Existrans : les (faux) débats ne valent pas une vraie loi

Publié par Mathieu Brancourt le 22.10.2012
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droits sociauxtransexistrans 2012
La transphobie tue, encore. La seizième édition de l'Existrans a rassemblé, samedi 20 octobre à Paris, féministes, militants politiques et associatifs pour dire stop aux discriminations et demander maintenant une loi de pleine reconnaissance d'existence par choix.
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Ceci est un coup de gueule. Et il est grand temps de le dire : les personnes transgenres sont les bannies de notre République. Seize ans après la première Existrans, (presque) rien n'a changé. Cette marche revendicative et militante doit encore rappeler, en 2012, les droits les plus fondamentaux déniés à la communauté trans. Encore cette année, près de mille personnes ont défilé (samedi 20 octobre) de Bastille jusqu'au parterre de l'Hôtel de Ville, hurlant le silence de mort dans lequel elles sont enfermées. Au 21eme siècle, ces dernières doivent encore marcher pour "naître" enfin de ce qu'elles sont.
 
Un genre de transphobie dont on tait le nombre
Certains, journalistes ou politiques, voudraient attribuer à celles et ceux qui réclament des droits et des qualificatifs respectueux de leurs vies, l'étendard du fameux "politiquement correct", celui censé scléroser les débats et limiter la liberté d'expression. A les entendre, demander à appeler une personne par le pronom approprié ou le prénom choisi, c'est du moralisme. Un diktat qui empêcherait de dire ce que l'on pense vraiment, une porte ouverte au mensonge ! Pas du tout, le moralisme est ailleurs. Il est chez ceux qui s'érigent en défenseur des fondements de la démocratie, méprisant sans scrupule les droits des personnes. Là où dans d'autres pays, comme l'Argentine et l'Espagne, il y a eu une évolution législative sur le mariage pour tous et la reconnaissance de la nouvelle identité. Il est chez ceux qui voudraient les "aider", ces victimes d'anomalies, de troubles identitaires sévères, déviant de la "nature" et du "sexe". Cette psychiatrisation du parcours de vie, de la transition et du changement d'Etat civil vers l'identité désirée sous-tend une incapacité supposée des trans à prendre cette décision de façon autonome, libre. Une condescendance coupable de refuser aux trans le droit de disposer pleinement de leur corps, de leur nom, de leur vie. Alors oui, ce sont les transphobes qu’on pourrait qualifier de "malades".

La réalité du quotidien
Pour beaucoup de trans, le quotidien devient vite une clandestinité imposée. Comment exister aux yeux de la société quand celle-ci vous refuse un nouveau prénom concordant avec votre nouvelle "apparence" ? Comment se sentir accepté quand on contraint les personnes à se faire opérer, à divorcer si elles sont mariées, à être stérilisées pour devenir acceptable civilement ? Comme le demandaient certains manifestants, faut-il baisser son pantalon pour avoir des papiers ? En d'autres termes, avoir un vagin en tant que femme et un pénis en tant que garçon. Pire encore, doit-on n'être "qu'un seul" pour être un Homme ? Toutes ces questions se posent face à l'ignorance des pouvoirs publics et leur frilosité à se prononcer. Aujourd'hui, avoir un travail ou en retrouver un reste un combat. Philippe Chauliaguet, président de l'association Homoboulot et présent à cette marche, se joint aux revendications de l'Existrans. D'après la dernière enquête menée par l'association, près d'une personne trans sur deux ne travaille pas : "Le milieu de travail "visibilise" les personnes. Alors que la grande majorité des LGB (lesbiennes, gays, bis) s'auto-censure par crainte, les personnes trans n'ont pas ce choix là. Si elles entament une transition, elles n'ont pas la possibilité de la cacher à leur employeur. Très souvent, devant l'ignorance et l'absence de formation des services de ressources humaines à ces questions, les trans se retrouvent seules face aux questions, aux railleries voire au rejet, sans pouvoir se défendre", explique-t-il.

Quant aux travailleurs et travailleuses du sexe, elles subissent de plein fouet la politique abolitionniste, inefficace contre les réseaux de traite et délétère pour la santé des personnes. Selon Giovanna Rincon d'ACCEPTESS-T, "en tant que trans migrante, encore plus que des papiers d'état civil conformes à notre apparence, c'est vivre dans des conditions décentes, face aux discriminations au logement, au rejet, aux injures, mais aussi face au VIH que nous réclamons". Trans ou non, les Putes sont l'une des populations les plus vulnérables à l'épidémie. Et cela ne va pas s'arranger. Le projet de pénalisation du client va, de l'avis de nombreuses associations de santé, encore davantage précariser et éloigner les personnes des structures d'accueil et de soins.

"Des papiers, si je veux, quand je veux"
C'était le mot d'ordre de la marche. C'est le préalable à un véritable changement de regard sur les trans en France. Pour elles, c'est la possibilité d'affronter le quotidien dignement et sans avoir à se justifier. Pour nous, c'est aller au bout d'une certaine idée de la liberté et des droits des personnes. Dans une société où rien n'est gagné. Le 16 octobre dernier, la cour d'appel de Rennes a certes reconnu le changement d'état civil, mais a refusé l'inscription au certificat de mariage. Aussi, le gouvernement a catégorisé l'identité trans dans l'identité sexuelle et non de genre. "Il s'agit bien de la faire entrer dans l'identité de genre, pour que la transphobie ne soit ni licite, ni légale", a justement expliqué Ali Aguado de l'association OUTrans. "Si nous ne nous occupons pas de la transphobie, c'est la transphobie qui s'occupera de nous", expliquent des activistes aujourd’hui. Elle fera la peau des trans, niées et ostracisées. C'est peut être un détail pour vous, mais pour elles, cela veut dire beaucoup. Une société transfigurée, transformée et transcendée dans sa diversité assumée et reconnue par tous, pour tous. Car réclamer la pleine reconnaissance de l'identité, indivisible et complète, ce n'est pas pour faire genre.