Malades étrangers : expulsion d’Ofi(i)ce ?

Publié par jfl-seronet le 14.06.2018
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Sous les tranquilles auspices du 15e arrondissement, rien ne semblait déranger la tâche de l’Office Français de l’immigration et de l’intégration, en charge de décider qui peut ou non rester en France. Sauf ce matin, quand un convoi exceptionnel est venu rappeler aux fenêtres de l’OFII le funeste destin que réserve l’agence à 23 étrangers-es malades séropositifs. Une marche funèbre pour leur sauver la vie, alors que l’État français peut les condamner à mort en les expulsant.

Au café Les volontaires, à quelques centaines de mètres de l’Office française de l’immigration et de l’intégration (Ofii), la conversation porte beaucoup sur le foot dont la coupe du monde 2018 démarre aujourd’hui. Il est question de pronostics, des chances des Saoudiens contre les Russes (le match d’ouverture). Et puis, la conversation embraye sur les étrangers… "Je vais jeter un pavé dans la mare… Mais, bon, je me lance", lâche un habitué du café. "Dans mon association, avec les migrants, on ne donne pas le RSA ou le RMI… mais on distribue des tickets service… Ça aussi, c’est de l’argent !"

Autour de lui, on opine du chef. Et le patron du bar lâche d’un air entendu : "Moi, ça ne m’étonne pas. Faut pas croire, mais on distribue des cartes bleues aux étrangers !" Petit moment de flottement. En face de lui, ses clients semblent avoir du mal à y croire. Certains ont l’air choqué… imaginant que cela puisse être vrai ! Heureusement, c’est dans le café d’en face, Le thermidor, que des militants-es de AIDES se sont réunis pour mettre la touche finale à l’opération que l’organisation non gouvernementale a organisé ce 14 juin devant l’Ofii.

Depuis un an, c’est l’Office français de l’immigration et de l’intégration qui a la charge de l’évaluation médicale des personnes étrangères gravement malades qui demandent un titre de séjour pour raisons de santé. Auparavant, cette mission incombait aux agences régionales de santé (ARS), mais la loi a été modifiée sous Hollande (gouvernement Valls II). Ce transfert de compétences s’est accompagné d’un transfert de tutelle. Du temps des ARS, l’évaluation faite par des médecins des ARS était placée sous la tutelle du ministère de la Santé. Maintenant, cette évaluation faite par des médecins de l’Ofii se fait sous la tutelle du ministère de l’Intérieur. Les associations, dont AIDES, ont combattu en leurs temps, ce transfert, pointant notamment des risques quant à l’évaluation de la situation de personnes vivant avec le VIH. Le diagnostic, alors posé, s’est hélas concrétisé : on ne compte plus les cas de personnes séropositives menacées de mort du fait d’une expulsion dans leurs pays d’origine, où elles ne pourront pas être soignées correctement. Ou, plutôt si, on les compte : 23 cas à ce jour ! 23 personnes qui vivaient en France, parfois depuis plusieurs années, et surtout venant de pays n’offrant aucune garantie d’accès aux traitements et à un suivi médical optimal. Ces rejets sont évidemment assortis d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Pour AIDES, ce sont autant de menaces directes sur leur vie. Il y a de quoi porter le deuil.

Ce sont ces cas et plus largement cette dérive que viennent dénoncer les militants-es de AIDES devant les locaux même de l’Ofii, dans le 15e arrondissement parisien. Ils sont venus habillés de noir, comme pour un enterrement. Ils marchent dans la rue aux abords de l’Ofii, lentement, portant une plaque "Aux morts-es du sida, la patrie indifférente" et une gerbe de fleurs blanches où se dessine un ruban de roses rouges. Sur la gerbe, on dénonce : "Aux séropositifs-ves victimes de l’Ofii". Le cortège avance lentement suivi d'un véhicule noir qui fait office de corbillard. Devant le bâtiment de l’Ofii, au signal, quelque 26 militants-tes font un die-in, couchés sur le sol. Pas un bruit, pas un slogan scandé, des requiems émanent du corbillard. Aux fenêtres de l’Ofii, certains employés ont le sourire goguenard, sont intrigués, sortent des portables pour immortaliser le cliché. La sécurité s’agite aussi et un responsable de l’Ofii vient discuter avec les responsables de l’action de AIDES.

Pour AIDES, le droit au séjour pour soins ne doit pas être une variable d’ajustement migratoire, comme c’est manifestement le cas. C’est ce message que l’organisation est venue rappeler. Elle est aussi venue pour que soit trouvée une solution aux différents cas d’ores et déjà répertoriés. Les 23 cas actuels sont ceux qui ont été recensés par des associations, il ne s’agit nullement de données officielles. La loi a prévu que l’Ofii réalise un rapport annuel de son activité, mais celui-ci est en cours de validation et n’a pas encore été publié. On ne sait donc pas quels sont "ses" chiffres. Les cas sont donc ceux dont la société civile a été saisie. Des cas emblématiques et de plus en plus nombreux. "Du jamais vu", explique AIDES. "Nous parlons de personnes venant d’Angola, du Cameroun, du Guyana, de Géorgie ou de Guinée… et qui risquent la mort à brève échéance en cas de retour au pays. Cette multiplication des refus conforme ce que nous pressentions, explique Aurélien Beaucamp, le président de AIDES. Le ministère de l’Intérieur n’a que faire des impératifs élémentaires de santé publique. Pour l’Ofii, un malade étranger reste avant tout un étranger".

Cela fait maintenant plus d’une heure que les militants-tes sont couchés sur le sol, dans la rue, devant l’Ofii. Deux représentantes de l’association ont pu entrer dans le bâtiment pour pouvoir enfin décrocher un rendez-vous, demandé de longue date et resté lettre morte, auprès du directeur de l’Ofii. S’ensuivent des discussions, de vagues promesses et une forme de légèreté voire d’indifférence à ce qui est en jeu. Aux reproches adressés à l’Ofii, le premier réflexe est de répondre que les expulsions de personnes malades, ce n’est pas eux ; qu’il y aura sans doute un rendez-vous bientôt comme AIDES le demande. Mais les militants-tes n’entendent pas lâcher. Entre temps, la police est arrivée, des gardiens de la paix, rejoints un peu plus tard par des officiers… Ce sont eux qui discutent alors avec les représentantes de AIDES, puis qui interpellent leurs collègues de l’Ofii. Finalement, au terme de quelques tractations, un rendez-vous est fixé au 15 juin avec le directeur de l’Ofii (Didier Leschi).

"Avec le passage des compétences des ARS à l’Ofii, le nombre de ces cas a triplé", rappelle Adeline Toullier, directrice du plaidoyer à AIDES. "Ces refus concernent aussi bien des premières demandes que des renouvellement de titre et nombre de décisions sont ubuesques. On peut citer un exemple de décision qui explique que bien que la personne vive avec le VIH, une femme d’origine camerounaise, son était ne nécessite pas de prise en charge médicale… Pour cette raison, elle ne peut donc pas rester ici. On peut citer cette autre décision qui explique que le retour de la personne dans son pays d’origine ne l’expose pas à une situation d’extrême gravité pour elle, alors même qu’elle ne pourra pas bénéficier d’une qualité de prise en charge équivalent à celle qu’elle a ici et dont elle a besoin. Un autre exemple édifiant, celui d’un couple, originaire d’Angola, dont les deux membres vivent avec le VIH : l’un a vu sa demande acceptée, il peut rester, l’autre pas : la personne doit partir".

Un rendez-vous pour dire quoi ? "Nous voulons attirer l'attention de l'Etat sur la dégradation extrême du droit au séjour pour raisons médicales", explique Adeline Toullier, citée par l’AFP. Depuis la loi Chevènement de 1998 (loi relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile dite loi Reseda), une étrangère gravement malade peut bénéficier d'un titre de séjour à la condition de ne pas avoir accès à des traitements disponibles dans son pays d'origine. Différents textes ont été adoptés ensuite établissant des critères pour une régularisation pour soins. Côté conditions administratives : absence de trouble à l’ordre public et résidence habituelle d’un an d’ancienneté de présence en France. Il faut ensuite nécessité une prise en charge médicale, qu’il y est un risque d’exceptionnelle gravité (du point de vue médical en cas de retour au pays) et pas d’accès effectif au traitement dans le pays d’origine eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont la personne est originaires. Une circulaire du ministère de la Santé explique qu’en matière de VIH, on doit considérer qu’il n’y a pas d’accès aux traitements dans les pays du sud, notamment en Afrique. Autrement dit, des personnes vivant avec le VIH et ressortissantes de pays comme l’Angola, le Cameroun, la Guinée, etc. ne devraient pas être expulsées vers leur pays d’origine. C’est pourtant le contraire qui se passe puisqu’il y a de plus en plus de refus.

Ces refus sont "indignes et infondés, arbitraires et absurdes", dénonce AIDES dans son communiqué en marge de sa manifestation. "Ces personnes, pour qui un renvoi vers la mort est inenvisageable, n’auront pour seule option que de tenter de se maintenir sur le sol français en situation irrégulière. Forcées à la clandestinité, elles verront leurs accès aux soins dégradé, avec le risque d’interruptions de traitement et de remontée de charge virale, augmentant ainsi le risque de transmission", explique l’organisation. Pour AIDES : "la protection des malades étrangers n’est pas une mesure humanitaire. C’est la base d’une politique de santé efficace". C’est ce message-là qu’entend porter AIDES lors de son rendez-vous avec le patron de l’Ofii. Un message assorti de demandes : un accès au séjour effectif pour toutes les personnes gravement malades résidant en France et venant de pays n’offrant aucune garantie d’accès aux soins ; le respect plein et entier des orientations du ministère de la santé rappelant qu’il n’est "pas possible de considérer que les traitements VIH sont accessibles dans les pays en voie de développement" ; "l'arrêt des traitements arbitraires de l’Ofii et l’attribution immédiate de titres de séjour pour soin aux personnes gravement malades concernées".

Quels pays sont concernés ?
Dans un document de synthèse, AIDES, le Comede et leurs partenaires associatifs de l’ODSE ont donc recensé 23 cas d’avis médicaux défavorables des médecins de l’Ofii pour des personnes étrangères vivant avec le VIH résidant en France. Onze pays sont concernés : Algérie, Angola, Brésil, Cameroun, Géorgie, Guinée, Guyana, Maroc, Pérou, Russie, Tunisie. Ces décisions surprennent et choquent car elles concernent des pays où l’accès aux soins pour le VIH n’est pas toujours garanti. Une décision concerne une personne russe vivant avec le VIH et désormais expulsable… or, on sait que la moitié des personnes vivant avec le VIH en Russie n’a pas accès à un traitement. Plusieurs avis défavorables concernent des personnes originaires de pays d’Afrique. Or, selon l’article L 313 11 11° du Ceseda (code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile), les médecins de l’Ofii effectuent leur mission dans le "respect des orientations générales fixées par le ministère de la Santé", qui figurent dans l’arrêté du 5 janvier 2017. Que disent-elles ? Elles indiquent que "dans l’ensemble des pays en développement, il n’est […] pas encore possible de considérer que les personnes séropositives peuvent avoir accès aux traitements antirétroviraux ni à la prise en charge médicale nécessaire pour tous les porteurs d’une infection par le VIH dès le diagnostic". C’est suffisamment explicite que comprendre que le traitement anti-VIH ne doit pas être considéré comme accessible en Afrique. Pourtant l’Ofii et les préfectures dans la foulée décident du contraire. Comme s’ils oubliaient qu’aujourd’hui dans le monde : une personne vivant avec le VIH sur deux n’a pas accès au traitement !

Refus de l’Ofii : les cas augmentent !
La réforme de 2016 (avec le transfert de l’évaluation médicale des agences régionales de santé à l’Ofii) était vendue par le gouvernement d’alors comme le moyen d’assurer une "appréciation plus souple, plus efficace, mais aussi plus harmonieuse nationalement des conditions médicales, notamment la possibilité d’accès aux soins dans le pays d’origine". C’est raté et la situation se dégrade, notent les organisations de l’ODSE. "Depuis le 1er janvier 2017 (1) (…) nous avons une augmentation des avis médicaux négatifs, souvent par l’affirmation que le traitement est disponible dans les pays d’origine. Depuis mars 2017, nous avons 23 cas d’étrangers séropositifs qui ont reçu une obligation de quitter le territoire français versus quatre cas en 2016", explique Caroline Izambert, responsable Plaidoyer et mobilisations citoyennes à AIDES (2).
A ce jour, bien que la mesure soit prévue par la loi, l’Ofii n’a pas encore publié ses chiffres. Des chiffres que les ONG demandent depuis plusieurs mois. Mais des chiffres sur les contentieux concernant les personnes vivant avec le VIH, il en existe. Il y a d’une part les refus de séjour suite à des avis médicaux défavorables (la préfecture s’appuie sur l’avis médical des médecins de l’Ofii, ou avant des agences régionales, pour refuser le séjour) et d’autre part les refus de séjour malgré les avis médicaux favorables (la préfecture prend une décision contraire à l’avis médical favorable sur la base d’une contre-enquête). Cela montre les attaques multiples contre le droit au séjour pour soins : les médecins de l’Ofii jouent à la police, et les préfets jouent aux docteurs…
Depuis 2013, 58 personnes vivant avec le VIH ont exercé un recours devant les tribunaux administratifs afin de contester une décision préfectorale tendant à les éloigner du territoire. "Sur ces 58 recours, 47 portent sur des refus de titres de séjour et 11 sur des demandes de protection contre l’éloignement en raison de leur état de santé (…) [sur l’ensemble des cas] 28 concernent des contre-enquêtes médicales menées par les préfectures à la suite d’avis médicaux favorables au maintien en France de ces personnes ; 19 étaient originaires d’Afrique sub-saharienne. Parmi ces 28 contre-enquêtes, huit ont été confirmées par les tribunaux", rappelle un rapport de AIDES (3). Au total, ce sont 15 avis défavorables au séjour pour des personnes vivant avec le VIH qui ont été prononcés, seuls 4 ont été annulés par les tribunaux.
Le gouvernement Valls misait aussi sur le fait que la loi de 2016 permettrait de "restaurer la confiance des services préfectoraux envers les avis médicaux" : plus de contre-enquêtes, respect des avis, etc. dans un courrier officiel (4), l’ODSE constate et déplore la "persistance des pratiques de refus de séjour et d’éloignement du territoire en contradiction avec les avis médicaux". Du côté, des organisations non gouvernementales, on rappelle aussi que des avis négatifs sont également rendus pour d’autres maladies : pathologies mentales, hépatites virales, etc.

(1) : Date à laquelle la procédure d’évaluation médicale est passée à l’Ofii.
(2) : Interview à Décision Santé, 28 juin 2016
(3) : "VIH/hépatites. La face cachée des discriminations", rapport 2017, AIDES, page 49.
(4) : 23 février 2018, courrier de l’ODSE adressé aux ministres de la Santé (Agnès Buzyn) et de l’Intérieur (Gérard Collomb), à l’Ofii, etc.

Le rendez-vous avec l’Ofii : déni et absence de dialogue
Le 15 juin, après plusieurs demandes de rendez-vous restées infructueuses et une manifestation devant le bâtiment de l’Ofii, le directeur de cette agence de l’État, Didier Leschi a enfin accordé un rendez-vous à AIDES. L'ONG s’est rendue à ce rendez-vous avec le Comede, partenaire de l’association avec lequel sont recensés les refus de titre de séjour pour les personnes vivant avec le VIH. Par ailleurs, le Comede accompagne les demandes de titre de séjour pour soins de personnes atteintes par d'autres pathologies. "Devant le bâtiment de l'Ofii, une voiture de police était stationnée et elle n'est partie que lorsque nous avons fini le rendez-vous ; une façon de nous faire comprendre qu'elle était là pour nous. Les contrôles pour entrer dans le bâtiment avaient été renforcés depuis la veille", explique Caroline Izambert, responsable Plaidoyer et mobilisations citoyennes à AIDES, présente au rendez-vous. En amont, le directeur de l’Ofii a twitté que "94 % des personnes vivant avec le VIH recevaient un avis positif pour leur demande de titre de séjour pour soins". Cela fait des mois que AIDES et ses partenaires, demandent à avoir accès à des chiffres officiels… Jusqu’à présent, l’Ofii nous les refuse prétextant que le parlement doit en avoir la primeur. Un principe vite oublié face à la pression médiatique liée à notre manifestation. Pour l’instant, il est impossible de se prononcer sur la validité de ce chiffre. Nous attendons d'avoir le rapport complet et exhaustif sur l'ensemble des avis médicaux, prévu par la loi. Reste que nos constats de terrain restent indiscutables : les refus se multiplient", explique Caroline Izambert."Sans surprise, le ton du rendez-vous a été particulièrement désagréable et agressif, traduisant de la part de l’Ofii un grand mépris pour le travail d'accompagnement et d'observatoire des associations. Le directeur de l'Ofii a paru profondément agacé et déstabilisé par l'action de la veille. Il s'est retranché derrière l'indépendance des médecins de l'Ofii et a totalement refusé d'évoquer la situation des 23 cas recensés par les associations. Il assume totalement le fait que les orientations du ministère de la Santé, pourtant inscrites dans une instruction, ne soient pas suivies par les médecins de l'Ofii", résume Caroline Izambert. Nous avons réussi à ce que l’Ofii et ses pratiques soient sous le feu des projecteurs. Cependant, l'institution est rétive au dialogue et un combat de longue haleine s'annonce pour obtenir des régularisations pour les personnes vivant avec le VIH, ou atteintes d’autres pathologies d’ailleurs, qui se sont vues opposer un refus. Notre objectif est de faire cesser ces pratiques qui ne devraient pas avoir lieu", conclut la responsable Plaidoyer et mobilisations citoyennes à AIDES.

Loi "Asile Immigration" : un risque d’aggravation pour les personnes malades étrangères
En février 2018 le gouvernement présente son projet de loi "Asile Immigration" (1). Depuis 1980, pas moins de 29 textes de loi, dont seize majeurs, ont été portés par le Parlement sur ce sujet. Les plus récents datent de 2015 et 2016 et n’ont, faute du recul nécessaire, pas encore été évalués. Le Conseil d’État le pointe d’ailleurs dans son avis sur l’actuel projet, en amont des débats à l’Assemblée Nationale. Peu importe pour le gouvernement qui dégaine un nouveau texte, dont l’objectif est de modifier les règles d’obtention et de procédures pour accéder au statut de réfugié politique et au séjour, notamment pour soins. Le gouvernement a beau expliquer qu’il propose un texte "équilibré" entre "humanisme et rigueur", on voit mal, à la lecture précise des dispositions proposée, où est la mesure dans ce texte. De fait, le projet de loi s’avère "dangereux pour la santé des personnes étrangères", estime l’ODSE (2). AIDES qui a procédé à une analyse du texte gouvernemental note que le projet ne vient pas "corriger les abus déjà constatés suite à la réforme du droit au séjour pour soins de  2016". Entrée en vigueur en janvier 2017, cette dernière a procédé au transfert de la procédure d’évaluation médicale à l’Ofii, sous tutelle du ministère de l’Intérieur, avec les conséquences qu’on connaît : convocations systématiques des personnes inconnues par l’Ofii, y compris celles dont les dossiers ont été traités par les agences régionales de santé auparavant, refus de délivrance de récépissés au moment du dépôt de la demande pouvant entraîner des ruptures de droits sociaux pour les personnes concernées, multiplication des refus de séjour suite à des avis médicaux défavorables de l’Ofii accompagnés d’OQTF… Depuis la mise en place de l’évaluation médicale à l’Ofii, on assiste à une chute du nombre de titres de séjour délivrés pour soins : 6 850 en 2016 contre 4 315 en 2017, soit une baisse de 37 %.
L’association pointe le fait que le projet gouvernemental "complexifie le parcours" des personnes demandeuses du droit au séjour pour soins. Le projet envisage d’introduire une règle qui prévoit que toute personne demandeuse d’asile est informée qu’elle peut également solliciter un titre de séjour sur un autre fondement que l’asile pendant l’instruction de sa demande ; par exemple, la santé. Dans ce cas, demande d’asile et demande de droit au séjour pour soins chemineraient parallèlement. Ce double dépôt parallèle existe dans les textes, mais de nombreuses préfectures, contrevenant ainsi à la loi, refusent les demandes de titre de séjour pour soins lorsqu’une demande d’asile est en cours (3). Le projet gouvernemental durcit le mécanisme puisqu’il prévoit que si la demande d’asile est rejetée et l’obligation de quitter le territoire notifiée par la préfecture, il ne sera plus possible de déposer une demande de titre de séjour sur un autre motif, sauf en cas de circonstances nouvelles (donc postérieures à la demande d’asile). "Cela exclura les personnes qui se savent gravement malades depuis longtemps et dont l’état de santé n’a pas évolué depuis le dépôt de la demande d’asile. Les personnes malades étrangères vont être directement concernées, puisqu’une part importante des personnes déboutées de l’asile se réoriente vers le droit au séjour pour soins", note AIDES.
De plus, différentes dispositions du texte (allongement des délais de rétention, réduction des délais pour déposer une demande ou former un recours en cas de refus) vont avoir un impact particulier sur les personnes malades étrangères. Le texte a été adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, le 22 avril dernier, puis voté au Sénat, en première lecture, le 26 juin dernier. Le projet y a été largement modifié et durci. Il est passé en commission mixte paritaire le 4 juillet avant un nouveau et dernier passage à l’Assemblée nationale.

(1) : De son vrai nom, projet de loi "Immigration maîtrisée, droit d’asile effectif et intégration réussie".
(2) : Observatoire du droit à la santé des étrangers dont AIDES est membre.
(3) : 11,4 % des demandes de titre de séjour pour soins n’ont pu être enregistrées en raison d’une demande d’asile en cours. Rapport de AIDES sur le droit au séjour pour soins, juin 2015.

Interdiction de demande successive asile-séjour pour soins : un exemple de l’impact de cette mesure
M. X, de nationalité érythréenne,  a déposé une demande d’asile à son arrivée en France. Pendant l’instruction de sa demande, il découvre sa séropositivité au VIH. Après plusieurs mois, le statut de réfugié lui est refusé. Et par suite, la préfecture lui notifie une obligation de quitter le territoire français (OQTF). En l’état actuel du droit, M. X pourrait demande l’abrogation de l’OQTF et un titre de séjour pour soins en raison de son état de santé. Si le projet de loi est voté, M. X ne sera pas admis à déposer une demande de titre de séjour pour soins, la découverte de sa sérologie étant antérieure à la notification de son OQTF, elle ne constitue pas "une circonstance nouvelle". Mais il ne pourra pas non plus être expulsé, au regard des conséquences que cela entraînerait pour son état de santé (comme il ne peut bénéficier d’un accès effectif aux soins dans son pays d’origine). Il se retrouvera alors dans la catégorie des "ni-nis" ("ni expulsable, ni régularisable").
Loi "Asile Immigration" : le Sénat durcit le texte
Si elle a "lâché" du lest sur certains sujets — par exemple, le Sénat n’est pas favorable à la réduction du délai de recours en cas de refus du droit d’asile — la haute assemblée a surtout travaillé à durcir le texte du gouvernement. Comme la droite a la majorité, elle a très largement avancé ses options habituelles en matière d’immigration voire ses marottes obsessionnelles : la fin de l’AME. Au final, le texte voté le 26 juin au Sénat met en place les quotas en proposant d’organiser "un débat annuel au parlement sur la gestion des flux migratoires" ; "d’éloigner plus efficacement les étrangers en situation irrégulière ou délinquants" ("renforcement des peines complémentaires d’interdiction du territoire pour les étrangers délinquants") ; création d’un fichier national biométrique des étrangers déclarés majeurs à l’issue de leur évaluation par les départements ;"adaptation du droit du sol à Mayotte". Ou encore interdiction de réunification des familles quand un-e mineneur-e obtient l’asile en France, redéfinition, durcie, du délit de solidarité.
Comme le pointait "Le Monde" (26 juin), avec un texte de loi encore plus caricatural dans son approche des personnes réfugiées et des migrants-es, la majorité (LREM) à l’Assemblée nationale aura la partie facile en rétablissant le texte initial du gouvernement pour se faire passer pour "humaniste". "Reste que même s’ils gomment les modifications du Sénat, les députés-es ne feront que rétablir une copie contestée par un faisceau très large d’acteurs, des associations au Défenseur des droits", explique ainsi le quotidien.

Les malades victimes d’une politique migratoire répressive
La Cimade a publié le 21 juin dernier un rapport pour dresser le bilan des effets de la loi du 7 mars 2016 sur le droit au séjour des personnes étrangères gravement malades et leur protection contre l’expulsion. Le titre du rapport donne le ton : "Soigner ou suspecter : les malades victimes d’une politique migratoire répressive". Le document est une charge contre la "politique menée par la place Beauvau [siège du ministère de l’Intérieur] et [le] rôle de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii)". Il remet en cause le transfert de l’évaluation des besoins de prise en charge et de l’accès aux soins dans leur pays d’origine des personnes étrangères gravement malades installées en France des agences régionales de santé (ARS) à l’Ofii et pointe ses conséquences. Aujourd’hui, les statistiques du ministère de l’Intérieur font état d’une chute de 37 % des délivrances de titre de séjour pour soins. "Le bilan est sombre, dénonce la Cimade. La nouvelle procédure d’évaluation médicale est marquée par l’obsession de la lutte contre la fraude, récurrente de la part du ministère de l’Intérieur concernant les malades étrangers, et que l’Ofii semble s’être réappropriée". "Cette obsession mobilise des moyens au détriment de la protection des personnes malades : l’Ofii a choisi de convoquer systématiquement toutes les personnes demandant un titre de séjour pour soins, rallongeant ainsi incroyablement les délais d’instruction et soumettant trop souvent les malades à des interrogatoires et examens médicaux aux objectifs et résultats opaques", dénonce le rapport. "L’Ofii refuse ainsi de faire connaître les fiches-pays utilisées par ses médecins pour évaluer l’effectivité (pour chaque personne concernée) de l’accès aux soins dans son pays d’origine. Bien que l’Office n’ait toujours pas rendu public son rapport annuel pour 2017, la Cimade constate, comme d'autres acteurs de terrain une très forte augmentation des avis médicaux défavorables sur tout le territoire national". Dans son rapport, la Cimade rappelle qu'elle "dénonce de longue date les atteintes aux droits des personnes enfermées en centre de rétention. Elles peuvent à tout moment être expulsées quel que soit leur état de santé ou le sens de l’avis du médecin de l’Ofii lorsqu’il est saisi par le médecin du centre de rétention. Ainsi, en janvier 2018, une personne séropositive ne pouvant, selon tous les médecins y compris celui de l’Ofii, se soigner dans son pays d’origine, a été expulsée", rappelle l'ONG.
Refus de récépissé : pourquoi ?
Depuis l'entrée en vigueur de la réforme de 2016, il arrive fréquemment que les préfectures refusent de délivrer un récépissé lors de l'enregistrement d'une demande de titre de séjour pour raisons médicales, comme c'était le cas auparavant. Ces refus ont des conséquences dramatiques pour les personnes qui se retrouvent alors en situation irrégulière, et peuvent perdre leur emploi et leurs droits sociaux.
Ces pratiques préfectorales résultent de la circulaire ministérielle du 29 janvier 2017 qui interprète de manière défavorable les décrets d'application de la réforme de 2016. Selon cette circulaire les préfectures ne doivent pas délivrer de récépissés aux personnes malades au moment de l’enregistrement de leur demande, mais lors de la confirmation au préfet de la réception du rapport médical par le collège de médecins de l’Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii). Cette circulaire ministérielle entre en conflit avec l'article R.311-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) qui prévoit qu’un récépissé est remis à toute personne admise à souscrire une demande de délivrance ou de renouvellement d’un titre de séjour.
Grâce à un travail de plaidoyer conduit par l’ODSE (Observatoire du droit à la santé des étrangers) et AIDES (également membre de l’ODSE) qui ont interpellé le ministère de l’Intérieur un nouveau décret a été publié au début du mois de mai 2018. Il modifie les instructions concernant la délivrance d’un récépissé lors d’une demande de renouvellement de titre de séjour pour soins. Désormais lorsqu’une personne malade étrangère dépose une demande de renouvellement de son titre, un récépissé doit lui être délivré dès que le service médical de l’Ofii reçoit le certificat médical établi par le médecin traitant ou par un praticien hospitalier. Les cas de non-délivrance du récépissé ne lui sont plus opposables. Le préfet ne peut plus refuser de délivrer ce récépissé dans les cas prévus par l’article R 313-23, qui ne visent désormais que la demande de première délivrance du titre de séjour. Il faut néanmoins se montrer vigilant sur l’application effective du décret. Rappelons que le droit au récépissé déroge au droit commun seulement pour les personnes malades, notamment lors de leur demande de régularisation.
Le Défenseur des droits saisi par AIDES et le Comede
Le Défenseur des droits peut être saisi par toute personne morale (une association, par exemple) ou privée qui souhaite faire mieux respecter ses droits et ses libertés par un service public ou une administration. Il peut également être saisi pour toutes les questions liées aux luttes contre les discriminations, à la protection de l'enfance et à la déontologie de la sécurité, que l'auteur soit une personne publique ou privée. La loi dispose très précisément que le Défenseur des droits peut être saisi : "Par toute personne physique ou morale qui s’estime lésée dans ses droits et libertés par le fonctionnement d’une administration de l’Etat, d’une collectivité territoriale, d’un établissement public ou d’un organisme investi d’une mission de service public". L’auteur d’une réclamation présentée au titre de la défense des droits et libertés dans le cadre des relations avec les administrations de l’Etat, etc. doit produire tous éléments de nature à justifier des démarches qu’il a préalablement accomplies auprès des personnes publiques ou des organismes mis en cause. AIDES et son partenaire, le Comede, ont décidé de saisir le Défenseur des droits Jacques Toubon sur"les avis médicaux rendus à l’égard des personnes vivant avec le VIH par les médecins de l’Ofii depuis l’entrée en vigueur de la loi du 7 mars 2016". La saisine y mentionne la "multiplication d’avis médicaux défavorables [qui] coïncide avec l’entré en vigueur des nouvelles dispositions relatives à la réforme législative du 7 mars 2016". "Force est de constater au regard de nos pratiques de terrain que la nouvelle procédure d’évaluation médicale conduit à une dégradation des conditions d’accès aux droits et à la santé des malades étrangers-es résidant en France, confirmant les inquiétudes que nous avions exprimées à l’égard des conséquences de cette réforme", avancent les signataires de cette saisine.
Que va faire le Défenseur des droits ? Il va apprécier si les faits qui font l’objet d’une réclamation ou qui lui sont signalés appellent une intervention de sa part. En cas de refus, il indique les motifs pour lesquels il décide de ne pas donner suite à une saisine. Le Défenseur des droits peut faire toute recommandation qui lui apparaît de nature à garantir le respect des droits et libertés de la ou des personnes lésées et à régler les difficultés soulevées devant lui ou à en prévenir le renouvellement. Les autorités ou personnes intéressées informent le Défenseur des droits, dans le délai qu’il fixe, des suites données à ses recommandations. Si rien n’est fait, le Défenseur des droits peut enjoindre à la personne ou structure mise en cause de prendre, dans un délai déterminé, les mesures nécessaires. Lorsqu’il n’a pas été donné suite à son injonction, le Défenseur des droits établit un rapport spécial, qui est communiqué à la personne ou structure mise en cause. Le Défenseur des droits rend publics ce rapport et, le cas échéant, la réponse de la personne mise en cause, selon des modalités qu’il détermine. L’ensemble du processus dure plusieurs mois.

Article MAJ le 17 juillet 2018

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Portrait de sonia

Un rendez-vous pour dire quoi ? "Nous voulons attirer l'attention de l'Etat sur la dégradation extrême du droit au séjour pour raisons médicales", explique Adeline Toullier, directrice du plaidoyer à aides.

Alors, ce rdv du 15 juin avec le directeur m.Leschi? Des news ou on enterre nos pseudos avec le cortège ? Il fait noir...j'ai peur...

Juste qu'il ne faut pas jeter la pierre à son voisin ; si je ne fréquente plus les associations, c'est parce qu'elles pratiquent toutes le chantage aux tickets de service. Soit tu es gentil et tu balances, tu y a drois, soit tu te tires !

Fière d'être française et amoureuse de la poésie, rare pour une arabe, mdr.

Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;

Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

Et de longs corbillards sans tambours ni trompettes defilent - Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme ; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir. Charles Beaudelaire les fleurs du mal

Portrait de Khammi

J'ai séjourné à douala au Cameroune les médicaments sont disponible pour les personnes qui sont suivi, mais les dosage sont très supérieure au notre toutes les personnes qui sont suivi par les service de santé ont accès au médicaments