État d'urgence sanitaire : mesures et censures

Publié par jfl-seronet le 16.05.2020
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Politiqueétat d'urgenceCovid-19

Responsabilité des acteurs-rices publics-ques et privés-es en vue du déconfinement, fichier de suivi des malades et isolement... voici les principales mesures du projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire face au coronavirus adopté samedi par le Parlement. Un texte qui a été validé le 11 mai par le Conseil constitutionnel, mais assorti de censures et d'interprétations de certaines dispositions.

Jusqu'au 10 juillet

L'état d'urgence sanitaire qui est entré en vigueur le 24 mars pour deux mois, donnant au gouvernement des moyens exceptionnels pour combattre l'épidémie, est prorogé jusqu'au 10 juillet inclus. Le texte prend en compte en outre « les enjeux du déconfinement » qui a débuté lundi 11 mai. Une éventuelle nouvelle prolongation devra de nouveau passer par le Parlement.

Élus-es et employeurs-ses

Le compromis finalisé en commission mixte paritaire samedi 9 mai précise les conditions dans lesquelles peut être engagée la responsabilité pénale des maires et employeurs-ses pendant l'état d'urgence sanitaire. Il doit être tenu compte, non seulement « des compétences, du pouvoir et des moyens » dont disposait l'auteur-e des faits, acteur-rice public-que ou privé-e, mais aussi de « la nature de ses missions ou de ses fonctions ». Cette disposition vise en particulier à protéger les maires « chargés de la mise en oeuvre de décisions qui leur sont imposées » par le gouvernement, selon l'exposé des motifs du compromis proposé par le rapporteur du Sénat Philippe Bas (LR).

Traçage

Le texte permet la création par décret en Conseil d'État d'un système d'information, en lien avec l'Assurance maladie, « destiné à identifier des personnes infectées » et « à collecter des informations » sur les personnes ayant été en contact avec elles, afin de casser la chaîne de contamination. Sans rapport avec l'application controversée StopCovid, qui n'est pas prête, ce système permet le traitement et le partage de données personnelles concernant la santé, y compris sans le consentement de la personne intéressée. Des « brigades », notamment agents de la Sécu, seront chargées de faire remonter la liste des cas contacts. Les parlementaires ont créé une instance de contrôle et prévu que la dérogation au secret médical soit limitée aux données concernant l'infection par le virus. Ils ont limité à trois mois la durée de leur sauvegarde.

Quarantaine et isolement

Des mesures de mise en quarantaine à titre préventif et de placement à l'isolement pour les malades sont prévues pour les personnes qui, « ayant séjourné au cours du mois précédent dans une zone de circulation de l'infection », arrivent dans l'hexagone, en Corse et dans les territoires d'outremer. Ces mesures, dont la durée initiale ne peut excéder 14 jours, peuvent faire l'objet d'un recours devant le juge des libertés et de la détention. L'Élysée a exclu l'application de ces dispositions aux voyageurs-ses en provenance de l'Union européenne, de l'Espace Schengen ou du Royaume-Uni, quelle que soit leur nationalité. Les parlementaires ont explicitement prévu que les conjoints-es et enfants victimes de violences au sein de la famille ne peuvent être placés en quarantaine ou à l'isolement au même domicile que l'auteur des violences.

Déplacements, fermetures et réquisitions

Le nouveau texte redéfinit certaines mesures que le Premier ministre peut prendre par décret.
- « Réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules et réglementer l'accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage » ;
- « Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l'ouverture » des établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion ;
- « Ordonner la réquisition de toute personne et de tous biens et services nécessaires à la lutte contre la catastrophe sanitaire » ;

Le texte élargit aux agents assermentés de la SNCF et de la RATP le pouvoir de verbaliser les infractions aux mesures de l'état d'urgence, telle que l'obligation du port du masque dans les transports en commun. La détention provisoire ne pourra plus être prolongée sans jugement.

Le passage au Conseil constitutionnel

Le texte sur la prolongation de l'état d'urgence a fait l'objet d'un passage au Conseil constitutionnel à la demande du chef de l'Etat, du président du Sénat et de plusieurs parlementaires de l'opposition. Le Conseil constitutionnel a validé lundi 11 mai la prolongation de l’état d’urgence sanitaire en France qui fixe le cadre juridique du déconfinement tout juste entamé dans le pays, mais a censuré plusieurs dispositions concernant l’isolement des malades et le « traçage » de leurs contacts. S'il valide plusieurs dispositions, le conseil a décidé deux censures partielles et énoncé trois réserves d'interprétation. Ces censures et réserves portent sur les traitements de données à caractère personnel de nature médicale aux fins de « traçage » et le régime des mesures de quarantaine et d'isolement. Le projet de loi proroge jusqu’au 10 juillet l’état d’urgence sanitaire pour faire face à l’épidémie de coronavirus, instauré le 23 mars pour une durée initiale de deux mois, comme on voit ci-dessus. Ce texte précise les régimes de mise en quarantaine et de placement à l’isolement, élargit la liste des personnes habilitées à constater les infractions aux mesures de l’état d’urgence sanitaire et crée un système d’information rassemblant des données relatives aux personnes atteintes du Covid-19 et ayant été en contact avec elles. Pour ces dernières, le texte limite à trois mois la durée de conservation des données dans les systèmes d’information. Sur les mesures d’isolement et de mise en quarantaine, le Conseil constitutionnel a censuré « comme méconnaissant la liberté individuelle » l’article 13 de la loi qui a pour effet « de laisser subsister, au plus tard jusqu’au 1er juin 2020, le régime juridique actuellement en vigueur des mesures de mise en quarantaine et de placement et maintien à l’isolement en cas d’état d’urgence sanitaire ».

Sur le « traçage », le Conseil constitutionnel s’est notamment penché sur l’article 11 qui organise les conditions dans lesquelles les données médicales des personnes atteintes du Covid-19 et de celles ayant été en contact avec ces dernières peuvent être partagées par certains-es professionnels-les chargés de traiter les chaînes de contamination. Il a censuré « comme méconnaissant le droit au respect de la vie privée » une partie de son paragraphe III qui incluait les organismes assurant l’accompagnement social des intéressés-es parmi les entités autorisées à avoir accès à ces données. « S’agissant d’un accompagnement social, qui ne relève donc pas directement de la lutte contre l’épidémie, rien ne justifie que la communication des données à caractère personnel traitées dans le système d’information ne soit pas subordonnée au recueil du consentement des intéressés-es », écrivent les Sages.
Députés-es et sénateurs-rices avaient également trouvé un compromis sur la délicate question de la responsabilité pénale des maires. Le Conseil constitutionnel a jugé à cet égard que ces dispositions « rappellent celles de droit commun et s’appliquent de la même manière à toute personne ayant commis un fait susceptible de constituer une faute pénale non intentionnelle dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire ». « Dès lors, poursuivent les Sages, elles ne méconnaissent pas le principe d’égalité devant la loi pénale. »