Durban 2016 : le discours militant de Charlize Theron

Publié par Rédacteur-seronet le 30.07.2016
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ConférencesAids 2016

Chaque conférence mondiale sur le sida donne, tradition oblige, lors de la cérémonie d’ouverture, la parole à une célébrité, le plus souvent une vedette alliant notoriété planétaire et engagement militant. Cette année, c’est l’actrice sud-africaine Charlize Theron qui a marqué les esprits avec une intervention atypique, d’une grande sincérité et d’une grande force militante. Une fois n’est pas coutume ce discours était libre de droit. Seronet vous propose une traduction.

Bonsoir Mesdames et Messieurs,

C’est la règle, lorsque vous êtes invitée à prendre la parole lors d’une conférence de commencer par : "Je suis honorée et reconnaissante d’être là".

Et je le suis, reconnaissante, d’avoir la chance de discourir, d’être ici en présence de tant de gens estimables.

Mais pour être honnête avec moi-même, et avec vous, je suis aussi triste d’être là, à la 21e conférence internationale sur le sida.

C’est la seconde fois que mon pays natal, l’Afrique du Sud, l’accueille.

Ce n’est pas un "honneur". Ce n’est pas quelque chose dont nous devrions être fiers. Nous ne devrions pas devoir encore accueillir cette conférence.

Comprenez-moi bien, je ne cherche pas à insulter, ni à minimiser le travail extraordinaire fait par cette incroyable communauté depuis toutes ces années.

J’ai constaté l’impact de ce travail. J’ai été personnellement inspirée par votre implication dans ce combat. Un nombre incalculable de personnes seraient mortes sans votre engagement et votre compassion. Mais je pense qu’il est temps de reconnaître que quelque chose de terrible est en cours. Il est temps d’affronter la vérité sur le monde injuste dans lequel nous vivons. La vérité, c’est que nous avons tous les outils pour prévenir l’épidémie de VIH. Tous les outils nécessaires : préservatif, PrEP, traitement d’urgence, antirétroviraux, informations. Et pourtant, 2,1 millions de personnes, dont 150 000 enfants, sont devenus séropositifs au VIH l’année dernière. Rien qu’en Afrique du Sud, 180 000 personnes sont mortes des suites du sida en 2015. 2,1 millions d’enfants et plus chaque jour sont devenus orphelins à cause de cette maladie. Je pourrais énumérer pendant une heure ces terrifiantes statistiques que nous connaissons tous.

Demandons-nous plutôt… Pourquoi nous n’avons toujours pas vaincu cette épidémie ?

Est-ce parce que nous ne le voulons pas ? Par nous, je veux dire pas seulement les personnes rassemblées dans cette salle, mais l’humanité toute entière.
Parce que lorsque vous posez cette question, vous obtenez les mêmes réponses, encore et encore. Mettre fin au sida est trop cher. Décourageant, trop compliqué. Trop stigmatisé, trop politique. Je m’arrête ici, car ce ne sont pas vraiment des réponses. Ce sont des excuses.

La vraie raison, expliquant que nous n’avons pas battu l’épidémie, repose sur un simple fait : nous estimons des vies plus que d’autres. Nous estimons plus les hommes que les femmes. L’amour hétéro plus que l’amour homo. La peau blanche plus que la peau noire. Les riches plus que les pauvres. Les adultes plus que les adolescents.

Je le sais car le sida ne discrimine pas de lui-même. Il n’a aucune préférence biologique pour le corps des Noirs, des femmes, des gays, des jeunes ou des pauvres. Il ne vise pas les vulnérables, les opprimés ou les maltraités.

NOUS distinguons par nous-mêmes les vulnérables, les opprimé-e-s et les maltraité-e-s. Nous les ignorons. Nous les laissons souffrir. Et au final, nous les laissons mourir.
Ma fondation CTAOP (Charlize Theron Africa outreach project) et de nombreux autres acteurs réclamons que les jeunes d’aujourd’hui soient la génération qui en finira avec l’épidémie. D’être la "GenARRETion" de celle-ci.

Mais soyons clair sur ce que "celle-ci" signifie. Ce n’est pas juste le sida.

C’est la culture qui tolère et cautionne le viol, qui pousse les victimes au silence, par la honte.

C’est le cercle de la pauvreté et de la violence qui piège les jeunes filles dans des mariages forcés ou qui les contraint à vendre leur corps (1) pour aider leurs familles. C’est le racisme qui permet aux Blancs riches d’exploiter les Noirs et pauvres, pour ensuite les blâmer de leur propre souffrance. C’est l’homophobie, qui violente et isole les jeunes LGBT et les éloignent des soins et de l’information vitales.

Le VIH ne se transmet pas juste par le sexe. Il se transmet par le sexisme, le racisme, la pauvreté et l’homophobie.

Si nous voulons mettre fin au sida, nous devons guérir de cette maladie dans nos cœurs et nos esprits en premier. Et croire que les jeunes seront ceux qui le feront. Les jeunes ont toujours été les meneurs du changement social. Et cette génération détient cette promesse unique. Après tout, c’est la génération de Malala Yousafzai et Anoyara Khatun [Deux jeunes femmes engagées pour les droits humains  et la fin de l’exploitation des enfants dans le monde, Malala a reçu le prix Nobel de la Paix, ndlr].

Voici la génération qui fait voler en éclat les tabous et redéfinit les notions dépassées sur le genre, la sexualité et une justice antiraciste.

Il n’y a pas si longtemps, ici même en Afrique du Sud, j’ai vu une jeune activiste LGBT réclamer à un pasteur l’accès à l’Eglise pour tous. Son courage et sa détermination furent un exemple pour moi.

Et je sais, que sa confiance en elle vient d’adultes attentifs à créer des espaces sûrs et rassurants pour parler de sujets difficiles, sans jugement. D’adultes qui transmettent et donnent les moyens aux jeunes de prendre le contrôle de leur corps et la direction de leur avenir. Vous êtes les chercheurs, les acteurs, bailleurs de fonds, les professionnels médicaux et coordinateurs de projets à la pointe au niveau mondial.

Le travail que vous faites est vital. Il a changé la dynamique de l’épidémie. Mais il n’y mettra pas fin, pas tout seul. Oui, nous devons tous prendre notre part. Travailler plus, plus vite et plus intelligemment que jamais. Mais… ce ne sera pas notre génération qui verra la fin du sida. Ce sera la suivante.

Je crois que la chose la plus importante, que chacun de nous devra faire après être parti d’ici, c’est se rapprocher d’un, d’une jeune. L’écouter, vraiment, pour ce qu’il/elle a à dire. Lui donner une place autour de la table, être partie prenante de la discussion. Et s’assurer que notre travail respecte son opinion et sa voix.

La solution à cette épidémie n’est pas simplement dans nos laboratoires, bureaux ou centres de conférence comme celui de Durban. Elle réside dans nos communautés, nos écoles et nos quartiers, où un bon choix et une main tendue peuvent signifier la vie ou la mort. Nelson Mandela disait : "Les jeunes sont capables, quand ils sont éveillés, de mettre à terre les murs des oppressions et élever les drapeaux de la liberté".

Si nous soutenons la jeune génération, si nous lui donnons la confiance et l’espace pour prendre la parole contre l’injustice et le sectarisme, si nous prenons le temps de l’écouter et de l’armer… elle mettra fin à l’épidémie.

Pour terminer, j’aimerais vous remercier, vous tous, pour votre travail incroyable et votre engagement dans ce mouvement extraordinaire. Cette assemblée est vraiment un modèle. Et je le redis, je suis reconnaissante d’être ici.

Mais, avec tout le respect dû, j’espère que nous nous rassemblerons plus de la sorte. Depuis la première conférence internationale en 1985, nous les avons comptées, jusqu’à la 21e aujourd’hui. Il est temps maintenant d’inverser le compte à rebours. Nous avons pris pour but la fin de l’épidémie de VIH/sida en 2030. Il reste encore quatre conférences internationales entre aujourd’hui et cette date. Celles-ci doivent être les dernières.

Merci.

Traduit par Mathieu Brancourt

(1) : Cette phrase à fait polémique chez les travailleurs et travailleuses du sexe présents à Durban. Interpellée, Charlize Theron s’est excusée auprès des activistes dans le Global Village.

Lire le discours en anglais.