Etats généraux LGBTI d’IDF : la contribution de AIDES

Publié par Rédacteur-seronet le 21.02.2017
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InitiativeLGBT

Dans la continuité des Etats généraux LGBTI d'Avignon, grand raout national des enjeux et combats de la communauté qui avaient eu lieu en 2015, les Etats généraux LGBTI en Ile-de-France se sont tenus le 29 janvier dernier. Les organisatrices et organisateurs avaient lancé un appel aux contributions. AIDES, en tant qu’association communautaire de lutte contre le VIH/sida et les hépatites virales, a fait la sienne. Cette contribution présente la position et les revendications de l’association pour les cinq prochaines années.

Dans le contexte actuel d’abandon par le gouvernement de la poursuite de l’égalité, de menaces contre nos droits par la droite et l’extrême-droite, de poursuite des contaminations dans nos communautés les plus vulnérables, nous réaffirmons notre engagement total dans le combat pour l’égalité et contre les discriminations qui touchent les personnes LGBTI. Notre contribution s’appuie sur cinq thématiques, au cœur de notre action quotidienne de terrain et de plaidoyer, que sont : la santé sexuelle, la pratique du "chemsex", la lutte contre les discriminations et pour l’égalité des droits et le combat pour une vraie politique d’accueil des étrangers en France.

Etat des lieux de la santé de nos communautés…

L’année 2016 a été l’année de l’autorisation de la PrEP en France (avec à ce jour près de 3 000 personnes ayant accès à la PrEP), et de la consécration de l’efficacité du Tasp comme stratégie de prévention à part entière, notamment par les plans municipaux/régionaux de lutte contre l’épidémie (exemple de Paris sans sida) et la stratégie 90-90-90 de l’Onusida (1). Ces avancées ont inscrit le paradigme de la santé sexuelle dans les politiques de santé publique et se sont traduites par la fin du "Plan sida" gouvernemental et la création de la "Stratégie nationale de santé sexuelle" sortant prochainement et prenant en compte la personne dans sa globalité, que ce soit au niveau de ses pratiques ou de ses conditions de vie. Cette stratégie, grâce à la mobilisation communautaire, valide aussi le principe de "population clefs" auprès desquelles intervenir pour mieux impacter l’épidémie. Néanmoins l’accès aux droits et à la santé reste une composante essentielle de la santé sexuelle, et beaucoup de travail reste à faire sur ce point.

L’année 2016 a aussi été celle de la "RéLOVution", conférence nationale d’engagement communautaire sur la santé gaie, qui a permis d’établir un consensus sur les nouveaux outils de prévention entre les différents acteurs de la communauté (associatifs, gérants de commerce gays ou d’applications de rencontre, de médias gays, de médecins, etc.), et de lancer différents projets relatifs aux nouvelles pratiques dans le milieu gay (nouvelle charte de l’Enipse (2), formation des acteurs à la RDR autour des pratiques de "chemsex", organisation de conférence régionales entre acteurs locaux sur la santé gaie, etc.).

Néanmoins les contaminations restent importantes chez les HSH (hommes ayant des rapports avec d’autres hommes) et les personnes trans, notamment dans les sous-groupes les plus exposés. Nous l’avons constaté sur le terrain par nos activités de dépistage rapide, avec par exemple une prévalence trois fois plus forte chez les HSH caribéens (3,6 % de résultats positifs) que chez les HSH nés en métropole (1,1 %). Les personnes trans migrantes représentaient en 2016, le public de AIDES le plus touché par l’épidémie avec 4,9 % de résultats positifs lors de nos Trod VIH. Ces chiffres montrent l’impact des conditions de vie, de la précarité, des difficultés d’accès aux droits et aux papiers sur la dynamique de l’épidémie. Autre donnée inquiétante, celle des violences contre les travailleurs-ses du sexe — parmi lesquels-les souvent des femmes trans migrantes — qui ne cessent d’augmenter depuis l’entrée en vigueur de la loi de pénalisation des clients.

C’est pourquoi AIDES réclame de :
- Renforcer le financement des CeGIDD (Centre Gratuit d’Information de Dépistage et de Diagnostic), et d’adapter leur offre aux besoins des populations clefs de l’épidémie, en élargissant leurs horaires et en développant leurs actions "hors les murs" ;
- Renforcer le dépistage de l’ensemble des IST par la prise en charge de tous les prélèvements et le développement des Trod et autotests de dépistage des IST ;
- Développer la PrEP en multipliant les consultations sur tout le territoire, en l’adaptant aux réalités des publics trans et migrants/étrangers, ainsi qu’en promouvant l’accompagnement communautaire ;
- Renforcer l’accès au TPE par l’expérimentation de la délivrance communautaire ("starter kit") et l’amélioration de l’accueil dans les services d’urgence.

Une préoccupation particulière : le Chemsex

La pratique du Chemsex (chemical sex) est apparue depuis six à sept ans sous cette appellation (bien qu'existant déjà auparavant). Le chemsex est l'usage de produits psycho-actifs en contexte sexuel. Ces pratiques interpellent tant sur le nombre d'usagers, que sur les moyens de prévention multiples à déployer afin d’éviter les consommations délétères, le développement d'addictions ou de surconsommations, de transmissions du VIH sida et des hépatites (dont hépatite C). Les modes de consommations sont multiples : injections intraveineuses (nommée slam), inhalation, plug anal et sniff.

Ces pratiques se déroulent le plus souvent dans le cadre de "sexe en groupe", multi-partenariat, pratiques hard.  La poly-consommation, la cyber-drague sont des sujets connectés à prendre en compte, ainsi que le contexte anxiogène (crise économique, précarisation de nos minorités, inégalités de droits, homophobie décomplexée, etc.) qui peut être un facteur qui mène à l'augmentation des conduites addictives.

Les enjeux pour nos communautés et nos revendications sont multiples :
- Réfléchir collectivement aux représentations dans nos communautés des usagers de produits en contexte sexuel. Le stigmatisations, exclusions, jugements liés aux pratiques de ces usagers sont légion et freinent la dicibilité, le recours aux soins, les dépistages ;
- Placer les politiques de réduction des risques à l'usage de produits psycho actifs au sommet de nos préoccupations de santé publique dans nos communautés, comme par la création de structures de adaptées à nos communautés et aux pratiques (AIDES a par exemple développé plusieurs espaces dédiés aux usagers ("sexeurs") et à leurs pratiques). Il faut informer plus largement, dans nos associations, lieux de santé communautaires, établissements commerciaux ;
- Développer de réelles politiques de Réduction des Risques sexuelles comportementales et médicalisées intégrant les outils innovants : PrEP, Tasp, TPE ;
- Inciter aux dépistages à VIH, Hépatites et IST le plus souvent possible (tous les deux à trois mois max), traiter précocement : il faut impérativement faire baisser les niveaux de virus dans nos communautés et casser les chaines de contaminations ;
- Proposer une prise en charge psycho-sociale communautaire aux usagers en offrant des consultations avec des professionnel-le-s de l’addiction et psy pour les usagers exprimant des réelles difficultés exprimées. Créer des structures, ou développer des centres qui permettent une prise en charge car aujourd'hui il en existe peu ;
- Réduire les consommations délétères, la mortalité précoce, le nombre de contaminations et les difficultés psychologiques ressenties lors et après ces consommations.

Des discriminations toujours plus présentes

Dans notre travail de terrain quotidien, nous constatons que les discriminations liées au genre, à l’orientation sexuelle, à l’identité de genre, à l’origine ou encore au statut sérologique sont toujours très présentes et sont responsables de nombreux désagréments sur la santé et l’estime de soi des publics avec lesquels nous travaillons (prises de risques, isolement, éloignement du système de soins, consommation abusive de produits psychoactifs, suicides, etc.). A titre d’exemple, selon le rapport "VIH, Hépatites et Vous" réalisé par AIDES en 2016, 47 % des répondants-es déclaraient avoir été victimes de discrimination en raison de leur orientation sexuelle, et 23,6 % des répondants-es l’avoir été dans le milieu médical et 43, 6 % dans leur cercle familial et amical en raison de leur statut sérologique. Les réactions homophobes et violentes aux récentes campagnes de Santé Publique France ou de AIDES, ainsi que les attaques contre nos locaux à Nantes et Angers à la fin de l’année 2016, n’ont encore que trop montré que rien n’est acquis et qu’il reste encore beaucoup de travail d’éducation et de sensibilisation à réaliser.

Cela ne pourra être efficace qu’avec :
-  L’engagement important et permanent des pouvoirs publics dans la lutte contre le sexisme et les violences liées à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre dès le plus jeune âge ;
- La fin des violences médicales dont sont notamment victimes les femmes et les personnes trans et intersexes ;
- La levée progressive des restrictions au don du sang des hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes, en tenant compte des études qui vont être menées ;
- La multiplication des campagnes publiques d’information grand public et communautaires sur le TasP et visant à l’expression de la séropositivité, ainsi que contre les LGBTI-phobies, afin de rester visibles notamment pour les plus jeunes ;
- Pour les plus agé-e-s, la garantie de l’accès des PVVIH et des personnes LGBTI aux résidences collectives, sans qu’elles aient à renier ou dissimuler leur identité et leur vécu.

De nouveaux droits à conquérir

Bien que l’égalité des droits ait avancé avec le mariage et l’adoption "pour tous" au cours du dernier quinquennat, nous sommes conscients des nombreux reculs et renoncements du gouvernement — reniant ses promesses, entérinant l’homophobie de la "Manif pour tous" et rompant le principe d’égalité — et nous sommes déterminés-ées à agir pour les nouveaux droits qu’il nous reste encore à conquérir.

C’est pourquoi AIDES demande au gouvernement :
- De veiller au respect des droits acquis de haute lutte : droit à l’avortement, droit au mariage et à l’adoption des couples de même sexe ;
- L’ouverture de la PMA à toutes les femmes, qu’elles soient en couple de même sexe ou célibataires ;
- Que le mariage soit réellement accessible à tous les couples homosexuels quelque soit leur origine (accords binationaux) ;
- Le droit à mourir dans la dignité ;
- La facilitation du changement d’état civil, libre et gratuit pour les personnes trans, devant un officier d’état civil et non pas un juge ;
- La suppression de la mention de genre sur les documents administratifs (ou la création d’un genre neutre) ;
- De garantir les droits parentaux des personnes trans ;
- Un statut légal pour le travail du sexe, ouvrant des droits à la retraite, au chômage et à la formation,
- L’abrogation de la loi de pénalisation des clients et l’interdiction des arrêtés municipaux qui poussent les travailleurs-ses du sexe dans l’isolement et la clandestinité, les rendant vulnérables aux prises de risque et aux réseaux.

Etrangers-ères, le parcours du combattant…

Le gouvernement actuel a poursuivi la politique migratoire du précédent, et nous constatons trop souvent des refus de demandes d’asiles pour des étrangers-ères LGBTI ou de séjour pour soins (Dasem) pour des étrangers-ères séropositifs-ves au VIH et/ou à l’hépatite C. La France et l’Europe doivent être des lieux d’accueil pour les personnes vulnérables dans leur pays d’origine en raison de leurs pathologies, de leur militantisme, de leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle. Une fois installées en France, ces personnes doivent pouvoir avoir accès aux soins et aux droits fondamentaux sur un strict pied d’égalité avec les ressortissants-es français-es résidant en France.

Le gouvernement doit :
- Arrêter totalement les expulsions d’étrangers-ères (malades ou non) ;
- Rétablir la tutelle du ministère de la santé et des ARS plutôt que de celle de l’OFII (3) sur l’évaluation médicale pour les demandes de séjour pour soins ;
- Faciliter et renforcer le droit d’asile pour les personnes LGBTI et les activistes persécutés-ées dans leur pays d’origine.

(1) : A l’horizon 2020, 90 % des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut sérologique. A l’horizon 2020, 90 % de toutes les personnes infectées par le VIH dépistées reçoivent un traitement anti rétroviral durable. A l’horizon 2020, 90 % des personnes recevant un traitement antirétroviral ont une charge virale durablement supprimée.
(2) : Equipe Nationale d’Intervention en Prévention et Santé pour les Entreprises.
(3) : Office français de l'immigration et de l'intégration.