LGBT au Rwanda : un obstacle à la santé ?

Publié par Béatrice Cyuzuzo le 13.08.2017
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MondeLGBT

"Etre gay et faire son coming out au Rwanda, c’est se mettre la corde au cou ! Souvent, je me demande si je dois me cacher, ne pas vivre ma sexualité et me mettre avec une belle fille classique pour vivre en paix !", raconte Claude, un homme de 30 ans qui a découvert ses orientations sexuelles il y a six ans. Il vit depuis sous la tension de la société et surtout de celle de sa famille qui l’a repoussé.

"C’est très difficile quand physiquement on peut faire le lien avec tes orientations sexuelles. Tu ne peux même pas aller à l’hôpital quand tu tombes malade. Vous imaginez dans la salle d’attente comment tout le monde te regarde, ricane sur toi, ils pensent que nous sommes anormaux, et quand tu entres dans le bureau du médecin, c’est horrible, il ou elle appelle les autres médecins pour venir te voir. Le médecin ne prend même pas le temps de te soigner et il commence à te faire des leçons de morale comme quoi tu vas aller en enfer, que tu mets la honte sur ta famille. C’est humiliant. J’ai décidé de ne plus y aller. Quand je suis malade, je vais à lapharmacie et c’est bon", nous explique Claude.

La situation de Claude est celle de nombreux Rwandais homosexuels. Bien qu’il n'y ait aucune loi dans la constitution rwandaise qui pénalise l’homosexualité, il n'y a aucune protection judiciaire contre l’homophobie. En 2009, on allait même dans l'autre sens puisqu'un projet de révision du Code pénal proposait de pénaliser l'homosexualité, mais le gouvernement a finalement rejeté la proposition en 2010. Le Rwanda est d'ailleurs signataire de la Déclaration des Nations Unies relative à l'orientation sexuelle et l'identité de genre et ne devrait donc adopter aucun texte pénalisant l'homosexualité.

Les pouvoirs publics préfèrent ignorer l’existence de cette communauté parce que l’homosexualité reste un sujet tabou dans la société rwandaise. Cette situation a pour conséquences que les homosexuel-le-s vivent à l’ écart et sont marginalisés sur le plan socio-économique. Claude nous confie qu'il est surpris par le comportement des Rwandais, à cause de leur histoire. Pour lui, ils devraient être plus tolérants.

"La discrimination, je m’y attendais un peu de la part des gens moyens, mais pas chez les intellectuels comme les journalistes ou les médecins. Ce qui m'étonne le plus, c'est quand un médecin, un professionnel m'attaque en me faisant des remarques déplacées comme quoi si je ne change pas mes orientations sexuelles, je vais aller en enfer ! Et souvent, ils refusent de nous soigner et c'est encore pire quand tu as le VIH ou une infection sexuellement transmissible. Le plus humiliant, c’est que les autorités font comme si nous n'existions pas, elles ferment les yeux devant les harcèlements que nous subissons. C'est vraiment dommage que la société, notre société, qui a connu la discrimination ethnique qui a abouti à des drames horribles, puisse continuer à renier ses semblables. La discrimination fondée sur l’orientation sexuelle est la même que la discrimination ethnique. C'est dommage", nous confie Marie, jeune femme lesbienne de 28 ans et militante pour les droits des LGBT.

Cette discrimination accélère la transmission de différentes maladies, selon Enock Ndahinyuka, avocat militant et défenseur des droits des LGBT. Il affirme que la répression de la société et l’inactivité du gouvernement poussent les homosexuels à vivre cachés, ce qui les empêche d'avoir accès aux soins adéquats comme d'autres Rwandais.

"Aucune étude spécifique sur les LGBT n’a été faite, alors que c’est une communauté qui est à haut risque de contamination pour le VIH. En 2014, le RBC (Rwanda biomédical center / Centre biomédical rwandais) a réalisé une étude, pas très approfondie, qui a montré, qu’il y a une hausse du taux des nouvelles infections de 3,3 % chez les homosexuels. Cela a fait réagir les autorités, elles ont mis en place un programme spécial avec l’aide des organisations locales et internationales comme Project San Francisco, pour proposer un suivi continu des LGBT. A travers leurs associations, les personnes LGBT sont sensibilisées à se faire dépister du VIH et pour les autres maladies sexuellement transmissibles. Elles vont réaliser un premier bilan le premier mois, puis tous les trois et six mois pour une nouvelle analyse médicale avec dépistages. Ceux et celles qui ont contracté des IST sont traités gratuitement. Les capotes et lubrifiants sont également gratuits et disponibles pour tout le monde, ce qui est très important pour eux car auparavant les personnes utilisaient les méthodes traditionnelles comme les pommades, l’emploi de mayonnaise ou d’avocat comme lubrifiants pour avoir une relation sexuelle".

L’étude réalisée par le Centre biomedical rwandais en 2014 a montré que trois quarts des homosexuels sont également des travailleurs de sexe, ce que confirme Enock Ndahinyuka. Il explique que la plupart des homosexuels rwandais se lancent dans la prostitution, parce que c’est le seul moyen pour eux de survivre, mais aussi à cause du manque de soutien moral et financier de leurs familles. "Dès qu’ils sont connus [comme homosexuels, ndlr], il leur est difficile de trouver du travail. Leurs familles les expulsent ou les maltraitent jusqu’à ce qu’ils quittent d’eux-mêmes la maison. Au Rwanda, la vie est surtout fondée sur le soutien de la famille, il est donc très difficile de survivre sans elle aussi bien moralement que financièrement. Vous verrez aussi que la plupart deviennent des usagers de drogues et des alcooliques, à cause de la discrimination".

Claudine, jeune femme trans de 35 ans, présidente de l’association RIFA (Right for all) et co-fondatrice de la communauté des LGBT au Rwanda, explique que l’ignorance, la violence sexuelle et l’inaccessibilité des moyens de prévention sont à la base de la transmission du VIH dans leur communauté. "La discrimination, la violence sexuelle et l’ignorance sur différents moyens de protection, font que nous attrapons les IST, les hépatites virales et le VIH. Le fait que nous vivions en recul de la société nous empêche d’avoir assez d’informations sur ces maladies et sur la façon de se comporter lors des relations sexuelles. Les moyens de protection des LGBT comme les préservatifs internes et externes, les lubrifiants, ne sont pas accessibles et sont très chers", explique-t-elle.

"Un autre facteur est que les lesbiennes et femmes trans pensent qu’elles ne peuvent pas se contaminer. Du coup, elles ont des relations sexuelles non protégées et la plupart ne connaissent pas leur statut sérologique. Souvent, elles subissent des violences sexuelles. Et chez les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, comme la plupart de leurs partenaires sont des expatriés et des touristes, ils les "échangent". En général, on ne peut pas oublier que la pauvreté est une barrière pour la lutte du VIH chez les LGBT, certains séropositifs refusent de prendre les médicaments de peur que ça les affaiblisse encore plus parce qu’ils ne mangent pas bien".

Que fait l’Etat dans tout ça ?

Le gouvernement, qui avait très longtemps ignoré cette minorité, a pris conscience que ce n’était pas un bon moyen de lutter contre le VIH. Après l’étude faite en 2014 qui portait sur 495 personnes LGBT, les résultats ont montré que la prévalence était de 3,3 % chez cette population. Ces résultats ont poussé l’Etat à réagir sur la situation, comme l’explique Claudine. "Depuis ce moment, l’Etat, avec l’aide des partenaires, a essayé de nous approcher, on nous sensibilise beaucoup sur le dépistage volontaire et ils forment quelques médecins qui s’occupent de nous. Ils ont mis en place le traitement gratuit des IST, assurent des démonstrations de l’usage des moyens de protection, mais l’inconvénient est qu’on peut trouver ces services uniquement en ville. Les personnes qui vivent en milieu rural n’ont pas encore accès à ce service de la santé".

Malgré nos différents efforts et tentatives pour contacter les organisations et instituts étatiques qui ont pour mission de défendre les droits de la communauté LGBT, ces derniers ont refusé de donner suite à nos demandes d’interviews. Toutefois, les propos d’avert.org, organisation de prévention et éducation à lutte contre le VIH, publiés sur Internet, sont éclairants quant à la situation des LGBT en Afrique subsaharienne. Ces propos concernent une de leurs études publiée en juin 2017. "Dans la riposte au VIH, ne pas laisser une personne à l’écart correspond à la fois au respect impératif des droits de l’homme, mais également à une nécessité de santé publique. Les personnes LGBT font face aux multiples vulnérabilités liées au VIH, alimentées par les inégalités et les préjugés et ancrées dans les structures juridiques, sociales et économiques de la société. La lutte contre l’homophobie prend une approche double : lutter contre les lois qui criminalisent l’activité homosexuelle et qui portent atteinte aux identités de genre non traditionnelles pour changer la façon dont les personnes LGBT sont traitées par la société dans son ensemble".

Le fait qu’il y ait désormais des organisations communautaires et des associations qui se battent pour les droits des personnes LGBT dans les pays où l’environnement est plutôt hostile, ce qui est le cas du Rwanda, est une preuve tangible qu’il y a une progression dans la lutte contre l’homophobie. Elle est d’autant plus nécessaire qu’elle contribue, outre la défense de toutes et tous, à lutter efficacement contre le VIH.

Tant que de nombreux gouvernements dans l’ensemble votent en faveur des lois qui pénalisent l’homosexualité, l’homophobie restera toujours. Annuler ces lois est essentiel pour encourager les sociétés à accepter la diversité des sexualités et ouvrir l’accès aux services essentiels de lutte contre le VIH.

Par mesure de sécurité, tous les prénoms ont été modifiés.