EASL 2016 : l’auberge espagnole (1/2)

Publié par Marianne L’Hénaff le 26.07.2016
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ConférenceshépatiteVHCAADAVDantiviraux à action directeEASL 2016

La Conférence internationale sur les maladies du foie (EASL) s’est tenue à Barcelone du 13 au 17 avril dernier. Il faisait beau, même si nous n’en profitions pas beaucoup, car enfermés toute la journée. Le coût et l’accès au traitement de toutes les personnes porteuses d’une hépatite C étaient au cœur des présentations et des discussions dans les couloirs.

Il y a eu bien sûr encore beaucoup de résultats d’études, avec des nouvelles combinaisons non encore commercialisées, donnant encore plus de guérisons virologiques en traitant encore moins longtemps (huit semaines) et aussi des résultats avec les combinaisons déjà utilisées, en essayant de trouver qui pourrait être traité moins longtemps, c’est-à-dire trouver quels facteurs une personne doit présenter pour avoir les mêmes bons résultats avec une durée plus courte de traitement. Le coût et l’accès au traitement de toutes les personnes porteuses d’hépatite C animaient les présentations et toutes les discussions dans les couloirs. Les analyses scientifiques et discussions sur les coûts acceptables se sont succédé. Plusieurs travaux ont été présentés sur l’accès, la sécurité et l’efficacité des génériques. D’ailleurs, le scoop de la conférence a été la présentation du Dr Freeman, sur la sécurité et l’efficacité des génériques des antiviraux directs (AVD).

L’interféron est définitivement enterré pour le traitement de l’hépatite C (pas pour l’hépatite B et la D), même s’il reste beaucoup de problèmes d’accès aux AVD à cause de leur prix. Lors de l’ouverture du congrès, les quatre grandes sociétés savantes pour l’étude des maladies du foie de différentes régions du monde se sont retrouvées pour signer un manifeste qui a été envoyé à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), demandant l’éradication de l’hépatite C et le contrôle universel des hépatites virales.

Des militants espagnols ont manifesté devant le congrès, réclamant le traitement pour tous, des génériques, en lançant des gélules remplies de paillettes dorées, représentant la pilule en or massif, le Sovaldi du laboratoire Gilead. Les malades réclamaient l’accès au traitement pour tous à des prix raisonnables. Les Castellers catalans (sorte d’acrobates), ont exécuté un castell, une pyramide humaine avec au sommet un enfant symbolisant l’avenir à protéger du VHC, devant les militants avec leurs pancartes et leurs porte-voix interpellant les laboratoires sur les prix exorbitants des traitements. La manifestation s’est terminée par un "die-in", pour rendre hommage aux morts de la maladie et pour rappeler l’urgence de la situation, nous nous sommes allongés cinq minutes en plein soleil.

Astral 5 : sofosbuvir/velpatasvir douze semaines chez les personnes co-infectées VIH/VHC

L’objectif de cette étude était d’évaluer la tolérance et l'efficacité de sofosbuvir/velpatasvir (Epclusa, pas encore commercialisée), chez des personnes co-infectées VIH/VHC.

106 personnes co-infectées VIH/VHC naïves ou prétraitées, de tous génotypes (1 à 4), avec ou sans cirrhose et charge virale du VIH indétectable sous traitement antirétroviral ont été inclus et ont reçu sofosbuvir/velpatasvir (Epclusa), un comprimé par jour, pendant 12 semaines. Il y avait 86 % d’hommes, 29 % étaient en échec d’un traitement antérieur (surtout interféron pégylé-ribavirine) et 18 % avaient une cirrhose compensée. Le taux global de RVS12 était de 95 % (92 à 100 % selon les génotypes). La cirrhose et le fait d’être naïf ou prétraité n’ont pas eu d’impact sur la RVS. Les effets indésirables les plus fréquents étaient la fatigue (25 %), les maux de tête (13 %), les douleurs articulaires (8 %) et les nausées (7 %) d’intensité modérée. Cette association pendant 12 semaines chez les personnes co-infectées VIH/VHC de génotypes 1, 2, 3 et 4 entraîne un taux de RVS12 de 95 % (100 % chez les personnes avec cirrhose et 97 % chez les personnes déjà traitées), avec une bonne tolérance.

Les génériques d’AVD sont équivalents aux médicaments princeps, en efficacité et tolérance

Le docteur James Freeman l’a prouvé lors de l’EASL. Durant fin 2015 et début 2016, ce médecin australien a enrôlé dans son étude Redemption 1 (étude toujours en cours) toutes les personnes qui se procuraient une version générique des antiviraux à action directe, car, en Australie, les AVD n’ont été disponibles et remboursés qu’en mars 2016 (soit deux ans après la France), et c’était donc une question de vie ou de mort pour certains, en cirrhose et en échec. Les patients ont été recrutés sur le site fixhepc, un buyers club (1) qui a testé les génériques et qui aide donc les patients à trouver les bonnes molécules et les bons fournisseurs aux prix suivants : sofosbuvir/ledipasvir (SOF/LDV) à 1 600 $ pour 12 semaines et sofosbuvir/daclatasvir (SOF/DCV) à 1 500 $ pour 12 semaines, plus ribavirine (RBV) si besoin. Selon la loi australienne, les personnes ont le droit d'importer trois mois de médicaments pour leur usage personnel, idem pour l’Angleterre et pour la France (2). Les patients du monde entier inscrits sur le site ont été suivis avant, pendant et après le traitement sur une plateforme de télémédecine afin de récolter les données par un bilan sanguin (génotype, degré de fibrose et charge virale, etc.). Le site fait ensuite parvenir au patient une ordonnance qui lui permettra d’obtenir son traitement, qu’il paie lui-même. Au bout de 4 semaines, le site demande une autre analyse sanguine (charge virale), puis à 12 et 24 semaines. L’étude a permis à 448 patients (qui pouvaient se le payer) d’accéder à ces produits. Ces personnes venaient des cinq continents. Il y avait un Français, pas mal d’Européens et beaucoup d’Australiens. Le pourcentage de patients ayant une charge virale indétectable à la fin du traitement était de 99 % pour l’ensemble des participants.

Le traitement par ces génériques d’AVD a conduit à des taux de RVS4 (réponse virologique soutenue à 4 semaines après la fin du traitement) supérieurs à 94 % avec SOF/LDV et à 97 % avec SOF/DCV. Ces taux de RVS sont similaires à ceux observés dans les essais de phase III avec les médicaments de marque des laboratoires avec une excellente tolérance, mais à un prix cent fois inférieur au traitement courant.

Le traitement de masse avec des génériques d’AVD vérifiés, car il circule aussi des génériques contrefaits, est une option possible et efficace, là où les prix élevés empêchent l'accès au traitement princeps. Telle a été la conclusion du Dr James Freeman. Sa présentation s’est achevée par une salve d’applaudissements très longue, comme rarement entendue dans un congrès médical…

Traitement de six semaines dans l’hépatite C aiguë (sans co-infection)

Il y a peu de données sur l’efficacité et la tolérance des AVD dans l’hépatite C aiguë (premier mois après l’infection). L’objectif de cette étude allemande était d’évaluer l’efficacité d’un traitement par sofosbuvir/ledipasvir (Harvoni) pendant 6 semaines chez des personnes ayant une hépatite C aiguë de génotype 1, sans co-infection par le VIH. Les personnes ont été traitées immédiatement sans attendre une possible guérison virale spontanée. 20 personnes ont été incluses dans 10 centres entre novembre 2014 et octobre 2015.

Il y avait 60 % d’hommes, d’âge moyen de 46 ans. Les causes d’infection étaient une transmission sexuelle chez 11 patients, des gestes médicaux/accident d’exposition au sang chez 5 personnes, un usage de drogue, une manucure et sans cause retrouvée pour 2 personnes. Les 20 personnes ont obtenu une guérison virologique. Les symptômes gastro-intestinaux et la fatigue étaient les effets indésirables les plus fréquents. Ce schéma de traitement a été très efficace. Mais ces hépatites aiguës étaient toutes symptomatiques (transaminases et bilirubine élevées) et avec donc un taux de guérison spontanée qui aurait été probablement élevé. Le schéma identique (6 semaines d’Harvoni) chez les personnes infectées par le VIH et récemment contaminées par le VHC par voie sexuelle avait été moins efficace (résultats Croi 2016 : RVS12 de 77 %, avec trois échecs virologiques, une réinfection pendant le traitement et deux perdus de vue), mais ces personnes vivant avec le VIH n’avaient pas eu d’éradication spontanée dans les 6 mois suivant la transmission et avaient une charge virale VHC élevée.

Les AVD d’Abbvie dans la vraie vie (allemande, espagnole)

Cette étude de la cohorte allemande "vraie vie" (cohorte DHC-R) montre des résultats d’efficacité et de tolérance du traitement ombitasvir +paritaprévir + dasabuvir ± ribavirine (RBV), chez des patients porteurs d’un génotype 1 ou ombitasvir + paritaprévir pour les génotypes 4. Mille personnes (26 % génotype 1a, 60 % génotype 1b, 12 % génotype 4), dont 22 % en cirrhose et 60 % en échec d’un traitement antérieur) ont été traités et la RVS était disponible pour 543 d’entre eux. Les événements indésirables (en majorité légers ou modérés) les plus fréquents étaient : fatigue, démangeaisons, maux de tête et insomnie. Les taux de RVS en fonction des génotypes : 95 % pour les génotypes 1a, 97% pour les génotypes 1b et 100 % pour les génotypes 4. Seuls six personnes (1,1 %) ont présenté une rechute virologique.

L’étude espagnole a inclus 1 746 personnes (dont la moitié en cirrhose) avec un génotype 1 traités par paritaprévir/ritonavir + ombitasvir + dasabuvir ± ribavirine (PrOD pour les intimes) +/- ribavirine pendant 12 à 24 semaines. L’analyse porte sur 1 567 patients ayant atteint la RVS4. La moitié des patients était naïve d’AVD, les autres rechuteurs ou non répondeurs. Plus de la moitié a reçu de la ribavirine en plus. 92 % ont été traités douze semaines et 8 % sur 24 semaines. Le taux de RVS12 de 97 % confirme l’efficacité. Mais il y a eu 8 décès dont trois liés au traitement (acidose lactique, insuffisance hépatique aiguë et décompensation hépatique) et 8 cas de décompensation hépatique. L’âge et la sévérité de la cirrhose étaient liés à la survenue de ces effets indésirables graves. Cette étude confirme qu’il ne faut pas donner la PrOD d’Abbvie aux patients en cirrhose Child B et C (car risque accru de décompensation hépatique).

Augmentation de récidive de cancer du foie après un traitement par AVD : pas chez nous !

Deux études, dont une alarmante sur la récidive du cancer du foie (CHC ou carcinome hépato-cellulaire), survenant dans les six mois après éradication virale avec les AVD ont été présentées.

Dans l’étude italienne, le risque de récidive de CHC s'élevait à près de 30 % dans les six mois après éradication du virus de l'hépatite C (VHC) avec les AVD chez les p ayant une cirrhose et un antécédent de cancer du foie déjà traité. Entre mars et novembre 2015, 344 patients présentant une cirrhose (compensée pour 90 %) et traités avec des AVD (plusieurs combinaisons d’AVD) ont été inclus, dont 59 participants (17 %) ayant un antécédent de CHC traité avec succès. Douze semaines après la fin du traitement par AVD, le virus avait été éliminé chez 89 % des patients. Au cours des six mois de suivi, un CHC actif a été détecté chez 26 personnes soit 7,6 % d'entre elles (29 % des patients qui avaient un antécédent de CHC, et chez 3 % de ceux sans antécédent). Le fait d'avoir une cirrhose décompensée et un score élevé au Fibroscan (supérieur à 21,3 kPa) étaient deux facteurs de risque de développer un CHC. Mais le génotype viral et le régime d'AVD employé n'avaient pas d’influence sur le risque ultérieur de développement ou de récidive du CHC.
Ce taux de récidive précoce du CHC après traitement avec les AVD est "élevé". Le taux d'apparition d'un CHC est dans les normes connues chez les personnes sans antécédent de CHC. L’équipe italienne recommandait une surveillance rapprochée chez les patients cirrhotiques après éradication virologique. Cette surveillance après le succès du traitement chez les cirrhotiques fait partie des recommandations d’experts, car éradication du virus ne veut pas dire suppression de tous les problèmes possibles, la cirrhose reste là et doit être surveillée et encadrée et le CHC dépisté régulièrement par échographie). Une étude espagnole, conduite auprès de 58 patients qui avaient tous un antécédent personnel de CHC, traités pour leur hépatite C avec des nouveaux AVD. Après une médiane de 57 mois, une récidive du CHC a été observée chez 28 % des patients. En moyenne, la récidive survenait 3,5 mois après la fin du traitement antiviral.

L’étude autrichienne sur 441 patients (80 % stade fibrose F4 ou cirrhose) traités par AVD a montré une RVS de 94 %. 176 patients (82 % stade fibrose F4) ont été suivis un an après le traitement et un CHC a été diagnostiqué chez 12 patients (6,8 %), dont 9 cancers du foie nouveaux (pas d’antécédent) et 3 récidives de cancers.

En France, dans la cohorte ANRS Hepather et les centres ANRS, une enquête avait déjà été faite en fin d’année 2015 et ne retrouvait pas cette augmentation de risque de cancer ou de récidive de cancers après traitement par les AVD.

En rentrant de Barcelone, les responsables de la grande cohorte Hepather (3), de la cohorte Cirvir (4) et de la cohorte Cupilt (5) ont analysé les données de plus de 6 000 patients traités par AVD, en se concentrant sur les patients ayant eu un antécédent de CHC traité "avec succès" avant la cure d’AVD. L'objectif était d'évaluer les taux de récidive du cancer du foie chez ces patients. Résultats de cette analyse :
- Dans la cohorte ANRS Hepather, 267 patients atteints de CHC traités pour ce cancer ont été analysés, parmi lesquels 189 ont reçu des AVD et 78 n’en ont pas reçu. Les taux de récidive étaient de 0,73/100 et 0,66/100 personnes-mois, respectivement.
- Dans la cohorte ANRS Cirvir, parmi 79 patients cirrhotiques chez qui un CHC a été diagnostiqué et traité, treize ont reçu des AVD et 66 n’en n’ont pas reçu. Les taux de récidive étaient 1,11/100 et 1,73/100 personnes-mois, respectivement.
- Dans la cohorte ANRS Cupilt, 314 receveurs de greffe du foie pour CHC et ensuite traités avec AVD ont été analysés. Sept récidives de CHC ont été rapportées après une période médiane de 70,3 mois après la transplantation. Le taux de récidive était de 2,2 % (soit moins que le taux de récidive "habituel et attendu" du CHC, ce risque étant de 8 à 20 % dans les deux premières années après greffe du foie pour CHC).

Et donc, bonne nouvelle, dans ces trois cohortes distinctes, il n’a pas été observé de risque accru de récidive du CHC après le traitement par AVD chez les patients qui ont subi un traitement curatif du CHC, y compris la transplantation hépatique.

Les auteurs expliquent cette différence des résultats par la grande taille des cohortes, un choix rigoureux des patients pour l’analyse qui a été focalisée sur les patients déjà traités pour le CHC en utilisant des procédures curatives (résection hépatique, ablation percutanée ou transplantation du foie), en ayant exclu les patients traités par chimio-embolisation (qui est une méthode palliative en général et non curative). L’étude espagnole qui suggère un risque élevé de récidive du CHC a inclus des patients avec des thérapies non curatives (comme la chimio-embolisation), qui donnent un taux de récidive précoce élevé.

Conclusion, les cancers du foie sont mieux traités en France, mais pour cela, surtout pour les porteurs d’une cirrhose, il ne faut jamais sauter les rendez-vous de dépistage par échographie, car le cancer du foie ne peut être traité avec succès qu’à la condition d’être détecté précocement.

(1) : Le Buyers club est un club d’acheteurs indépendants. Ici, il s’agit d’achats de médicaments qui ne sont pas disponibles ou pas accessibles dans un pays pour des personnes malades qui en ont besoin.
(2) : Pour la France, l’ANSM (Agence nationale de sécurité des médicaments) autorise l'importation de médicaments pour un usage personnel n’excédant pas trois mois.
(3) : Cohorte ANRS Hepather : cohorte française, de suivi à long terme, incluant 15 000 patients porteurs du VHC et 10 000 porteurs du VHB dans 32 centres, de 2013 à fin 2015.
(4) : Cohorte ANRS Cirvir : cohorte observationnelle ayant recruté environ 2 000 patients en cirrhose due à une hépatite virale, dans 35 centres cliniques français entre 2006 et 2012.
(5) : Cohorte ANRS Cupilt : observatoire des patients transplantés hépatiques avec récidive virale C traités par AVD (700 patients actuellement).