier 2015, le Défenseur des droits a émis un certain nombre de doutes sur ce transfert et qu’un rapport de mars 2013 de l’inspection générale de l’administration et de l’inspection générale des affaires sociales sur l’admission au séjour des étrangers malades pointait la disparité des avis des médecins des agences régionales de santé et qu’il ne préconisait pas un tel transfert de compétence à l’Ofii, mais un travail plus collégial des médecins. Echec ! Le rapporteur Erwann Binet a émis un avis défavorable. "Nous avons en première lecture été soucieux des remarques qui avaient été faites par certaines associations et par certains collègues qui laissaient penser que les médecins de l’Ofii pouvaient se montrer un peu moins indépendants dans leurs avis que ceux de l’agence régionale de santé. Je considère pour ma part qu’un médecin reste un médecin et qu’en face d’un patient ou d’un dossier médical il agit en professionnel de la médecine et non selon des prescriptions en matière de quotas de titres de séjour, par exemple (…) Nous avons quand même, avec le soutien du Gouvernement, non seulement dans nos explications ici dans l’hémicycle comme en commission, mais aussi dans la lettre du texte, précisé que ces médecins accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la Santé. On ne saurait être plus clair, et c’est la raison pour laquelle j’ai le regret de donner un avis défavorable à votre amendement, tout en partageant, comme beaucoup d’entre nous, les arguments que vous avez développés". Le transfert à l'Ofii a été adopté et sera désormais maintenu.

La compétence liée du préfet quant à l’avis médical rendu avait aussi fait l’objet de propositions d’amendements. Initialement, l’amendement proposé par les associations visait à ce que l’avis médical rendu par le Mars (médecin de l’agence régionale de santé) lie l’autorité administrative, qui en déduit le type de protection à accorder. Face aux réticences du gouvernement à cet amendement, il a été reformulé de la manière suivante : "Lorsque l'avis du médecin est favorable, le préfet ne peut s'en écarter que pour des considérations autres que médicales". Cette formulation permettant de lier le préfet uniquement sur les aspects médicaux et non sur les aspects administratifs (telles que la condition de résidence habituelle, ou l'absence de menace à l'ordre public). Il n’a pas été repris pour autant. De leur côté, des députés PS avaient déposé en juillet 2015 un amendement : "L’avis est conforme lorsqu’il conclut à l’impossible éloignement de l’étranger à raison de son état de santé". Cet amendement n'a pas été adopté. Le principal argument avancé par le rapporteur Erwann Binet a été le risque de fraude au droit au séjour pour soins. Même position, mêmes arguments en janvier dernier, en séance. Comme l’a fait remarquer le député PS Denys Robiliard, c’est un collège de médecins de l’Ofii qui va statuer et une circulaire du ministre encadrera leur mission. Le député s’est donc étonné que l’avis médical du collège ne s’impose pas au préfet. Celui-ci peut, selon ce qui est prévu dans la loi, ne pas suivre cet avis collégial alors que le préfet n’a pas accès aux documents médicaux, qui restent couverts par le secret médical. Pour le rapporteur Erwann Binet : "L’avis conforme ne doit pas être une condition nécessaire, d’abord parce qu’il ne faut pas écarter la possibilité que le préfet puisse attribuer un titre de séjour alors que l’avis du collège des médecins de l’Ofii est défavorable dans la mesure précisément où le préfet examine la demande de titre de séjour selon d’autres critères (2). Par ailleurs (…), il est possible aussi que le préfet ait accès à des informations auxquelles les médecins de l’Ofii n’ont pas accès, par exemple l’existence de fraudes. Cela existe s’agissant de tels titres. Ne serait-ce que pour cette raison, et il y en a évidemment d’autres, il faut laisser au préfet la possibilité de refuser un titre de séjour et donc ne pas lier sa décision à l’avis du collège de médecins de l’Ofii".

On peut rappeler qu’un amendement avait été déposé en juillet dernier visant à permettre une protection effective des malades étrangers contre l'éloignement. Il s'agissait de conférer un effet suspensif à la mesure d'éloignement lorsque le Mars est saisi postérieurement à la notification de cette mesure. Cet amendement avait été repris par certains députés, du PS et d'EELV. Il n'avait pas non plus été adopté. Le rapporteur avait émis un avis défavorable, en avançant qu'un caractère suspensif de la mesure d'éloignement ne pourrait avoir pour seul effet que la multiplication des saisines dilatoires (c'est-à-dire les saisines systématiques des médecins lorsqu'un étranger risque de se faire éloigner, afin de retarder l'échéance). La nouvelle lecture ne janvier 2016 n’a pas permis de progresser sur ce point.

Le texte devait aussi comporter une avancée concernant les parents d’enfant malade : une "avancée" est que désormais les deux parents se voient attribuer une APS (autorisation provisoire de séjour), avec droit au travail. Des amendements visaient à ce que soient délivrés des cartes d’un an aux deux parents, car :
1 - les enfants sont, comme les adultes, gravement malades, donc ont vocation à rester a priori durablement sur le territoire ;
2 - cohérence avec la volonté de "sécuriser" les parcours migratoires, comme le veut l’introduction de la carte pluriannuelle. Mais les mêmes motivations de rejet ont été avancées par le rapporteur en première et seconde lecture : qu’"il ne semble pas souhaitable d’aller jusqu’à la délivrance d’une carte de séjour dans le cas visé, mais seulement d’une autorisation provisoire de séjour, dans la mesure où le séjour des parents n’est pas durable en soi, mais lié à l’état de santé de l’enfant".

(1) : L’introduction rapide du "passeport talent" a été le principal motif de déclenchement de la procédure de lecture accélérée pour ce texte. C’est ce qu’explique un des conseillers de Bernard Cazeneuve.
(2) : Dans les faits, comme le rapporte l’Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE), la tendance observée est l’inverse : des avis médicaux qui demandent le maintien en France non suivis par les préfectures qui demandent le renvoi des personnes dans leurs pays.

Remerciements à Nicolas Klausser.

Commentaires

Portrait de hunckut

Quand on montre du doigt les énormes détournements de fonds vers les paradis fiscaux, l'imbécile regarde le petit fraudeur à la CMU!