Droits sexuels Outre-mer : la CNCDH alerte

Publié par jfl-seronet le 28.12.2017
4 650 lectures
Notez l'article : 
5
 
0
Sexualitédroits sexuelsdroits reproductifs

La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a publié le 21 novembre un avis sur les violences de genre et les droits sexuels et reproductifs dans les Outre-mer. Avec ce document officiel, la CNCDH entend "alerter les pouvoirs publics sur les obstacles à la jouissance effective des droits sexuels et reproductifs et les dangers que ces difficultés font peser sur les femmes, les fillettes et les personnes LGBT dans les territoires ultramarins".

Dans son dernier avis sur la situation des droits de l’homme dans les Outre-mer, la CNCDH dresse un constat qui n’est pas positif, loin s’en faut. En effet, rappelle l’institution : "les femmes, les filles et les personnes LGBT rencontrent des difficultés à bénéficier effectivement de leurs droits sexuels et reproductifs".

Dans un communiqué qui accompagne la publication de cet avis, Christine Lazerges, présidente de la CNCDH, explique : "Les institutions sanitaires ultramarines et les acteurs associatifs constatent un nombre élevé de grossesses précoces, et, en certains endroits, une forte prévalence des infections sexuellement transmissibles. La situation déplorable en matière de santé sexuelle et reproductive, reflète, plus généralement, des contextes marqués par des taux élevés de violences faites aux femmes et d’un recours à la contraception très insuffisant. Malheureusement, les dispositifs de prévention et des soins existants sont insuffisants. Il est impératif d’atteindre l’ensemble des populations les plus isolées et les plus vulnérables dans les territoires ultramarins".

Des préjugés sexistes et homophobes préoccupants

Que ce soit en raison de préjugés et de stéréotypes de genre, les sociétés ultramarines sont marquées par les violences à l’encontre des femmes, des filles et des personnes LGBT, explique la CNCDH. Ajoutée à l’isolement géographique et au manque de moyens humains et matériels, la vulnérabilité des femmes, des filles et des personnes LGBT les éloigne des dispositifs existants de santé sexuelle et reproductive. L’avis consacre un de ses chapitres (pages 19 à 26) aux discriminations dont sont victimes les femmes et les personnes LGBT. "La situation des personnes gaies, lesbiennes, bi et trans est préoccupante dans certains territoires ultramarins. Les LGBTphobies ressortent du même phénomène de sexisme fondé sur des rôles sociaux dépeints comme immuables et où la virilité est constamment valorisée. La figure de l’homosexuel masculin comme de la femme transgenre est perçue comme particulièrement subversive et les violences les visant sont légitimées. L’enquête KAPB sur les DFA (1) montre ainsi que 51,8 % des hommes et 45,7% des femmes y habitant considèrent l’homosexualité comme une "sexualité contre nature". Ils sont respectivement 17,6 % et 13,3 % à trouver que c’est le signe d’un "problème psychologique grave".

Evidemment, ce contexte a des répercussions en matière de santé. "Ainsi, le poids social de l’homophobie peut empêcher les personnes de vivre leur sexualité au grand jour : l’homosexualité, pour être acceptée, doit rester discrète, cachée. Ce rejet se traduit par un tissu associatif très réduit, et l’absence de lieux communautaires de sociabilité où les personnes puissent échanger et s’informer", précise l’avis. "En conséquence, les personnes homosexuelles, tout comme, plus largement, les personnes ayant des relations sexuelles avec des personnes de même sexe, mais qui ne  se définissent pas comme homosexuelles constituent un public plus difficile à atteindre pour les actions de prévention". "Les rencontres se passent lors de soirées privées, ou via des rendez-vous fixés par des échanges en ligne, anonymes et exposant les personnes à des violences éventuelles. Dans ces conditions, et compte tenu de l’opprobre pesant sur l’homosexualité et la transidentité, presque aucune plainte n’est déposée, les victimes n’osant pas dénoncer les discriminations ou les violences dont elles sont victimes", écrit la CNCDH.

Point important, dans son avis, la CNCDH dénonce l’attitude particulière de certain-e-s élu-e-s et leur responsabilité dans le climat LGBTphobe ainsi créé. "La CNCDH s’inquiète de l’irresponsabilité avec laquelle certains élus ultramarins font état de leur hostilité à l’égard de l’homosexualité ; certains de ces propos  étant assimilables à des appels à la haine. Cet opprobre diffus qui vise l’homosexualité,  combinée à l’exiguïté de sociétés insulaires dans lesquelles "tout le monde se connaît", contraint les personnes ayant des relations homosexuelles à vivre leur sexualité "anba fèy" – sous la feuille –, c’est-à-dire dans l’anonymat. Concernant les personnes trans, les informations sont encore moins nombreuses, note la CNCDH. Cette dernière regrette d’ailleurs que les "enquêtes KABP n’aient pas pris en compte la transidentité, d’autant que cette population est particulièrement vulnérable et présente une très forte prévalence au VIH en métropole. Les personnes trans semblent cependant commencer à  être plus visibles, notamment à la Réunion, où l’association Rive a monté un groupe d’information avec des personnes concernées".

D’autres facteurs sont avancés pour expliquer la persistance et l’importance des discriminations sexistes, homophobes ou transphobes. "Plusieurs interlocuteurs de la CNCDH ont souligné le rôle à ne pas négliger de certaines communautés religieuses dans les freins à la contraception. En Guyane, des églises évangéliques, ainsi que certains prêtres de l’Eglise catholique véhiculent un message de dissuasion concernant l’utilisation de la contraception", dénonce l’avis. "Le poids de la religion peut aussi expliquer en partie le rejet dont sont victimes les  personnes homosexuelles et trans. Cette même enquête [KAPB DFA, ndlr] montre en effet que les personnes pour qui la religion a beaucoup d’importance, sont 78,3 % (hommes) et 67,2 %  (femmes) à considérer l’homosexualité comme "contre nature" ou comme signe d’un problème psychologique grave, contre 54,3 % des hommes et 31,5 % des femmes qui accordent peu d’importance à la religion.

Renforcer la prévention et mieux accompagner les victimes de violences de genre

Avec plus d’une vingtaine de recommandations, la CNCDH alerte sur l’ampleur du phénomène. Renforcer la prévention et l’éducation à la sexualité est nécessaire, notamment en milieu scolaire, à condition que de telles actions soient adaptées aux spécificités locales, préconise l’institution. Il faut également améliorer l’accessibilité de l’offre de soins de proximité et en garantir la continuité pour les victimes de violences de genre. La situation étant rendue particulièrement critique par la faiblesse du tissu associatif, la CNCDH invite les pouvoirs publics à soutenir davantage les associations et les petites structures locales. Enfin, il faut permettre la détection systématique des violences, encourager les victimes à porter plainte et renforcer la réponse pénale.

(1) : Il s’agit d’une enquête sur les connaissances, attitudes, croyances et comportements (KABP en anglais : Knowledge, Attitudes, Practices and Behaviour) face au VIH/sida, menée une première fois aux Antilles et en Guyane en 2004, puis reconduite en 2011.