Corinne Lepage : "En tant que candidate à l'élection présidentielle je me sens séro-concernée"

Publié par jfl-seronet le 03.03.2012
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présidentielles 2012Corinne LepageCap 21
Ancienne ministre, Corinne Lepage est une des candidates de l’écologie à l’élection présidentielle de 2012. Après des responsabilités au Modem, cette avocate spécialisée dans l’environnement, est aujourd’hui à la tête d’une formation politique Cap 21. Sollicitée par Seronet, Corinne Lepage a accepté de parler de sujets sur lesquels elle s’est jusqu’à présent peu exprimée. Interview exclusive sur Seronet.
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En 2011, différentes mesures législatives ont été prises concernant la situation des personnes étrangères et tout spécialement celles qui sont malades qu’elles soient ou non en situation irrégulière. L’Aide médicale d’Etat (AME) a ainsi été largement réformée et le droit au séjour pour soins sévèrement attaqué. Que pensez-vous de ces décisions et quelle lecture politique en faites-vous ?
Dans son rapport sur les inégalités de santé au sein de l'Union Européenne, le Parlement Européen appelle clairement les "Etats membres à veiller à ce que les groupes les plus vulnérables, notamment les migrants sans papiers, puissent bénéficier – et bénéficient réellement – d'un accès équitable aux soins de santé". Certes, nous parlons ici d'une résolution qui n'engage pas les gouvernements de façon contraignante. Mais il est important de noter que malgré les divergences politiques et les différentes attitudes en matière de politique migratoire, le Parlement Européen reconnait un fait essentiel : l'accès aux soins constitue un droit fondamental de tout être humain, et ne peut en aucun cas dépendre du statut légal d'une personne. Les mesures prises par le gouvernement français sont en totale contradiction avec cette approche. La réforme de l'AME et ses conséquences en termes d'accès aux soins pour les personnes étrangères sont finalement très symptomatiques de la façon dont l'actuelle majorité considère ces personnes. Ces mesures sont d'autant plus regrettables qu'elles affectent non seulement le droit fondamental qu'est l'accès à la santé, mais également nos objectifs communs en matière de santé publique. Il y a fort à parier que les décisions concernant la réforme de l'AME ont été prises d'avantage Place Beauvau qu'au ministère de la santé...

Si vous êtes en situation, comptez-vous revenir sur ces décisions, en rétablissant le droit au séjour pour soins, en supprimant le droit de timbre pour l’accès à l’AME ? Ou pensez-vous que l’AME doive être intégrée dans l’Assurance maladie et ne plus être un dispositif à part ?
Soyons clairs, ces décisions sont injustes, injustifiées et dénuées de tout fondement, que ce soit en matière de respect de la dignité humaine ou de santé publique. L'aide médicale d'Etat est finalement victime de la "stratégie anti-immigration" menée par Mr Guéant [ministre de l’Intérieur, ndlr]. Il est donc essentiel de la rétablir et de développer des mécanismes qui permettent d'atteindre trois objectifs essentiels : un accès équitable aux soins, une prise en charge non discriminante, et la protection de la santé publique. Bien évidemment, l'existence de l'aide médicale d'Etat ne doit pas remettre en cause l'équilibre et la durabilité de notre système de santé. Si abus ou biais il y a, nous devons y remédier. Mais encore une fois, le gouvernement ne fait ici que poursuivre dans sa stratégie de l'obstacle et de la stigmatisation : l'aide médicale d'état est perçue comme un coût qu'il faudrait réduire, un avantage incitatif qu'il faudrait supprimer... Le gouvernement s'est-il seulement posé la question du coût - économique et social - qu'engendrerait une absence totale de prise en charge médicale pour les personnes étrangères, quelque soit leur situation légale ? Je soutiens le droit au séjour pour soins et la suppression du timbre [les 30 euros annuels à payer].

Ces dernières années, les choix du gouvernement en matière de comptes sociaux ont eu des conséquences importantes sur la vie des personnes malades et tout spécialement celles qui sont atteintes d’affections de longue durée comme les personnes atteintes d’une hépatite ou du VIH ?  La mise en place des franchises médicales, la multiplication des déremboursements de médicaments, la hausse du prix des consultations, des forfaits hospitaliers… ont eu pour conséquence d’augmenter le reste à charge pour les personnes malades et surtout de renforcer une logique individuelle contre la solidarité collective. Que pensez-vous de ces décisions ? Quelles sont les conséquences de cette politique ?
Les choix du gouvernement auxquels vous faites référence constituent une politique qui ne dit pas son nom et n’ont pour objectif que de mettre un terme à l’un des principes fondateurs de notre système de santé : l’égalité devant l’accès aux soins. Ne nous y trompons pas, sous couvert de "responsabilisation" du patient et de maintien de l’équilibre financier de notre système, le gouvernement a rompu avec ce qui est pourtant l’un des droits fondamentaux de tout citoyen. Il est profondément injuste de faire des patients atteints d’affections de longue durée la variable d’ajustement d’un système de financement qui n’a pas su s’adapter aux grands défis de santé publique qui sont pourtant encore à venir.
Les conséquences des choix gouvernementaux sont injustes et parfois dramatiques pour chaque patient atteint d’une affection de longue durée, mais elles le sont également à titre collectif. Le niveau de ressource va-t-il devenir dans notre pays l’un des principaux déterminants de santé ? Contrairement à ce que certains peuvent affirmer, le co-paiement [reste à charge, nldr] est loin de représenter quelques euros par mois pour les patients atteints de maladies chroniques.
Il y a fort à craindre que, si rien ne change, nous verrons dans les années à venir un impact direct de ces décisions sur nos indicateurs de santé, et sur l’équilibre financier de notre système également. Nous savons que l’instauration ou l’augmentation d’une contribution directe du patient peut impliquer pour les moins aisés d'entre eux un arrêt du traitement ou un espacement des consultations par exemple. Nous savons que nombre d’étudiants ou de travailleurs pauvres vont s’abstenir de consulter un généraliste ou un dentiste pour des raisons avant tout financières. Mais le gouvernement ignore lui le coût à long terme de ces décisions.
Encore une fois, l'équilibre budgétaire de notre système de santé n'est envisagé qu'à court terme afin d'obtenir un résultat ou un "bonne note" à la fin de l'année. On préfère faire payer le patient un peu plus, qu'elle qu'en soit les conséquences, et on laisse aux générations à venir la prise en charge de ceux dont l'état de santé se sera aggravé du fait de cette politique.


En matière de dépenses de santé, de tarification, d’équilibre des comptes sociaux… que faut-il éviter et quelles propositions faites-vous ?
Ce qu'il faut éviter, c'est ce que fait le gouvernement actuellement, c'est le court-terme et la vision purement comptable dénuée de toute perspective en matière de santé publique. "Mieux vaut prévenir que guérir" est un dicton connu de tous, mais qui paradoxalement ne s'applique que trop peu souvent lorsqu'il s'agit de santé publique. Regardez nos efforts de recherche dans le domaine de la santé : 97% de nos investissements se concentrent sur le traitement et seulement 3% vont à la prévention. Et la tendance est la même lorsqu'il s'agit  de la mise en œuvre de nos politiques de santé publique. Pour bien des pathologies, nous savons que des économies substantielles peuvent être faites en mettant l'accent sur la prévention des maladies, et nous savons comment prévenir ces maladies. Le coût de l'obésité en Europe a par exemple été estimé à 1% du PIB. Une autre étude a chiffré le coût de cette pathologie en France à 3,3 milliards d'euros pour l'année 2002, et nous savons que le nombre de patients atteints ne fait qu'augmenter. Avons-nous mis tout en œuvre pour lutter contre l'obésité ? Le gouvernement prend-il toujours en compte la nécessité  de promouvoir une alimentation saine, un régime varié et l'activité physique en présentant des textes de lois relatifs à l'alimentation ou à la protection des consommateurs ? La logique purement économique de certains secteurs industriels - je pense ici à l'agro-alimentaire - n'a-t-elle pas pris le pas sur des impératifs de santé publique trop souvent ignorés ? La marge de manœuvre est encore grande, et une vraie stratégie à long terme pour prévenir l'obésité plutôt que de la traiter contribuerait de façon plus que positive à l'équilibre de nos comptes sociaux.
La même démonstration peut être faite pour certains types de cancer liés notamment à des facteurs environnementaux. Ici encore, il est nécessaire de placer les objectifs de prévention et de protection de la santé publique au cœur de l'ensemble de nos politiques publiques. Nous en sommes malheureusement très loin, et je ne suis pas sûre que l'influence jouée par certains lobbys - pharmaceutiques ou industriels - soit au final véritablement bénéfique à l'équilibre financier de notre système de santé. Un principe simple devrait pourtant s'appliquer en permanence : réduire l'exposition au risque, qu'il soit environnemental ou comportemental, c'est réduire les coûts engendrés par cette exposition et les pathologies pouvant en découler.
Sur la tarification et de remboursement des actes et traitements, il faut là aussi revoir en profondeur notre modèle, en mettant l'accent sur deux principes clés : l'indépendance de l'évaluation et la valeur ajoutée thérapeutique. L'équilibre de nos comptes sociaux est fragile, c'est une évidence. Il faut donc mettre tout en œuvre pour que la tarification et le remboursement des actes et traitements répondent premièrement au principe d'égalité devant l'accès aux soins, et deuxièmement à une logique du rapport coût-efficacité se basant sur les progrès thérapeutiques et leurs bénéfices sociaux sur le long terme.

En matière de santé, le gouvernement actuel a tout misé sur la contribution des malades, les taxes sur les labos et les mutuelles et un programme contraignant d’économies pour les hôpitaux. Cette politique a d’ores et déjà des conséquences sur l’organisation des soins et la qualité de la prise en charge des personnes malades, notamment celles atteintes d’une affection de longue durée. On peut le mesurer avec ce qui se passe avec l’AP-HP en Ile-de-France. Selon vous qu’est-ce qui pose problème dans cette politique et que proposez-vous ?
Encore une fois, nous sommes en train de payer les conséquences d'une gestion purement comptable et à court terme de notre système de santé. Le budget annuel est le seul indicateur que le gouvernement regarde et tente de maquiller en permanence, en faisant fi des dynamiques élémentaires qui constituent l'équilibre même de notre système. Il n'y a pas de système de santé sans les professionnels de santé. Il serait bon de rappeler cette évidence au gouvernement. Le vieillissement de notre population et la charge croissante engendrée sur nos services de santé, ainsi que le manque de professionnels de santé déjà visible dans certains secteurs et régions sont deux défis majeurs auxquels il est essentiel et urgent de répondre.
Nous devons penser à la formation, aux qualifications et à la mobilité de nos professionnels de santé, y compris au niveau européen, si nous souhaitons pouvoir maintenir des systèmes de santé durables et efficaces pour tous.  Il s'agit malheureusement d'une question trop souvent reléguée au second plan - et complètement survolée lorsqu'il s'agit de définir une stratégie à long terme. Nous parlons pourtant ici d'un facteur déterminant pour la bonne organisation des soins et la qualité de la prise en charge, tout autant que le niveau de remboursement et le système de financement. 


On parle beaucoup de démocratie sanitaire. Est-ce que cette idée vous intéresse et si oui… comment la concevez-vous ?
Oui c'est une idée qui m'intéresse et que je m'acharne même à défendre dans tous les domaines de l'action politique. On parle peut être beaucoup de démocratie sanitaire comme vous le dites, mais je crains que cette belle idée n'en reste que trop souvent au stade des mots. Une démocratie sanitaire, telle que je la conçois, c'est comprendre que le principe de précaution et la réduction de l'exposition au risque ne peut pas être considérée comme une variable d'ajustement comme le fait actuellement le gouvernement. Que nous parlions de risque comportemental, environnemental ou industriel, une seule règle doit s'appliquer : la protection de la santé publique est prioritaire, et cette priorité ne peut en aucun cas être infléchie - par des considérations économiques ou commerciales par exemple. OGM, produits chimiques, perturbateurs endocriniens, consommation d'alcool et de tabac, publicité dans l'agro-alimentaire, prévention des maladies sexuellement transmissibles, égalité devant l'accès aux soins, autorisation de mise sur le marché des médicaments et remboursement, etc. La liste des dossiers où il me semble que le concept de démocratie sanitaire ne s'applique pas alors qu'il le devrait est très longue, et en tant que responsable politique, j'estime qu'il est urgent de le replacer au cœur de l'action publique. N'oublions pas non plus un dernier élément crucial afin de garantir une démocratie sanitaire : l'indépendance de l'expertise scientifique. Ce principe est à mon sens le seul à même de permettre aux politiques de prendre des décisions - et donc d'en assumer la responsabilité - en toute connaissance de cause et indépendamment de toute pression idéologique, politique ou économique. Nous en sommes malheureusement bien loin en France et en Europe, et je suis l'une des rares députées européennes à plaider pour ce principe auprès des institutions de l'Union qui bien trop souvent le négligent.

Nicolas Sarkozy s’est engagé lors de sa première campagne présidentielle à augmenter de 25% sur la législature le montant de l’allocation aux adultes handicapés. Il a récemment indiqué que la promesse serait tenue en 2012. Il y a eu plusieurs augmentations, malgré tout, les personnes qui en sont bénéficiaires vivent toujours sous le seuil de pauvreté. Du coup, de nombreuses associations et structures syndicales ou politiques, réunies au sein de Ni pauvre, Ni soumis, demandent à ce que cette allocation soit remplacée par un revenu d’existence aligné sur le SMIC. Etes-vous favorable à cette mesure ? Cela est-il, selon vous, finançable et si oui dans quel système ?
Nous pouvons donc ajouter cette promesse de Nicolas Sarkozy à la longue liste de celles faites en 2007, non réalisées durant son mandat, et remaquillées à l'occasion de cette nouvelle élection présidentielle...  Je suis favorable à une mesure allant dans le sens des propositions faites par Ni pauvre, Ni soumis, mais je pense que ce "revenu d'existence" doit correspondre à une vision plus large du concept de dépendance. Nous ne pouvons accepter qu'un handicap ou une invalidité -qu'ils soient de naissance ou liées à l'âge ou à une maladie - aggrave encore plus la situation des personnes concernées en les condamnant à la pauvreté. Je pense que le principe de solidarité au sein de notre société doit jouer pleinement son rôle, et qu'une contribution collective doit permettre de garantir ce "revenu d'existence" à toute personne dépendante, sans ressources suffisantes pour subvenir à ses besoins.

A la suite de l'affaire du Mediator, le gouvernement a fait voter une loi sur le médicament. Que pensez-vous de ce texte ? Quelles en sont les faiblesses ? Quelles mesures préconisez-vous ?
Petite précision tout d'abord, une partie de ce projet de loi correspond à la directive sur la pharmacovigilance adoptée au niveau européen en 2010. Il serait bon que le gouvernement, qui rejette facilement la faute sur Bruxelles et ses institutions dans d'autres domaines, reconnaisse qu'il n'est pas le seul à l'initiative d'une mise à jour plus que nécessaire de notre système de pharmacovigilance. Suite à l'affaire du médiator, la Commission Européenne a, elle-même, fait de nouvelles propositions législatives, qui viendront compléter la réglementation européenne déjà adoptée en 2010 et qui doit entrer en vigueur très prochainement. Le texte du gouvernement comporte des éléments positifs, qui vont certainement dans le bon sens, mais cessons de faire croire que cette loi est la réponse du gouvernement qui va résoudre toutes les failles mises en lumières par l'affaire du médiator. Cette loi est par ailleurs présentée par Mr Bertrand  [ministre de la Santé, ndlr] comme une réaction ferme face à des abus en matière de conflits d'intérêts,  mais elle constitue plutôt à mon sens un des éléments de la stratégie de communication du gouvernement pour masquer ses propres erreurs sur ce dossier. Ce qu'il faut faire en matière de politique du médicament en France, si l'on ne veut plus jamais revoir une affaire telle que celle du Mediator, c'est appliquer réellement les principes d'une démocratie sanitaire tels que je les ai décrits précédemment. Pour être claire, il nous faut une transparence et indépendance réelle de l'expertise scientifique et des décisions prises sur le médicament.

En matière de
lutte contre les hépatites et le VIH/sida, des organisations non gouvernementales réclament la mise en place de mesures qui ont fait leur preuve à l’étranger dont les programmes d’échange de seringues en prison, les créations de salles de consommation supervisée, l’accompagnement à l’injection, l’auto-prélèvement chez les personnes usagères de drogues (ce qui favorise l’accès aux services de santé). Etes-vous favorable à leur mise en place ?
Ma réponse est oui. Arrêtons de nous cacher derrière des principes d'un autre âge qui ne font qu'aggraver la situation de personnes malades, stigmatisées et bien souvent en détresse. Nous nous devons d'appliquer une démarche réaliste et pragmatique face à ces questions, et de mettre œuvre les stratégies qui ont abouti à des résultats plus que positifs chez nos voisins.

Ces derniers mois, le débat a été particulièrement intense sur la question de la légalisation de la consommation des drogues. Il y a eu des initiatives politiques, des revendications associatives… Selon vous, doit-on revenir sur la loi de 70 et si oui de quelle façon ? Etes-vous favorable à la légalisation et si oui de quoi ? La dépénalisation est-elle, selon vous, une décision de santé publique et quelles limites y mettez-vous ?
Je suis pour une dépénalisation du cannabis et pas pour la légalisation car ce serait en contradiction avec ma position en général sur les produits toxiques et les risques sur la santé. Cela permettrait d’éviter de mettre en garde à vue des jeunes qui fument du cannabis et cela diminuerait le trafic et les gains de ceux qui en font commerce. Le vrai problème est de comprendre ce qui pousse les jeunes à avoir des attitudes qui mettent en jeu leur santé actuelle (risques d’accidents) et future.

Ces dernières années, les avancées scientifiques en matière de VIH/sida ont été majeures. Paradoxalement, les avancées sociales (meilleure acceptation sociale du VIH, lutte contre les discriminations liées à l’état de santé…) ont été quasi inexistantes. Une récente affaire (celle de Dax, il y a quelques mois) a montré les limites de la loi pénale actuelle en matière de sanction des agressions sérophobes. Etes-vous favorable à ce que la sérophobie soit, comme c’est par exemple le cas pour l’homophobie, sanctionnée par la loi et reconnue comme une circonstance aggravante ?
Il me semble que ces dernières années, peut-être par manque d'engagement des pouvoirs publiques, peut-être du fait que l'épidémie de VIH/sida a été quelque peu oubliée dans les esprits, la stigmatisation et la discrimination envers les personnes séropositives en France s'est accrue.  Lorsqu'il s'agit de discrimination, et quelles qu’en soient les motivations, je pense que des circonstances aggravante doivent être reconnues. Nous avons là un domaine dans lequel une démarche législative pourrait envoyer un signal fort pour lutter contre la stigmatisation et la discrimination des personnes séropositives.

De très nombreux pays ont modifié leur législation concernant la pénalisation de la transmission du VIH. Certains l’ont renforcée (en Afrique…), d’autres l’ont assouplie (Suisse par exemple) notamment avec les avancées scientifiques sur le rôle du traitement en matière de transmission du VIH. On assiste, par ailleurs, à une multiplication des plaintes en France. Ce phénomène vous alarme t-il et si oui comment y répondre ? Cela passe-t-il par une modification de la législation actuelle, d’autres solutions ?
Oui, le phénomène de multiplication des plaintes en France est inquiétant, et je souhaite rappeler une formule peut être simpliste et évidente, mais qui a notamment été intégrée à mon initiative dans la dernière résolution du Parlement Européen sur la lutte contre le VIH/sida : "C'est le VIH qu'il faut combattre et non les porteurs du VIH." Nous connaissons très bien l'ensemble des moyens afin de combattre la progression du VIH : la prévention et l'information à grande échelle, le dépistage précoce, l'accès aux soins, l'accompagnement pour les personnes séropositives et le combat contre la stigmatisation et la discrimination. Pénaliser ou légiférer sur la transmission du VIH n'est qu'un biais par lequel on tente de faire reposer sur l'individu les lacunes des politiques publiques pour combattre l'épidémie.

Une nouvelle disposition de la loi LOPPSI 2 instaure le dépistage sous contrainte de personnes présumées séropositives lorsqu’elles ont été en contact avec des dépositaires de l’autorité publique (forces de l’ordre, huissiers…). Cette mesure a été adoptée malgré les mises en garde de la Société française de lutte contre le sida et un avis du Conseil national du sida qui pointent une atteinte aux droits de l’Homme et les effets contreproductifs en matière de dépistage, alors même que le gouvernement développe un programme d’incitation au dépistage. Que pensez-vous de cette mesure ? Doit-elle être conservée ?
Cette disposition de la loi LOPPSI 2 signifie la fin du principe de consentement au dépistage et constitue à mon sens une atteinte aux droits fondamentaux des citoyens. C'est aussi un signe inquiétant d'une certaine stigmatisation des personnes séropositives, inscrite dans une loi de la République. Je pense donc qu'elle doit être abrogée.

Le débat sur la prostitution est animé entre les partisans de l’abolition et ceux qui y sont opposés. Des associations de personnes travailleuses du sexe, de lutte contre le sida et un organisme officiel tel que le Conseil national du sida mettent en avant qu’une abolition de la prostitution voire une pénalisation des clients auraient un impact négatif sur l’accès aux droits et aux soins des personnes qui exercent cette activité et des conséquences en matière de santé publique : obstacles supplémentaires dans l’accès aux structures de soins, de prévention du VIH et des IST, de dépistage. Etes-vous favorable à cette abolition ? Si oui, pour quelles raisons et si non, comment comptez-vous renforcer les droits des personnes concernées, notamment sur les enjeux de santé les concernant ?
Je suis toujours très attentive au droit des personnes et à leur liberté ; les prostitués sont rarement complètement libres de toutes chaines et la protection des personnes se prostituant doit être une priorité pour leur permettre l’accès aux soins, au dépistage et à la réintégration dans la société dans un projet de vie différent. Il faut un suivi pour s’assurer des conditions dans lesquelles ces personnes sont ou pas libre de travailler et les aider à sortir de situations souvent non désirées

Le gouvernement oppose souvent aux organisations non gouvernementales, lorsqu’elles demandent à la France de tenir ses engagements en matière d’aide publique, le fait que la France ferait déjà beaucoup en matière de développement, notamment sur les questions de santé, via Unitaid, la contribution française au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Partagez-vous cet avis et que proposez-vous sur les questions d'aide au développement international, par exemple en matière d’accès universel aux traitements des malades touchés par le VIH ?
Il est évidemment difficile dans le contexte actuel de plaider pour une augmentation de la contribution française en matière d'aide au développement, mais il est en revanche impératif que la France maintienne ses engagements.  Si de nouvelles orientations sont à prendre, je pense qu'il vaudrait mieux se poser la question de l'efficacité de l'aide au développement international plutôt que celle du niveau de contribution. Ce débat est en train de se faire plus présent au niveau international, et je pense que c'est une bonne chose. Le soutien financier seul ne peut apporter que des résultats limités, il faut également penser notre aide international en matière de santé publique de façon transversale, et s'assurer d'un engagement renforcé des parties prenantes dans les pays receveurs. Sur l'accès universel aux traitements des malades touchés par le VIH, nous en sommes malheureusement loin. Là encore, cet objectif seul n'est pas réalisable si l'on ne pense pas aussi à renforcer les systèmes de santé dans les pays receveurs, à former les personnels soignants au niveau local et à évaluer la mise en œuvre des stratégies précédentes. Un mot également sur le rôle de l'industrie pharmaceutique pour atteindre cet objectif, afin de reconnaître les efforts concrets qui ont été faits par le secteur. Je demande cependant à l'industrie pharmaceutique de rester cohérente par rapport à cet objectif lorsqu'il s'agit de discussions au niveau international sur la propriété intellectuelle.  

Cette année, l’épidémie de sida a 30 ans. Concernant cette maladie, qu’est ce qui vous frappe aujourd’hui ?
Ce qui me frappe aujourd'hui c'est justement que cette épidémie a 30 ans. Des progrès considérables ont été faits en matière de traitements pour les personnes séropositives, mais je pense que nous pouvons parler d'échec en ce qui concerne la prévention.  Au sein même de l'Union Européenne, et de façon encore plus inquiétante dans d'autres régions du monde, l'épidémie continue de progresser alors que, rappelons-le encore une fois,  il existe des moyens simples et efficaces afin de prévenir cette maladie.  Je ne pense pas que nous avons su maintenir nos efforts au niveau nécessaire en matière de prévention, et il y a eu un manque clair de volonté politique pour continuer dans cette direction. Je pense que la stigmatisation et la discrimination dont souffrent les personnes séropositives existe également dans une certaine mesure lorsqu'il s'agit de placer la lutte contre le VIH/sida en tant que priorité politique.

AIDES parle souvent à propos de ses militants et de ceux qui luttent contre le VIH/sida de personnes séro-concernées, qui se sentent concernées à des titres divers, de façon plus ou moins directe par le sida. Comme femme, citoyenne, militante, candidate à l’élection présidentielle, vous sentez-vous séro-concernée ?
Oui, c'est une évidence. Le VIH/sida n'est pas une simple épidémie, et ses conséquences notamment sociales et sociétales pour les personnes séropositives en font également un enjeu commun majeur, qui mérite toute l'attention des décideurs politiques. En tant que candidate à l'élection présidentielle je me sens séro-concernée, car je crois qu'en France comme au niveau européen et international, nous pouvons faire beaucoup plus et surtout beaucoup mieux afin de combattre efficacement l'épidémie et  garantir les droits de tous nos citoyens, y compris ceux qui sont affectés par le virus.

Propos recueillis par Jean-François Laforgerie.