Faire un test de dépistage du VIH pour finir en prison : quel intérêt ?

Publié par Rédacteur-seronet le 27.07.2012
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ConférencespénalisationAIDS 2012

Depuis bien longtemps, les acteurs de la lutte contre le VIH/sida dénoncent les effets pervers de la criminalisation sur les programmes visant à enrayer l'épidémie. Du dépistage au traitement, les constatations des acteurs du terrain donnent toutes les raisons de croire que les mesures de prévention et de soutien aux personnes infectées ou affectées sont impactées négativement par les poursuites pénales pour exposition ou transmission effective du VIH.

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A la Conférence internationale sur le sida de Washington, la journée de mardi [24 juillet, ndlr] a vu la présentation de deux enquêtes portant sur les effets de la criminalisation de l'exposition et de la transmission alléguée ou effective du VIH sur les perceptions et les comportements des personnes séropositives : la première menée par le SERO Project auprès de 2 076 personnes séropositives vivant aux Etats-Unis, la seconde entreprise par des chercheurs de la McMasters University et s'appuyant sur une revue systématique de la littérature, ainsi que sur des témoignages d'acteurs associatifs en Ontario (Canada).

Bien que les statistiques manquent encore, les conclusions de l'étude de McMasters rapportent de nombreux cas dans lesquels la criminalisation a créé un obstacle majeur au dépistage par peur d'une poursuite pénale. Elles soulignent également que les personnes interrogées ne sont pas au clair sur les comportements qui pourraient être qualifiés de punissables. Les acteurs associatifs notent de surcroît que les personnes séronégatives s'en remettent de plus en plus fréquemment aux personnes séropositives pour ce qui est des mesures de protection contre le VIH lors de rapports sexuels et pensent qu'en l'absence d'une annonce explicite de la part de leurs partenaires au sujet de leur séropositivité, ils peuvent avoir des relations non protégées avec eux. Les résultats de la revue ontarienne attestent par ailleurs que le bénéfice que la société retire de la criminalisation est loin d'être avéré.

Les données préliminaires de l'enquête du "National Criminalisation Survey" de SERO Project révèlent, quant à elles, qu'un répondant sur quatre connaît une ou plusieurs personnes ne voulant pas se faire dépister par peur de poursuites pénales. En outre, 5 % des personnes interrogées ont répondu qu'un "grand nombre de personnes" leur ont fait part de cette crainte. Près de 50 % des répondants trouvent même "normal" et 41 % "raisonnable" que quelqu'un renonce à se faire dépister et donc à connaître sa séropositivité, afin d'éviter toute poursuite pénale par la suite. Enfin, 47 % des répondants affirment ne pas connaître les comportements qui pourraient les amener à être accusés d'un crime en lien avec le VIH, alors que seuls 22 % d'entre eux estiment être bien informés sur la question.

Plus du tiers des personnes séropositives interrogées dans le cadre de la "National Criminalisation Survey" disent avoir été "parfois" ou "fréquemment" accusées à tort de ne pas avoir dévoilé leur statut sérologique. Un chiffre qui passe à 60 % pour les personnes intersexes et transgenres. De plus, 73 % des personnes questionnées déclarent ne pas avoir été informées, lors du test de dépistage ayant abouti au diagnostic de leur séropositivité, de la responsabilité pénale qu'elles endossaient désormais en tant que personnes porteuses du VIH. Enfin, si 59 % des répondants considèrent que dévoiler son statut sérologique avant une relation sexuelle ou avant de partager le matériel d'injection relève d'une obligation éthique ou morale, moins de un sur dix a conscience qu'une non-divulgation en pareilles situations pourrait justifier des poursuites pénales à leur encontre.

D'une manière générale, ces deux enquêtes attestent de manière objective et chiffrée de l'impact négatif de la criminalisation sur la démarche de dépistage volontaire, de même que sur l'intention des personnes séropositives interrogées de dévoiler leur statut sérologique. Par ailleurs, elles confirment que la criminalisation décourage non seulement les efforts de prévention, mais dissuade également les personnes infectées ou affectées par le virus d'accéder aux soins et traitements dont elles ont besoin, afin éviter d'être identifiées comme porteuses du virus et attaquées en justice le cas échéant.

Nous savions depuis longtemps que la criminalisation faisait obstacle aux efforts de lutte contre le VIH/sida. Désormais, nous pouvons prouver qu'elle produit des effets contraires à ceux que les partisans de la répression pénale louent et escomptent, et qu'elle est même un moteur de l'épidémie.

Sascha Moore est spécialiste des questions juridiques au Groupe sida Genève. Ce texte a été repris du Blog Fil Rouge du Groupe sida Genève auquel nous adressons nos remerciements.