Etre activiste aux Seychelles, c’est être confronté à la solitude

Publié par Rédacteur-seronet le 03.08.2016
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Les Seychelles sont souvent perçues comme un véritable petit paradis terrestre. Pourtant l’envers de ce décor de carte postale montre une prévalence au VIH de 14 % chez les hommes gays (HSH) et de 4 % chez les consommateurs de drogues injectables en 2011, dans ce petit pays de 90 000 habitants. Cette année, le président réélu a annoncé d’une part la dépénalisation de l’homosexualité, encore passible de prison, ainsi qu’une abrogation future de la loi criminalisant les drogues, deux bons signaux pour la prévention et la lutte contre le VIH. Lors de la conférence mondiale sur le sida de Durban, la délégation seychelloise comptait trois activistes. Rencontre avec Ronny Arnephy, vice-président de LGBT Sey, qui revient sur ces avancées  sociales majeures.

Pourriez-vous nous résumer votre parcours militant en quelques grandes étapes ?

Ronny Arnephy : Je me considère comme un activiste depuis cinq ans. Tout d’abord en tant qu’homosexuel, puisqu’en 2011, j’ai fait mon coming out. J’ai donc cherché à me documenter sur la question gay aux Seychelles. J’ai découvert que le taux de prévalence au VIH était extrêmement élevé au sein de la communauté seychelloise. Je me suis également rendu compte qu’aucun programme spécifique n’était implanté dans notre pays pour répondre à cet enjeu. Je mis suis alors investi au sein de Haso (HIV/aids support organisation), seule association généraliste de lutte contre le sida aux Seychelles, puis au sein de Ravane Océan Indien, un réseau sous-régional de défense des droits des personnes vivant avec le VIH réunissant les activistes de toutes les îles de l’Océan Indien. J’en suis devenu le premier président en 2014. En parallèle, j’ai fait des recherches pour fonder une association pour les droits des LGBTI aux Seychelles. J’ai rencontré une activiste lesbienne, Fabianna Bonne, qui avait la même envie que moi, et avons cofondé LGBTI Sey, la première association identitaire LGBT seychelloise, à la fin de l’année 2015. En juin dernier, nous avons enfin reçu l’agrément actant l’existence légale de notre organisation. Je le vois comme un symbole et le résultat du plaidoyer que nous avons mené pour abroger la loi pénalisant la sodomie, même s’il reste encore beaucoup à faire en termes de défense des populations exposées au VIH.

A ce propos, comment avez-vous procédé pour porter la voix des LGBT afin de parvenir à l’abrogation de la loi anti-sodomie ?

En mai 2015, j’ai été convié en Namibie pour une formation au plaidoyer organisée par Arc International. C’est là que j’ai su que les Seychelles s’étaient engagées à appliquer les recommandations du haut-commissariat aux droits de l’Homme de septembre 2012. Pourtant, les cinq recommandations concernant en particulier les droits des minorités sexuelles n’étaient pas appliquées, notamment parce que la section 151 du code pénal seychellois condamnait la sodomie jusqu’à 14 ans d’emprisonnement ! La première étape fut donc la réalisation d’un shadow report [rapport confidentiel rendu auprès des autorités, mais non officiel], visant à rappeler à l’Etat seychellois ses engagements internationaux.

Nous avons pu bénéficier d’un calendrier propice pour structurer et développer nos actions de plaidoyer, puisque 2015 était une année électorale avec les élections présidentielles. Durant la campagne, nous avons interpellé chacun des sept candidats à travers un courrier leur demandant de se positionner sur la question LGBT. Sans surprise, nous n’avons reçu que deux réponses, toutes deux favorables à l’évolution de la juridiction seychelloise sur l’homosexualité : celle du président sortant James Michel, du parti de gauche Lepep (Le Peuple en créole) en lice pour un troisième mandat, et celle d’Alexia Amesbury, seule femme candidate à l’élection. Nous avons également sensibilisé des parlementaires a priori favorables à l’abrogation de la loi, ainsi que la ministre de la Santé, le vice-président, et le procureur général des Seychelles. Nous avons également participé à des débats publics à Mahé, l’île principale de notre archipel, ainsi que sur l’île de Praslin, avec le soutien de membres progressistes du Parlement.

Il se trouve que le parti au pouvoir Lepep souhaitait depuis longtemps, abroger cette loi. Mais faute de militantisme LGBT, et du fait de l’emprise de l’église catholique sur notre pays, cette question était sans cesse reportée. En parallèle, nous avons commencé à mobiliser les personnes sur les réseaux sociaux autour de la création de LGBTI Sey. En quelques semaines, l’association comptait déjà une trentaine de nouveaux membres — elle en compte aujourd’hui plus de 60. Nous avons donc pu déclarer l’association au 1er septembre 2015 et organiser les élections d’un conseil d’administration. Fabiana a été élue présidente et moi vice-président. Dans un petit pays comme le nôtre, la création de la première association LGBT est, en soi, un événement. Nous avons pu bénéficier du grand soutien de l’ambassade du Royaume-Uni qui a organisé et financé une formation à la structuration du plaidoyer, animée par un juriste irlandais. Il faut aussi signaler que la loi pénalisant la sodomie aux Seychelles est un héritage de l’empire colonial britannique. C’est ce qui a, semble-t-il, motivé l’ambassadeur britannique à nous appuyer pour y mettre fin. Le 18 décembre dernier, James Michel a été réélu avec une très courte avance sur son concurrent conservateur. Lors de son discours à la nation en février 2016, il a annoncé l’abrogation de la loi pénalisant la sodomie. L’abrogation est effective depuis le 17 mai 2016, lors de l’International day against homophobia (Idaho), et le 20 juin 2016 LGBT Sey recevait son agrément.

James Michel, le président de la République, a aussi annoncé la dépénalisation de la consommation de drogues. Pouvez-vous en dire davantage ?

C’est aussi une réelle avancée, mais qu’il convient de nuancer. Avant cette annonce, la consommation de drogues était illégale. Les Seychelles pratiquaient une politique de tolérance zéro en matière de consommation comme de détention de seringues. Aujourd’hui, si la police te trouve avec moins de dix grammes de cannabis ou moins d’un gramme d’héroïne, vous êtes considéré comme un consommateur, et non plus comme un trafiquant, mais vous payerez tout de même une amende. Si vous vous faites prendre une deuxième fois, vous payerez une amende plus élevée, vous devrez apporter la preuve qu’il s’agit de votre propre consommation (ce qui s’avère difficile) et vous aurez une injonction au soin. La vraie avancée, c’est que les consommateurs de drogue n’iront plus en prison.

La deuxième avancée est la mise en place d’un programme d’échange de seringues. Or, il reste l’enjeu majeur de la participation des acteurs communautaires aux programmes de réduction des risques, mis en place par l’Etat. La société civile a été invitée lors de consultations préliminaires à la mise en place du programme. Mais la participation des consommateurs eux-mêmes est une condition sine qua non à la réussite de tels dispositifs. L’idéal serait de créer une association d’injecteurs sur le modèle de ce que nous avons fait pour les personnes LGBTI avec notre association LGBT Sey. Enfin les dispositifs médicaux de désintoxication aux opiacés sont en pleine refonte et seront moins axés sur la spiritualité religieuse, du moins nous l’espèrons... L’autre enjeu majeur qui subsiste reste l’accès gratuit à la méthadone qui est encore à la charge des patients et dont le prix pour une cure d’un mois équivaut au salaire mensuel minimum seychellois.

Quel est l’intérêt de participer à la conférence de Durban ?

Etre activiste aux Seychelles, c’est être un peu confronté à la solitude. Il y a peu d’acteurs, et le peu de personnes engagées le sont sur tous les fronts. Notre petit contexte insulaire fait que les choses avancent moins rapidement. En l’absence du soutien du Fonds mondial, nous devons trouver des alliés. J’attends de Durban d’y rencontrer d’autres activistes du monde entier, de bénéficier de leur savoir-faire et à mon tour de témoigner de notre expérience.

Quelles sont vos perspectives après la conférence ?

Il reste pas mal de chantiers en cours. Il faut que la méthadone soit accessible gratuitement et que la société civile participe pleinement aux futurs programmes de prévention. Plus globalement, il faut que les populations clés soient clairement la priorité dans la définition de la politique nationale de lutte contre le sida. La mise en place  d’un programme ciblant spécifiquement les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes est une priorité absolue. J’aimerais aussi qu’on se structure davantage à l’association LGBTI Sey, à travers des financements. Je veux que mes amis consommateurs de drogues soient considérés comme des individus à part entière et qu’ils puissent sortir de leur addiction lorsqu’ils le souhaitent. Je veux voir mes amis LGBT vivre leur orientation sexuelle et leur identité de genre heureux. Je veux voir le changement et y participer. Alors, on pourra dire que les Seychelles sont le paradis.

Propos recueillis par Stanislas Mommessin, à Durban

Cruel archipel
Alors que cet archipel de 115 îles a su mettre en place des mesures politiques ambitieuses et innovantes en matière de préservation de l’environnement par exemple, l’état seychellois se distingue encore par sa politique répressive à l’égard de la consommation de drogues. A titre d’exemple, le nombre de détenus a augmenté de 300 % depuis quatre ans pour atteindre le nombre de 900 (soit 1 % de la population) du seul fait de l’incarcération des personnes injectrices d’héroïne comme unique réponse des autorités. En 2016, le président seychellois réélu a annoncé la dépénalisation de la consommation de drogues, ce qui semble amorcer un premier pas vers la refonte d’une politique de lutte contre le sida plus appropriée. Sur le terrain des droits humains, la section 151 du code pénal du pays hérité de l’empire colonial britannique pénalisait la sodomie, jusqu’au 17 mai dernier, de 14 ans de prison. Jusqu’à cette année, les Seychelles faisaient parti des 39 Etats africains pénalisant l’homosexualité. Son abrogation récente est à mettre au compte des activistes défenseurs des droits des minorités sexuelles et de la lutte contre le sida qui ont su structurer dans un pays insulaire où le manque d’anonymat rend difficile de vivre ouvertement son homosexualité.