Epidémie de VHC : la France peut-elle en finir en 2025 ?

Publié par jfl-seronet le 09.06.2018
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Thérapeutiquehépatites

Où en est-on de l’épidémie de VHC en France ? Pourra-t-on éliminer le VHC en 2025 comme le souhaitent nos autorités sanitaires ? A quelles conditions ? Quels sont nos atouts, nos faiblesses ? Ces questions étaient au cœur de l'intervention de la docteure Françoise Roudot-Thoraval faite à l’occasion de la Journée nationale de lutte contre les hépatites, le 15 mai dernier. Seronet y était et fait le point.

De quoi a-t-on besoin pour éliminer le VHC en France ?

C’est à cette question que Françoise Roudot-Thoraval (gastro-entérologue et hépatologue, Groupe hospitalier Henri Mondor, Créteil, Île-de-France) a consacré une grande partie de sa présentation. La spécialiste est partie de la cascade de soin (nombre de personnes infectées ; nombre de personnes dépistées ; nombre de personnes prises en charge ; nombre de personnes traitées par an et nombre de personnes guéries par an) pour en pointer les maillons faibles… Autrement dit, ce qui constitue aujourd’hui des obstacles à cette élimination.

Côté choses qui marchent : il y a d’abord la décision prise par Marisol Touraine, alors ministre de la Santé, du traitement universel. Tout le monde est traité et on ne tient plus compte désormais du stade de fibrose (qui signe la gravité de la maladie) ou du contexte de vie de la personne concernée (personne usagère de drogue, personne en détention, HSH, etc.) pour donner un traitement. Autre atout, le traitement par agents viraux directs (AVD ou AAD) est efficace et bien toléré. Il y a peu d’arrêts de traitement avec les nouvelles thérapies et un taux très élevé (97 %, parfois plus) de réponse virologique soutenue (RVS), ce qui signe une guérison de l’infection.

Côté choses qui marchent vraiment moins bien : il y a le fait que toutes les personnes vivant avec le VHC ne le savent pas, donc les contaminations peuvent se poursuivre. Et il y a un problème concernant le lien vers le soin et le maintien dans le soin après le dépistage. Autrement dit, des personnes dépistées ne vont pas entrer dans un parcours de soin et donc de ne pas avoir de suivi ou si elles sont "en contact" avec le soin, ce dernier ne sera pas suffisamment pérenne pour être optimal.

Où en est-on du VHC en France ? Quels sont les chiffres ?

Le nombre de personnes infectées, éligibles au traitement, était d’environ 193 000 personnes en 2011 (1). En 2014, avant la mise à disposition des agents viraux directs AVD ou AAD), elles étaient 175 000 (2). Entre 2014 et mars 2018 : environ 60 000 personnes ont été guéries de leur infection, a indiqué Françoise Roudot-Thoraval. Si on regarde dans le détail le nombre annuel de personnes ayant démarré (4) un traitement par AVD entre 2014 et 2017 : elles étaient 11 600 en 2014, 13 923 en 2015, 14 475 en 2016 et 19 497 en 2017. Sur cette période, environ 59 495 personnes étaient traitées jusqu’en fin 2017 (3) et 3 812 personnes avaient été traitées au premier trimestre 2018. Il y avait sur l’ensemble un taux de RVS de 95 %, autrement dit 60 000 personnes avaient donc guéri de leur infection. Comme en 2014 : environ 175 000 personnes étaient éligibles au traitement, on comprend donc que début 2018, il restait environ 110 000 personnes à traiter !

Si on regarde maintenant le nombre de personnes qui ignorent leur infection. Il était estimé à 74 000 personnes en 2014. En 2018, il peut être estimé entre 69 000 et 58 0000 personnes. En revanche, on ne connaît pas le nombre de malades éloignés du soin après un dépistage… On sait que c’est un des maillons faibles de la cascade. On suppose qu’il y a des motifs à la fois du côté des personnes concernées et du côté des médecins, qui expliquent cela. Par exemple, une personne resterait éloignée du soin après un diagnostic positif parce qu’elle a connu un précédent traitement par interféron et ribavirine qui a échoué, qui s’est très mal passé, qu’elle a été contrainte d’arrêter ; la personne pourrait craindre un nouveau traitement, voire le refuser. Autre cas : le VHC ne serait pas pour elle une priorité car elle n’a pas de ressources, de logement, ne bénéficie pas d’un titre de séjour, etc. Du côté, des médecins, il pourrait y avoir une méconnaissance des possibilités diagnostiques ou thérapeutiques, des réticences à proposer un traitement (qui reste encore très coûteux) à une personne dont le médecin pense qu’elle suivra mal son traitement, ou qu’elle se contaminera de nouveau après une premier guérison, etc.

Comment permettre aux personnes qui ignorent leur infection d’avoir un diagnostic ?

Dans sa présentation, Françoise Roudot-Thoraval explique qu’il faut, d’une part, poursuivre une stratégie de dépistage ciblé, en informant au mieux le public et les médecins. Cela passe par des campagnes d’information, une incitation au dépistage faite par tous les médecins et les professionnels-les de santé dans les Csapa (5), les Caarud (6), les Pass (7), les établissements pénitentiaires. D’autre part, il s’agit d’élargir les stratégies de dépistages à toutes les personnes adultes au moins une fois dans leur vie et d’associer au dépistage du VHC, ceux du VHB et du VIH. Comment ? En le proposant à l’occasion de tout recours aux soins : une consultation, une hospitalisation, un bilan de santé, un passage aux urgences, des examens biologiques… Cette double stratégie est recommandée dans le rapport d’experts-es coordonné par le professeur Daniel Dhumeaux (8).

Comment améliorer l’accès au traitement ?

Des propositions sont faites pour les personnes les plus vulnérables, celles qui sont le plus éloignées du soin. Comme l’explique la docteure Roudot-Thoraval, il faut proposer des parcours de soins adaptés selon la "typologie" des personnes. Autrement dit, le parcours de soins serait différent qu’on soit une personne injectrice ou un gay qui pratique le chemsex. Autre idée : renforcer la participation des médiateurs de santé, et des acteurs/actrices du médico-social. Avoir des consultations avancées avec une évaluation du stade de fibrose (par Fibroscan). On va vers les personnes avec cette offre plutôt que d’attendre qu’elles viennent dans des lieux dédiés. L’autre carte maîtresse est celle de la simplification de l’accès aux soins. Cela passe par un élargissement des prescripteurs et par une différenciation entre un circuit simplifié de prise en charge et un circuit spécialisé, selon sa situation médicale personnelle. Cela a été très bien travaillé par l’AFEF, la société française d’hépatologie, qui en a fait une des ses recommandations-phare. Recommandation qui vient d’ailleurs d’être suivie par le ministère de la Santé, puisque la prescription à tous les médecins a été décidée par le ministère de la Santé.

La fin de l’épidémie de VHC voit macro !

La décision ministérielle concernant la prise en charge du VHC (dans le respect des recommandations de l’Afef) par tous les médecins s’inscrit parmi les mesures-phare de la politique de prévention engagée par le gouvernement et officiellement lancée fin mars dernier. A cette occasion, y ont été présentées 25 mesures-phare de la politique de prévention dont l’objectif est de permettre aux Français-es de "rester en bonne santé tout au long de leur vie". Dans ce plan, la mesure n°15 est la suivante : "Intensifier les actions de prévention et de dépistage à destination des publics les plus exposés pour contribuer à l’élimination du virus de l’hépatite C en France à l’horizon 2025". Cet engagement est donc une des composantes d’un plan bien plus général que le seul domaine des hépatites. Cette ambition nationale s’inscrit aussi dans un cadre plus large qu’a rappelé Françoise Roudot-Thoraval. A savoir que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a défini un cadre mondial d’élimination des hépatites B et C au cours de l’assemblée mondiale de la santé en 2014… Cela remonte !

La France s’était alors engagée à mettre en œuvre une politique en phase avec la définition internationale de l’élimination du VHC : 90 % de réduction de l’incidence (9) et 65 % de réduction de la mortalité. Depuis 2014, la possibilité de guérir de l’hépatite est une réalité… grâce aux AVD. Mais il faut accélérer la prise en charge. Revenons à l’ambition française. L’objectif est clair : éliminer l’hépatite C d’ici 2025. Comme on a vu précédemment, on peut y arriver grâce à trois actions principales. La première est de renforcer l’accessibilité aux traitements anti-VHC par l’ouverture à de nouveaux prescripteurs. C’est ce qui a été décidé et l’agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et la Haute autorité de santé (HAS) y travaillent pour concrétiser l’annonce politique. La deuxième est de renforcer le dépistage de proximité au moyen du TROD (test rapide d’orientation diagnostique) en combinant les dépistages du VHC, du VHB et du VIH. la troisième est de renforcer la prévention par des actions innovantes (le fameux "aller vers") pour toucher "les publics prioritaires et éloignés du système de santé". Au niveau international, les ambitions sont grandes, puisqu’il s’agit d’avoir une réduction des nouvelles infections de 30 % en 2020 et de 90 % en 2030 et une réduction de la mortalité de 10 % en 2020 et de 65 % en 2030.

Le prix des traitements reste-t-il un obstacle ?

Les prix des combinaisons d’AVD ont été revus à la baisse par rapport aux montants exorbitants d’il y a quelques années, mais ils restent, de l’avis de la société civile, notamment en France, encore bien trop élevés. Dans sa présentation, la docteure a rappelé les chiffres des montants totaux remboursés sur la période 2016-2017 pour les personnes traités par AVD. En 2016, le montant remboursé par la Caisse nationale d’assurance maladie pour l’ensemble des délivrances d’AVD était de 751, 5 millions d’euros pour 14 475 personnes traitées. En 2017, il était de 734, 6 millions d’euros pour 19 494 personnes traitées. Autrement dit, on a traité plus de personnes pour un montant moindre. On imagine qu’il serait possible de faire encore mieux si les prix baissaient davantage. N’oublions pas qu’en France, ce sont encore 110 000 personnes qui restent à traiter pour le VHC.

Fin de l’épidémie de VHC en 2025 : allons-nous y arriver ?

A priori, nous avons pas mal d’atouts aujourd’hui pour en finir : une volonté internationale, une volonté nationale, des recommandations des experts-es qui vont dans le bon sens et une connaissance assez précise des actuels points faibles de la cascade. On a bien compris avec la présentation de Françoise Roudot-Thoraval que la clef est une très nette amélioration du dépistage. Il faut plus de moyens pour généraliser le dépistage parmi les populations les plus exposées, qui sont les plus difficiles à atteindre. Il faut aussi renforcer le dépistage des personnes qui ont pu être contaminées, il y a longtemps, par transfusion ou exposition nosocomiale (10) au cours d’une opération chirurgicale, d’un examen médical invasif, etc., et qui n’ont jamais fait de dépistage du VHC. C’est le sens de la recommandation (rapport d’experts-es et AFEF) qu’il y ait pour tout le monde une proposition du dépistage du VHC au cours de la vie. Comme le rappelait la docteure Roudot-Thoraval, des personnes ne se voient jamais proposé un dépistage du VHC parce qu’on les considère trop éloignées du risque d’une contamination parce qu’elles ne sont pas usagères de drogues, par exemple. Entre les personnes exposées et vulnérables qu’on n’atteint pas aujourd’hui et celles auxquelles on oublie de proposer un dépistage du VHC, on voit bien que nous ratons de nombreuses occasions de dépister les dizaines de milliers de personnes qui ignorent encore qu’elles sont infectées. Ce sont les personnes infectées sans le savoir qui assurent, sans le vouloir évidemment, la persistance de l’épidémie. On sait que l’augmentation de l’égibilité au traitement (la fin des critères restrictifs antérieurs) fait venir les personnes diagnostiquées vers les consultations hospitalières spécialisées, et qu’avec la simplification du parcours de soin plus de personnes seront traitées et suivies, mais encore faut-il qu’un diagnostic soit posé et donc qu’un dépistage soit fait.

(1) : C. Pioche, "Bulletin épidémiologique hebdomadaire" 2016.
(2) : H. Razavi, J Viral Hepat 2014.
(3) : Données de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM).
(4) : Le démarrage du traitement ou initiation est défini comme la délivrance d’un AVD, sans aucune délivrance d’AVD dans les six mois précédents.
(5) : Centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie.
(6) : Centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues.
(7) : permanences d'accès aux soins de santé, dans les hôpitaux.
(8) : "Prise en charge du VHC. Rapport de recommandations 2016", coordonnée par le professeur Daniel Dhumeaux.
(9) : L’incidence désigne le nombre de nouveaux cas d’une maladie sur une période donnée.
(10) : Exposition lors de soins ; par exemple, lors d’une opération à la suite d’une hospitalisation.