Durban 2016 : plus que jamais, le sida est politique

Publié par Théau Brigand le 29.08.2016
6 112 lectures
Notez l'article : 
0
 
ConférencesAids 2016

C’est une des spécificités des conférences internationales sur le sida, la dimension politique est pleinement intégrée dans le programme, des plénières aux sessions, mais aussi en marge, autours d’événements activistes et alternatifs en regard des sessions officielles. La conférence de Durban n’a pas fait exception, au contraire même !

Annonce marquante de la Conférence : l’épidémie de VIH ne recule pas, au contraire. Pourtant, les outils existent pour y mettre fin. Si l’épidémie ne recule pas, c’est donc en raison des barrières à l’accès à la prévention et aux soins : traitements antirétroviraux dans les pays pauvres, des financements qui plafonnent, des systèmes de santé défaillants et les discriminations et négation des droits. Cette pénalisation des personnes pour ce qu’elles sont, en raison de leur vie, de leur statut sérologique, de leur orientation sexuelle, de leur genre, de leurs pratiques est fruit de lois. La lutte contre le sida est donc plus que jamais une lutte politique, une lutte en direction des institutions nationales et internationales. Une lutte sur les financements, une bataille pour l’accès aux droits, à la santé et un combat contre les discriminations.

Une dimension politique intégrée au programme

La précédente conférence mondiale de Durban, en 2000, avait marqué un tournant historique en matière de lutte contre le VIH, lançant l’accès aux traitements pour le plus grand nombre. Elle avait été l’un des moments clefs pour une mobilisation internationale des Etats contre l’épidémie. Revenir à Durban, seize ans plus tard, c’était aussi l’occasion de regarder en arrière, regarder le chemin parcouru.

Depuis, la lutte mondiale contre le sida s’est transformée : 17 millions de personnes séropositives au VIH sont sous traitement, plus de 4,2 millions de morts ont été évitées et le nombre de nouvelles contaminations a diminué de 58 %. Cependant, d’après une étude publiée dans la revue scientifique "The Lancet", le nombre de nouvelles contaminations ne diminue plus depuis 2005. Ce tableau nous éclaire sur les succès et échecs, sur ce qui fonctionne, et là où les batailles restent urgentes. Il démontre que la mobilisation internationale a du sens. L’engagement des Etats, via le Fonds mondial de lutte contre le sida notamment, a permis l’accès aux traitements ARV pour un très grand nombre de personnes. Elles restent cependant trop nombreuses à n’en pas voir la couleur, au prix de nombreuses vies. Il y a urgence à changer d’échelle et passer d’un accès aux traitements pour le plus grand nombre à un accès universel.

Un changement d’échelle est urgent

Ce changement d’échelle et cette urgence, non pas d’un maintien, mais d’un renforcement des financements internationaux a été comme un fil conducteur à Durban. Les activistes ont pris la scène pour le faire entendre dès la plénière d’ouverture et les intervenants de la conférence l’ont rappelé tous les jours jusqu’à la clôture. Aussi, de nombreuses initiatives et réunions se sont organisées pour échanger de manière plus technique sur cet enjeu, sur les nouvelles sources de financements à imaginer ou sur la répartition des fonds disponibles. Une idée ressort de manière unanime : les progrès réalisés sur ces dernières années, qui permettent d’entrevoir la fin de l’épidémie, seront anéantis si la riposte n’accélère pas, et donc que les fonds alloués à cet effet n’augmentent pas. Mais les activistes ne se contentent pas de demander une augmentation des financements internationaux, ils veulent pouvoir aussi faire plus avec les ressources déjà disponibles. Deux grandes organisations non gouvernementales ont dénoncé les prix pratiqués par deux laboratoires pour des traitements vitaux, que ce soit pour le VIH ou pour l’hépatite C, mais aussi sur un traitement innovant contre le cancer du sein.

Les financements, un des éléments de la lutte

Cependant, les financements ne sont qu’un des éléments constituant la lutte contre le sida et les hépatites. Ils ne sauraient suffire si des progrès significatifs ne sont pas faits, en parallèle sur les droits et contre les discriminations. C’était là l’un des autres axes de cette conférence qui s’est déroulée sous la thématique "Access equity rights now" (L'accès, l'équité et les droits, maintenant). En 2016 encore, les usagers de drogues, les travailleurs et travailleuses du sexe, les personnes LGBT ou les personnes séropositives sont stigmatisées, victimes de violences physiques ou institutionnelles, quand elles ne sont pas purement criminalisées pour ce qu’elles sont. Or, ces formes de répression ne sont pas sans conséquences sur la santé individuelle et collective des populations les plus vulnérables. Elles contribuent à éloigner ces personnes des offres de prévention, de dépistage et de soins. L’actrice Charlize Theron lors de la cérémonie d’ouverture, l’a d’ailleurs rappelé sans détour. La lutte contre le sida est une lutte contre racisme, le sexisme, l’homophobie et la transphobie, contre les inégalités et POUR l’accès aux droits pour toutes et tous !

Le Nord n’a aucune leçon à donner au  Sud

En miroir, les activistes et militants internationaux organiseront de nombreux événements pour faire parler les personnes qui luttent dans ces contextes répressifs. Dans l’accès aux droits, le Nord n’a aucune leçon à donner aux pays du Sud. De très nombreux pays d’Europe ont encore des lois très conservatrices sur l’usage de drogues, en dépit des évidences médicales et scientifiques. La France, la Suède, la Norvège, pour ne citer qu’elles, ne cessent de renforcer leur arsenal juridique respectif contre le travail du sexe, là encore en dépit des données de la science. La criminalisation de la transmission sexuelle du VIH, et par là des personnes elles-mêmes, est particulièrement préoccupante dans des pays comme le Canada ou les Etats-Unis. Durant une session satellite sur le sujet, une femme détenue a livré un témoignage, par téléphone d’une prison aux Etats-Unis. Elle a été condamnée pour ne pas avoir dévoilé ("avoué") son statut sérologique avant un rapport sexuel, alors même qu’elle était en charge virale indétectable, qu’il y avait eu usage de préservatif, et que le partenaire n’a pas été, très logiquement, contaminé. Une autre session, est revenue sur l’effet des lois et jurisprudences qui créent un racisme systémique et servent de fait à sur-criminaliser des groupes de populations. Aux Etats-Unis, dans ce type d’affaires, il y a une sur-représentation des personnes afro-américaines sur le banc des accusés. En Australie, la jurisprudence est telle qu’être travailleur ou travailleuse du sexe et se découvrir séropositif-ve au VIH constitue presque un crime en soi.

L’impératif d’avancer sur le champ des libertés et des droit pour en finir avec le sida fut au cœur du discours en plénière d’Edwin Cameron, juge à la cour constitutionnelle et héros de  la fin de l’aparthied en Afrique du Sud, ouvertement gay et séropositif. Celui-ci, à partir de son histoire et de ses combats, a aussi martelé l’importance de la fierté comme arme complémentaire contre le sida. Il est nécessaire que les personnes puissent accéder à la santé, tout comme les personnes vivant avec le VIH puissent le dire, l’assumer, sans craintes d’être stigmatisées. Au final, les moteurs de l’épidémie sont loin de devoir cantonner la lutte à une simple question de recherche, même si l’objectif de vaccin et de guérison sont un graal légitime. Ici encore la réponse politique demeure fondamentale. Et non pas par les mots, mais par les actes.