Droits des étrangers : les mesures phares du projet de loi

Publié par jfl-seronet le 24.08.2015
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Droit et socialdroit des étrangers

En septembre, le projet de loi Immigration passera au Sénat pour une unique lecture. A l’Assemblée nationale, le texte a été examiné et voté fin juillet. Quelles sont les mesures phares de cette loi qui traite du droit au séjour pour soins ? Quels amendements ont été proposés et défendus par les organisations comme AIDES et ses partenaires de l’ODSE ? Qu’ont voté les députés et pourquoi ?

L’examen du projet de loi Immigration s’est déroulé du 20 au 24 juillet 2015 à l’Assemblée Nationale, soit cinq jours après l'adoption définitive de la loi sur le droit d'asile. L’objectif affiché du gouvernement avec cette nouvelle loi est de : mieux accueillir les migrants en situation régulière tout en luttant contre l'immigration illégale. Le ministre de l’Intérieur, lui-même, Bernard Cazeneuve, a expliqué en ouverture des débats parlementaires qu’il s’agissait pour les personnes concernées d’un "véritable parcours administratif du combattant". "Nous soumettons des centaines de milliers d'étrangers à environ une dizaine de passages par an en préfecture. Comment s'intégrer quand on court de titre précaire en titre précaire?", s’est interrogé le ministre de l'Intérieur, rejoignant en cela le constat fait depuis longtemps par les associations de défense des droits des étrangers. Plusieurs grandes mesures sont comprises dans le texte du gouvernement.

Un titre de séjour pluriannuel

L’une des mesures phares du texte est la création d'un titre de séjour pluriannuel valable entre deux et quatre ans. Ce nouveau dispositif s'adresse aux quelque 700 000 étrangers extracommunautaires — sur les 2,5 millions résidant en France — qui doivent faire renouveler leur titre de séjour chaque année (les autres disposent d'une carte de résident de 10 ans). L'objectif est double : d’une part de désengorger les préfectures qui offrent un "accueil indigne", selon les mots du rapporteur du texte, Erwann Binet (PS) et d’autre part faciliter l'intégration des étrangers, dont 60 % viennent d'Algérie, du Maroc, de Turquie et de Tunisie. Ce n’est un mystère pour personne, mais il est plus que difficile de sortir de la précarité, de trouver un emploi stable et un logement décent lorsque sa présence sur le territoire est sans cesse menacée. Cette carte sera délivrée après un titre de séjour de un an et pourra déboucher sur une carte de résident. Pour en bénéficier, un étranger devra justifier de son "assiduité et du sérieux de sa participation aux formations prescrites par l'Etat dans le cadre du contrat d'intégration". La personne devra aussi ne pas avoir "manifesté de rejet des valeurs essentielles de la société française et de la République". Le texte permet également l'obtention de la carte de résident au bout de trois ans pour les parents d'enfants français ou de conjoints français. Par ailleurs, les victimes de violences conjugales et les personnes menacées par un mariage forcé seront également prioritaires dans l'accès à un titre de séjour de longue durée. Comme le rapporte "Le Figaro", le Défenseur des Droits, Jacques Toubon, et les associations de défense des droits des étrangers craignent que cette mesure ne limite le nombre de cartes de résidents de dix ans. L'Assemblée nationale a approuvé (21 juillet) la création de ce titre de séjour pluriannuel. Socialistes et écologistes ont voté pour, et Les Républicains contre cette disposition, tandis que les autres groupes n'étaient pas présents à ce moment du débat.

Création d'un "passeport-talent"

La France accueille environ 200 000 nouveaux immigrants réguliers chaque année, un chiffre stable depuis dix ans. La moitié sont là pour des raisons familiales, 60 000 pour des études, 20 000 pour des raisons humanitaires (personnes réfugiées, personnes malades, etc.) et à peu près autant dans un but professionnel. Pour cette dernière catégorie, le texte crée le titre "passeport-talents" de quatre ans qui remplacera la multitude de titres existants pour les étrangers qualifiés ou ayant une compétence particulière (artistes, scientifiques, sportifs, etc.).

La lutte contre la fraude

La future loi comprend une lutte accrue contre la fraude aux titres de séjour. La préfecture pourra désormais se faire communiquer, sous le contrôle de la Cnil (Commission nationale informatique et libertés), des informations par d'autres administrations — les impôts, la sécurité sociale — ou certaines organisations privées comme les banques, des informations pour vérifier la situation des demandeurs. Bernard Cazeneuve promet que ces contrôles seront ciblés, les associations dénoncent l'aspect intrusif de cette disposition et les pouvoirs accrus des préfets. En fait, elles estiment que ce qui est mis en place est parfaitement disproportionné eu égard aux objectifs assignés… et à l’importance du phénomène de fraude. C’est aussi l’avis du Défenseur des droits.

L'assignation à résidence

En 2013, les placements en centres de rétention administrative (CRA) pour les étrangers en situation irrégulière ont été douze fois plus nombreux que les assignations à résidence — 200 000 contre 1 600 en 2013 — selon les estimations faites par le quotidien "Libération". Le projet de loi entend inverser la tendance. Les centres fermés seraient alors réservés aux étrangers présentant un risque de fuite. La réforme prévoit de redonner aux personnes étrangères placées en centre de rétention la possibilité de contester les conditions de leur arrestation. Elles pourront saisir le juge des libertés et de la détention au bout de 48 heures et non plus cinq jours comme c'est le cas depuis 2011 (loi Besson). "Il n'est pas acceptable qu'une grande partie des expulsés soient éloignés sans avoir vu un juge", a indiqué le député PS et rapporteur du texte Erwann Binet.

Le droit au séjour pour soins

Les députés ont approuvé (21 juillet) les modifications prévues concernant le droit au séjour pour soins. La législation actuelle permet à un malade étranger de bénéficier du droit au séjour pour soins et donc d’avoir un accès aux soins et à un traitement médical dont "l'absence" dans son pays pourrait entraîner pour lui "des conséquences d'une exceptionnelle gravité". La disposition du projet de loi sur le droit des étrangers votée par l'Assemblée prévoit que le droit au séjour pour soins est ouvert dès lors que la personne ne peut pas avoir un accès "effectif" dans son pays d’origine aux traitements dont elle a besoin. Elle maintient la notion "d'exceptionnelle gravité". En effet, a expliqué le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve, "ces soins peuvent être présents dans le pays mais non accessibles en raison de leur coût". Dans la pratique, a-t-il ajouté, il s'agit d'harmoniser le droit avec les faits, car la disposition actuelle, votée en 2011 (loi Besson) et qui exige, "sauf circonstance humanitaire exceptionnelle", une stricte absence du traitement, n'a jamais été appliquée dans la réalité, y compris par le gouvernement de droite, a expliqué l’AFP. Les députés Les Républicains ont voté contre le texte, la nouvelle rédaction, "plus vaste, plus floue, plus large" va entraîner "un véritable appel d'air". Selon l'un d'eux, Dominique Tian, un pays va dire à ses ressortissants : "je n'ai pas les moyens de vous soigner, allez vous faire soigner en France". Par ailleurs, en vertu du même article 10 du projet de loi, ce ne sera plus un médecin de l'Agence régionale de santé (ARS) qui donnera l'avis médical concernant le séjour au séjour pour soins d’un malade étranger, mais un collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii), afin "d'arriver à une nécessaire harmonisation", selon le rapporteur du texte, le député socialiste Erwann Binet. Actuellement, "les pratiques des ARS sont trop hétérogènes, avec des taux d'accords variant de 30 % à 100 %", a souligné Bernard Cazeneuve. Les médecins de l'Ofii agiront "sous le contrôle exclusif du ministère de la Santé", a-t-il assuré, pour calmer les inquiétudes des associations d'aides aux migrants, comme du Défenseur des droits, qui craignent une politique trop restrictive de l'Ofii, organisme dépendant du ministère de l'Intérieur. Relayant ces inquiétudes, les députés écologistes ont proposé, en vain, un amendement laissant l'avis aux médecins des ARS. Sur proposition d'Erwann Binet, et avec l'accord du gouvernement, les députés ont voté un amendement stipulant que les deux parents d'un enfant malade étranger soigné en France pourront obtenir un titre provisoire de séjour, et non un seul d'entre eux comme actuellement. A Dominique Tian qui affirmait que cette mesure provoquerait "un effet d'aubaine", Bernard Cazeneuve a répliqué : "si la France n'est plus capable d'adopter une telle mesure dans le consensus, c'est qu'elle n'est plus la France !".

AIDES et les partenaires de l’ODSE amendent

AIDES avec ses partenaires avaient proposé différents amendements pour améliorer le texte. Voici ce qu'ils proposaient, ce que les députés ont décidé et pourquoi.

L’accès à la carte pluriannuelle des malades étrangers
L’article 11 du projet de loi prévoit la délivrance d’une carte pluriannuelle aux malades étrangers. D’une durée de quatre années pour les motifs de séjour autres que la maladie, elle est équivalente à "la durée prévisible des soins" pour les malades. L’amendement des organisations non gouvernementales proposait que pour les malades étrangers, la carte pluriannuelle soit délivrée pour une durée de quatre années dès lors que l’avis médical préconise la poursuite des soins pour une durée égale ou supérieure à une année. Il n'a cependant pas été retenu.

Le séjour des parents d’enfant malade et des accompagnants de malade
Initialement, le projet de loi ne prévoyait pas de revenir sur la situation des parents d’enfant malade. Actuellement, seul un des deux parents peut se voir délivrer une autorisation provisoire de séjour (APS) sans droit au travail. Les amendements visaient à ce que soit délivrée une carte de séjour temporaire (CST) d’un an aux deux parents ou personnes titulaires de l’autorité parentale de l’enfant, ainsi qu'aux accompagnants de personnes malades. Lors des débats parlementaires, deux nouveaux amendements ont été déposés par des parlementaires :
- La délivrance de CST d’une année aux deux parents ;
- La délivrance d’APS aux deux parents, mais également aux titulaires de l’autorité parentale.
Finalement, l’amendement adopté a été celui d’Erwann Binet, député PS et rapporteur du projet de loi. Il prévoit qu’une APS soit délivrée aux deux parents, ou à l’étranger titulaire d’un jugement lui ayant conféré l’exercice de l’autorité parentale sur cet enfant mineur. Le rapporteur a précisé qu’"il ne semble pas souhaitable d’aller jusqu’à la délivrance d’une carte de séjour dans le cas visé, mais seulement d’une autorisation provisoire de séjour, dans la mesure où le séjour des parents n’est pas durable en soi, mais lié à l’état de santé de l’enfant".

Le transfert à une instance collégiale nationale sous tutelle du ministère de la Santé du dispositif d’évaluation médicale des malades étrangers
Le projet de loi prévoit que cette évaluation médicale soit effectuée par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii), qui dépend du ministère de l'Intérieur. L’amendement visait à ce que ce soit une commission médicale nationale sous tutelle exclusive du ministère de la Santé qui rende les avis médicaux, mais il n’a pas été repris. Le groupe Europe Ecologie Les Verts (EELV) a cependant déposé un amendement visant à rester en l’état du droit actuel, à savoir que ce soient les médecins des Agences régionales de santé (ARS) qui continuent d'effectuer cette évaluation médicale. Le transfert à l'Ofii a été adopté. Le gouvernement, tout comme la majorité parlementaire, ne voient pas d'inconvénients à ce que ce soit une instance sous tutelle du ministère de l'Intérieur qui effectue cette évaluation. Selon eux, les médecins sont avant tout des médecins, et de toute façon, ils agiront sous le "contrôle exclusif du ministère de la Santé" dixit Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur. Or, le texte prévoit simplement qu'ils agiront "dans le respect des orientations générales fixées par le ministère de la Santé", ce qui n'est pas tout à fait la même chose juridiquement.

La compétence liée du préfet quant à l’avis médical rendu
Initialement, l’amendement proposé par les associations visait à ce que l’avis médical rendu par le Mars (médecin de l’agence régionale de santé) lie l’autorité administrative, qui en déduit le type de protection à accorder. Face aux réticences du gouvernement à cet amendement, il a été reformulé de la manière suivante : "Lorsque l'avis du médecin [de l'OFII...] est favorable, le préfet ne peut s'en écarter que pour des considérations autres que médicales". Cette formulation permettant de lier le préfet uniquement sur les aspects médicaux et non sur les aspects administratifs (telles que la condition de résidence habituelle, ou l'absence de menace à l'ordre public). Il n’a pas été repris pour autant. Un amendement portant sur le même sujet a été déposé par des députés PS : "L’avis est conforme lorsqu’il conclut à l’impossible éloignement de l’étranger à raison de son état de santé". Cet amendement n'a pas été adopté. Le principal argument avancé par le rapporteur Erwann Binet a été le risque de fraude au droit au séjour pour soins. L'exemple d'une personne malade allant d'hôpital en hôpital sous l'identité de personnes étrangères non-malades, pour que ces dernières puissent bénéficier d'un droit au séjour pour soins a été cité. L'argument des fraudes est redondant pour plusieurs amendements.

La protection contre l’éloignement des personnes étrangères gravement malades enfermées en rétention, en prison ou assignées à résidence
L’amendement visait à permettre une protection effective des malades étrangers contre l'éloignement. Il s'agissait de conférer un effet suspensif à la mesure d'éloignement lorsque le Mars (médecin de l’agence régionale de santé) est saisi postérieurement à la notification de cette mesure. Cet amendement a été en grande partie repris par certains députés, du PS et d'EELV. Cet amendement n'a pas non plus été adopté. Le rapporteur a émis un avis défavorable, en avançant qu'un caractère suspensif de la mesure d'éloignement ne pourrait avoir pour seul effet que la multiplication des saisines dilatoires (c'est-à-dire les saisines systématiques des médecins lorsqu'un étranger risque de se faire éloigner, afin de retarder l'échéance).

Le retour de l'appréciation du bénéfice effectif du traitement approprié dans l'évaluation médicale
La loi dite "Besson" du 16 juin 2011 avait substitué au critère de l'impossibilité pour l'étranger de bénéficier "effectivement" d'un traitement approprié dans son pays d'origine, celui de "l'absence de traitement approprié". Par ce projet de loi, la notion d'effectivité dans l'approche à mener lors de l'évaluation médicale est de retour. Mais cette modification n'a de sens qu'à condition que l'évaluation médicale soit menée dans une logique de prévention de la santé, et non de contrôle de l'immigration.

Le vote au Sénat mi-septembre : la mobilisation continue !

Si le reste des amendements défendus par les organisations non gouvernementales n'a pas été adopté, rien n'est joué pour autant. Le texte devrait être débattu au Sénat au cours du mois de septembre, aucune date précise n'ayant été fixée pour l'instant. Pour rappel, la procédure accélérée a été engagée sur ce projet, ce qui signifie qu'il ne devrait être débattu qu'une seule fois par chaque chambre, avant d'être voté (et non deux fois, comme c'est le cas pour la procédure ordinaire). La Commission des lois du Sénat a demandé à auditionner AIDES et d'autres associations membres de l'Observatoire du droit à la santé des étrangers sur ce texte le 8 septembre.

Commentaires

Portrait de jl06

Continuons comme cela on vas direct dans le mur ....quel malheur de laissé le pouvoir à une bande d,amateurs ....