Ecole de la magistrature : bientôt la fin de la discrimination envers les séropositifs

Publié par Théau Brigand le 07.09.2015
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Droit et socialécole nationale de la magistratureENM

AIDES a été saisie, il y a quelques mois, à propos d’une condition d’entrée à l’Ecole nationale de la magistrature qui excluait, de fait, une personne séropositive au VIH de toute carrière de magistrat. L’association avait interpellé la garde des Sceaux, Christiane Taubira. Le problème devrait être bientôt résolu dans le cadre d’une future loi organique d’ores et déjà enregistrée au Parlement.

Il y a quelques mois, AIDES avait été saisie par une personne vivant avec le VIH d’une question sur une condition liée à la santé pour intégrer l’Ecole nationale de la magistrature (ENM). En effet, pour passer le concours de l’ENM, il est précisé qu’il faut "être reconnu indemne ou définitivement guéri de toute affection donnant droit à un congé de longue durée", or la séropositivité au VIH donne droit à ce congé.

Cette condition d’entrée à l’ENM est liée à l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 sur le statut de magistrat. Pour AIDES, elle constitue une discrimination directe à l’encontre des personnes vivant avec le VIH en contradiction directe avec l’alinéa 18 du préambule de la Constitution de 1946 sur l’accès de tous les citoyens à la fonction publique. Elle fait subsister une exigence anachronique et discriminante faisant fi des progrès de la médecine, des réalités de la vie avec le VIH aujourd’hui qui ne sauraient être incompatibles avec l’exercice de la magistrature.

Sur la base de cette analyse, l’association avait interpellé le ministère de la Justice et Christiane Taubira, la garde des Sceaux, afin de demander une évolution de l’ordonnance concernée pour mettre fin à cette discrimination. Dans une réponse de février 2014, celle-ci avait répondu à AIDES : "Vous avez bien voulu attirer mon attention sur la condition d’aptitude physique pour l’entrée dans la magistrature (…) que vous considérez comme une discrimination à l’encontre des personnes vivant avec le VIH. Fervente opposante à toute forme de discrimination, j’ai pris connaissance avec intérêt de vos observations", expliquait la ministre. "Il apparaît que la formulation de cet article pourrait être considérée comme une source de discrimination au regard de l’article 18 du préambule de la Constitution de 1946 qui garantit l’égal accès aux fonctions publiques", explique la garde des Sceaux, partageant ainsi l’analyse de l’association.

Christiane Taubira annonçait alors qu’elle avait "décidé de prévoir la modification de l’article 16 de l’ordonnance statutaire des magistrats afin que les conditions d’aptitude physique pour l’entrée dans la magistrature rejoignent celles applicables à l’ensemble de la fonction publique. Le projet de loi organique relatif au statut de la magistrature en cours de rédaction et qui sera débattu dès que l’agenda parlementaire le permettra, prendra en compte cette mesure".

En effet, l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 sur le statut de magistrat ayant valeur de loi organique, seule une loi organique pouvait permettre de la faire évoluer. Les lois organiques sont des lois dont l'adoption est prévue par la Constitution. Ici, c’est l’article 64 qui précise qu’"une loi organique porte statut des magistrats". Ces lois, plus hautes dans la hiérarchie des normes que des lois ordinaires, sont soumises à un certain nombre de mesures spécifiques ; elles sont aussi plus rares.

Plus d’un an après la réponse de Christiane Taubira, le 31 juillet 2015, la loi organique annoncée a été enregistrée au Parlement. Intitulée "Projet de loi organique relatif à l'indépendance et l'impartialité des magistrats et à l'ouverture de la magistrature sur la société", il est précisé dans l’exposé des motifs de l’article 4 que "La condition d'aptitude physique est également modifiée pour l'aligner sur celle prévue pour les concours de la fonction publique". L’étude d’impact de l’article constate l’obsolescence de la condition d’aptitude physique en précisant que : "Cette rédaction date de la version initiale de l'ordonnance statutaire. A la différence des dispositions similaires du statut général des fonctionnaires précité, cet article n'a pas été modifié depuis 1958". De même que AIDES puis la ministre dans sa réponse, l’étude d’impact constate l’anticonstitutionnalité de cette condition.

Le projet de loi prévoit que les mots : "Et être reconnus indemnes ou définitivement guéris de toute affection donnant droit à un congé de longue durée" seront remplacés par les mots : "Compte tenu des possibilités de compensation du handicap", le statut de magistrat s’alignerait en ce sens sur le statut applicable pour la fonction publique. Le projet de loi est une procédure accélérée, ce qui implique une lecture unique au Sénat et à l’Assemblée Nationale. Lors de ces débats, AIDES sera vigilante à ce que cette évolution et donc la fin de cette discrimination inacceptable soit votée.