Femmes et Doc’ : on se dit tout ? Vraiment ?

Publié par jfl-seronet le 30.03.2016
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Initiativefemmerelation patient/médecin

A l’occasion de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, le 8 mars, AIDES a proposé un programme permettant de mettre en avant les vécus et revendications des femmes vivant avec le VIH et/ou les hépatites virales. Le 5 mars, à Paris, deux ateliers étaient proposés par les militants de AIDES. Seronet y était.

Dans le programme, copieux, monté par AIDES, deux ateliers ont été proposés pour la mâtinée du samedi 5 mars : "Femmes et Doc’ : on se dit tout ?!" et "La prévention : J’en sais quoi ? J’en fais quoi ?". Deux sujets de fond pour lesquels ont été invitées deux médecins spécialistes du VIH : le docteur Anne Simon - responsable de CeGIDD (1), hôpital de la Pitié-Salpêtrière et présidente de la SFLS (2) - et le professeur Cécile Goujard - chef de service, unité médecine interne-immunologie clinique, hôpital Kremlin-Bicêtre. Les participantes aux ateliers sont arrivées, accompagnées en voiture par des militants du local de AIDES, derrière la gare de Lyon, au centre d’animation Maurice Ravel, à quelques centaines de mètres de la porte de Vincennes, à la limite du 12e arrondissement. C’est là dans un dédale d’escaliers et de salles flambant neuves que se déroule une des journées de la manifestation événement "Femmes en action(s)". Les arrivées échelonnées — deux voitures ont fait la navette — ont permis un accueil sans stress. Des bises échangées (beaucoup de personnes se connaissent), quelques infos données sur le programme de la journée, de courtes discussions, d’ultimes consignes de calages des ateliers entre animateurs et les deux médecins invitées… la journée peut démarrer.

Une quinzaine de femmes, les médecins invitées, les militants de AIDES… tout le monde a pris place dans une des nombreuses salles du centre d’animation. Ce premier temps doit permettre de présenter la journée et de proposer aux participantes de rejoindre l’atelier de leur choix. Les deux thèmes proposés ne sont pas tombés de l’arbre, ils ont été choisis en amont lorsque les femmes qui viennent aux actions de AIDES ont été consultées sur le contenu du programme de "Femmes en action(s)".

"Qui souhaite aller dans l’atelier sur la prévention ?" lance Rémy, militant de AIDES, qui a la charge de l’animation de la mâtinée. Pas un mouvement, pas un doigt ne se lève. Ce n’était pas prévu ! Aucune femme ne veut parler de prévention… du moins dans cet atelier. Dommage car une présentation qui fait un point complet sur tous les outils de prévention (fémidon, préservatifs, TPE, Tasp et PrEP…) a été préparée, une animation organisée et calée avec le professeur Cécile Goujard. Pas grave. Sur des sujets comme cela et dans des ateliers de ce type, il ne faut pas se forcer. Du coup, improvisation minute et tout le monde part comme une seule femme pour un atelier sur les relations entre les femmes vivant avec le VIH et/ou une hépatite virale et leurs médecins. On ne perd pas au change.

D’emblée, les questions fusent. Une première porte sur la vaccination contre la fièvre jaune, enchaînée par une seconde sur le BCG. La participante qui l’a posée est dans une situation contradictoire. Comme elle travaille en restauration scolaire, le médecin du travail lui a demandé de se faire vacciner, dans le registre obligation professionnelle ; de l’autre, comme elle vit avec le VIH, cette vaccination (qui se fait avec un virus vivant) est contre-indiquée pour elle. Elle n’a pas envie de parler de sa séropositivité avec le médecin du travail, manque de confiance. Situation délicate à laquelle les deux médecins, Anne Simon et Cécile Goujard, apportent des réponses claires. On apprend au fil des échanges que le médecin traitant peut faire un certificat comme quoi il y a une contre-indication à cette vaccination sans que le motif en soit mentionné, que le BCG est de moins en moins obligatoire et que lorsqu’on a été vacciné, il n’y a pas lieu de le refaire. C’est d’ailleurs la situation de cette participante.

Une autre prend la parole et évoque sa situation, ses problèmes de santé, le médecin qui change tout le temps… Elle vit dans un appartement de coordination thérapeutique qu’un de ses médecins a aidé à trouver. Tout va bien pour elle.
- "Bon, si tout va bien, vous n’avez pas besoin de nous. On s’en va ?" lance Anne Simon, en plaisantant, à sa collègue Cécile Goujard.
- "Non, non, pas du tout !" s’exclament quelques participantes.
- "Arrivez-vous à tout aborder avec vote médecin ?" demande Anne Simon.
Petit silence, puis enchaînement de prises de parole. On y fait état d’expériences de toutes sortes : des bonnes, des améliorables, des frustrantes, des partenariats aux longs cours qui n’échappent pas à la routine voire la monotonie.
"Cela fait vingt que je le connais, explique une participante à propos de son médecin. Il se contente d’un commentaire de mes résultats biologiques. J’aimerais qu’il m’explique les nouveaux traitements. Nos échanges se limitent parfois à une question dans le couloir. Ça fait tellement longtemps qu’il me suit. Au début, je ne voulais rien savoir. Aujourd’hui, je voudrais plus communiquer avec lui.
- "En avez-vous parlé avec lui ?" demande Anne Simon.
- "Non, pas vraiment" explique la participante.
- "Il faut que vous lui expliquiez que vous avez changé. Qu’au début, vous ne vouliez rien savoir, mais que ce n’est plus le cas. Qu’aujourd’hui, vous voulez avoir du temps pour poser des questions. Moi, je vous conseillerais de réfléchir à la phrase que vous allez dire à votre médecin lors de la prochaine consultation pour lui faire comprendre que vos besoins dans cette consultation ont changé".

"Je n’avais jamais dit à mon médecin traitant que j’étais séropositive… Je l’ai dit une fois à un médecin et je n’ai pas apprécié la manière dont il m’a regardée. J’ai eu une impression bizarre et désagréable", explique une autre participante. Des échanges s’ensuivent. Le sujet est sensible. D’un côté, il y a le sentiment que la simple mention de la séropositivité peut entraîner des réactions pénibles qui peuvent aller de la gêne au rejet ; de l’autre, le sentiment qu’il y a parfois une surinterprétation ou une mauvaise interprétation d’une réaction. Pour Anne Simon, il faut prendre en compte plusieurs paramètres. Il y a des médecins qui connaissent moins bien le VIH que d’autres ; des médecins qui, de ce fait, sont moins en confiance, moins à l’aise… et cela peut se ressentir dans leur attitude. "La première impression peut ne pas suffire", explique Cécile Goujard. "Les médecins réagissent comme des êtres humains. Les réactions se jaugent", indique Anne Simon. "Je comprends parfaitement qu’on réagisse à une réaction de surprise de la part d’un médecin. On peut lui demander si cela lui pose un problème". Personne ne conteste qu’il existe du rejet de la part de certains professionnels de santé, et qu’une personne vivant avec le VIH ou une hépatite virale n’est pas à l’abri d’une discrimination. Mais une réaction de surprise, voire de gêne n’est pas forcément une manifestation d’hostilité.

- "Mais il est médecin, il faut qu’il s’attende à tout !" lâche une participante.
Cela fait rire dans le groupe.

- "Parlez-vous de tout avec votre médecin infectiologue ?" relance Rémy.
Il y a des oui, des non… et quelques abstentions
- "Il y a des sujets que je n’aborde pas. Je ne veux pas que le médecin perde du temps…"
- "Mais on ne perd pas du temps" explique Cécile Goujard. "Cela fait partie de notre travail, de ce que doit permettre une consultation…"

Dans les discussions qui suivent, on comprend que la situation diffère beaucoup d’un médecin à un autre. Certaines consultations se limitent au minimum syndical, d’autres ouvrent des portes, permettant d’évoquer la sexualité, d’approfondir les questions de vie avec les traitements. Cela dépend des deux parties. Du côté des personnes suivies, certaines préparent leurs rendez-vous médicaux, notant les points importants à aborder avec le médecin, préparant un pense-bête… Du côté des médecins, cela semble dépendre des compétences professionnelles autant que des aptitudes personnelles. "Dans mon service, les personnes qui sont suivies peuvent aborder les questions de sexualité. Les médecins ont l’habitude que les patients abordent ce sujet. Il est important de ne pas se censurer. C’est ce que nous expliquons. Il est important de se préparer. Certains de nos patients viennent effectivement avec des fiches qu’ils ont préparées. On aborde de nombreux sujets dont des questions complexes comme la grossesse. On y revient en plusieurs échanges car cette question ne peut être réglée en une seule consultation", explique Cécile Goujard.

Reste que cette stratégie qui semble idéale se heurte à deux difficultés : le temps de consultation et leur fréquence. On a bien senti une légère impatience de la part des deux médecins lorsqu’a été évoqué le manque de temps. Sans doute parce que le reproche est sempiternel et qu’il est vécu par les médecins comme une injustice… Les médecins ont de larges horaires de consultation qui ne sont pas indéfiniment extensibles et qui doivent être répartis entre de très nombreux patients. Du coup, beaucoup d’heures de consultations, énormément de gens à voir… et le sentiment de certains patients et patientes que le médecin n’a pas de temps pour eux. Pour Anne Simon, cela oblige à préparer la consultation et à prioriser les questions que l’on souhaite aborder. Cela contraint aussi à se limiter au strict champ de compétence du médecin spécialiste du VIH. Le temps est précieux, comprend-on. Oui, mais pas seulement pour le médecin, car le temps est rare pour la personne suivie. Une consultation tous les six mois lorsque la personne va bien est-ce suffisant pour aborder tous les sujets qui tiennent à cœur aux patients ? Une consultation tous les six mois est-ce suffisant pour traiter d’une question complexe impossible à régler en une seule consultation ?
- "Avant, je voyais le médecin tous les quatre mois… maintenant, c’est tous les six mois, cela fait bizarre… c’est un délai trop long pour moi" explique une participante.

Les questions fusent et les médecins répondent avec facilité et précision, relançant le débat, parfois animé. Et puis arrive la question, un peu classique, de ce qui se passe dans le colloque singulier entre le médecin et le patient, si les deux sont à égalité dans la décision…
- "Non, pas à égalité, faut pas rêver !" lance Anne Simon.
Réaction de surprise. Petit flottement. Agacement. Aurélie, militante de AIDES, rappelle que pour l’association l’enjeu est justement que la personne qui vit avec le VIH soit partie prenante des décisions qui la concernent et sa santé avec, qu’elle est un partenaire de la stratégie thérapeutique proposée par le médecin. Le docteur Anne Simon en convient. Bien sûr, il y a une forme de décalage entre le médecin spécialiste et le patient : le premier a plus de savoir que le second sur le plan technique. Mais le second vit avec la maladie, les traitements et les conséquences, bonnes ou mauvaises, du choix thérapeutique qui a été arrêté. Dans le fond, la question posée est d’abord celle de l’égalité dans le choix d’un traitement. C’est une question d’équilibre affirment les deux médecins. Il y a les résultats des examens, les antécédents médicaux qui peuvent limiter les choix, voire interdire certaines solutions.
- "Il ne faut pas hésiter à demander à son médecin : Dans ma situation, qu’est-ce qui serait possible de faire ?" conseille Cécile Goujard. "Les choix thérapeutiques se discutent et le médecin peut expliquer en fonction de tel ou tel paramètre si c’est possible ou pas".
- "Mais pour que cela se passe au mieux, il faut jouer franc jeu, ne pas cacher des infos voire mentir" indique Anne Simon. "Je vous cite un exemple. Une personne que je suis me dit qu’elle prend correctement son traitement, je la crois. Quand je vois ses résultats, ils font état d’une charge virale de 25 000 copies… qui indique le contraire de ce que me dit la personne : le traitement n’est pas pris".

On l’a compris, tout est affaire de confiance et de transparence de part et d’autre. Confiance dans le médecin et confiance en soi aussi, transparence de la part du médecin qui ne décide pas seul, transparence du patient envers le médecin. C’est un jeu complexe au long cours. Selon l’expérience des deux médecins, beaucoup de personnes manquent encore de confiance en elles-mêmes. Les médecins peuvent travailler pour que le cadre de la consultation favorise cette confiance en soi. Une majorité le fait, mais cela ne suffit pas. Les personnes doivent aussi pouvoir trouver un appui ailleurs, entre elles, auprès d’une association.

Cela fait maintenant plus de deux heures que les échanges se déroulent. Chacune, chacun a pu voir l’équilibre complexe des relations entre les femmes vivant avec le VIH et/ou les hépatites et les médecins, traitants ou spécialistes, gynécos ou infectiologues. Chacune, chacun a pu mesurer les besoins et les limites respectives ; ce qu’il faut pour être bien prise en charge, ce dont on a besoin le médecin pour être le plus efficace. Tout est question de transparence et de confiance, de partage et de partenariat.
- "Le médecin n’est pas quelqu’un sur un piédestal… c’est quelqu’un d’humain" avance Anne Simon.

Rémy conclut la discussion, rappelle le reste du programme de la journée. Le groupe s’applaudit longuement, chaleureusement.

Il y a ce qui est prévu et ce qui se passe vraiment. Parfois, cela fait une nette différence, mais ce n’est pas forcément un problème.

(1) - CeGIDD : Centre gratuit d’informations, de dépistage et de diagnostic (VIH, hépatites virales et IST).
(2) - SFLS : Société française de lutte contre le sida, la société savante des médecins spécialistes du VIH/sida.