Femmes et VIH : les premiers résultats de l’enquête EVE

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EVE est une enquête menée par AIDES et l’Inserm. Cette recherche communautaire porte sur les EVEnements indésirables vécus par les femmes vivant avec le VIH. Seronet a récemment publié un article qui, en quelques questions… et réponses, rappelle la nature de cette enquête et ses enjeux. Voici les premiers résultats (janvier 2015) de EVE. Par Marguerite Guiguet (Inserm), Daniela Rojas-Castro et Guillemette Quatremère (MIRE, AIDES).

Un petit point de méthode

Pour construire cette enquête par questionnaire, une grille utilisée dans les essais thérapeutiques pour identifier les événements indésirables des traitements a été reprise et élargie (grille ACTG groups). 23 événements indésirables étaient explorés. Pour chaque symptôme, la fréquence, l’intensité, les types d’impacts dans les différentes dimensions de la vie (activités/professionnel, vie sociale et familiale, vie affective/intime), le fait d’en avoir parlé ou pas dans le cadre du suivi médical et le sentiment d’avoir été écouté, étaient questionnés. Des questions portant sur les solutions trouvées par les femmes (et/ou leur médecin) de manière plus globale ont été posées. L’enquête était accessible sur Internet de septembre 2013 à septembre 2014. Des exemplaires papier étaient disponibles pour les femmes souhaitant participer, mais n’ayant pas accès à Internet.

Qui a répondu à l’enquête ?

315 femmes vivant avec le VIH ont répondu à l’enquête.
La moitié d’entre elles a plus de 48 ans.

  • 71 % des répondantes sont nées en France ;
  • 39 % ont un diplôme d’études supérieures ;
  • Presque la moitié ont des difficultés financières, c’est-à-dire avoir déclaré "ne pas y arriver financièrement sans faire de dettes" et "y arriver difficilement" ;
  • 38 % des répondantes déclarent un emploi, 23 % déclarent être en invalidité, 18 % déclarent être au chômage, 21 % sont dans une autre situation.
  • 17 % sont co-infectées VIH/VHC ;

Au niveau de la santé des répondantes, la durée de vie avec le VIH est d’au moins 18 ans pour la moitié d’entre elles. Presque toutes (95,5 %) ont déjà pris un traitement antirétroviral. La durée médiane de traitement est de 14 ans, 87 % déclarent avoir une charge virale indétectable.

Fréquence des événements indésirables

Parmi les femmes répondant à EVE, le nombre d’événements indésirables ressentis (EI) au cours des 12 derniers mois est élevé : la moitié des répondantes a ressenti plus de 13 EI (nombre médian). Le nombre d’EI "gênants" (c’est-à-dire des événements qui ont un impact dans au moins un des domaines de la vie étudiés) est aussi élevé, la moitié des répondantes déclarant plus de 9 EI "gênants" (nombre médian). On constate, que le nombre de symptômes ressentis augmente avec l’âge et la durée du traitement. Ainsi, le nombre médian est de 11,5 événements indésirables chez les femmes de moins de 50 ans et prenant un traitement depuis moins de 15 ans. Il est de 13 EI chez les femmes de moins de 50 ans et prenant un traitement depuis plus de 15 ans. Il monte à 14 EI chez les femmes de plus de 50 ans.

Des résultats préliminaires montrent que le nombre d’événements indésirables augmente avec la précarité financière (nombre médian : 14 comparé à 12 EI pour les femmes ne déclarant pas de difficultés financières, et diminue avec le niveau d’études (nombre médian : 12 EI pour les femmes ayant un diplôme d’études supérieures comparé à 14 pour les autre).

Types d’événements indésirables

Les événements indésirables les plus ressentis au cours des 12 derniers mois sont : la fatigue (90 %), latristesse/déprime (81 %) et les douleurs musculaires (76 %). Malgré les nouveaux traitements, encore 55 % des femmes déclarent avoir ressenti des diarrhées et 50 % des vertiges au cours des 12 derniers mois. De plus, 55 % des femmes déclarent avoir eu des problèmes sexuels lors des 12 derniers mois en raison de l’infection par le VIH et/ou son traitement.

Ressenti et dialogue avec les médecins

Une partie des femmes qui ressent un événement indésirable arrive à en parler dans le cadre de son suivi médical. Concernant la fatigue, 283 (90 %) parmi les 315 femmes ayant répondu à l’enquête disent en avoir ressenti au cours des 12 derniers mois. Parmi celles qui ont ressenti de la fatigue, 82 % en ont parlé. La moitié (54 %) de celles qui en ont parlé se sont senti écoutées. Au sujet des problèmes sexuels, 55 % des répondantes en ressentent, mais seules 30 % en ont parlé dans le cadre de leur suivi médical et 57 % de celles qui en ont parlé se sont senti écoutées. Le fait d’arriver à en parler peut s’expliquer par la "dicibilité" du type d’événements, par la confiance avec le médecin et/ou par l’expérience forte acquise dans l’histoire avec le VIH pour oser aborder ces sujets quand l’impact est trop fort sur la vie. Le fait d’en avoir parlé, ne veut pas dire que les femmes ont eu le sentiment d’avoir été écoutées (qu’une solution ait été trouvée ou pas). La proportion de femmes ayant eu le sentiment d’être écoutées est faible : pour la fatigue, les changements d’apparence, les vertiges ou encore les problèmes sexuels, un peu plus de la moitié des femmes qui en a parlé (respectivement 54 %, 49 % et 57 %) a eu la sensation d’avoir été écoutée. Mais même pour les douleurs musculaires évoquées par 75 % des femmes en ayant récemment ressenti, une femme sur trois en ayant parlé ne s’est pas sentie écoutée par son médecin.

Les solutions mises en place

Des événements indésirables pris en compte
Face à ces événements indésirables, 76 % des femmes ont déclaré que leur médecin (traitant ou spécialiste) avait pris encompte au moins un événement indésirable. Cela se concrétise majoritairement par une orientation vers un autre soignant ou une prescription d’autres médicaments. En revanche, il y a eu que très peu de changement de traitement antirétroviral ou de dosage pharmacologique en réponse à ces EI. L’orientation vers un autre soignant a concerné 45 % des répondantes, la prescription d’autres médicaments : 45 % ; le changement de traitement anti-VIH : 24 % ; une vérification du dosage pharmacologique : 8 %.

Quelles solutions face aux événements indésirables ?
55 % des femmes indiquent avoir trouvé des solutions pour soulager au moins partiellement les EI. Parmi ces solutions, les activités physiques (27 % des répondantes), la nutrition (26 %) et les thérapies manuelles (24 %) sont les plus courantes. La question de l’accessibilité de ces solutions se pose ici puisque certaines d’entre elles peuvent être coûteuses et que ces soins dits souvent "de confort" ne sont pas inscrits dans les protocoles de soins (et donc rarement remboursés).

Des modifications de traitement
Une des autres solutions identifiées pour faire face à ces EI est la modification du traitement antirétroviral. 25 % des répondantes ont déclaré avoir déjà :

  • diminué les doses ;
  • espacé les prises ;
  • et/ou arrêté totalement leur traitement VIH.

Et parmi celles qui déclarent avoir modifié le traitement, 60 % l’ont fait récemment (12 derniers mois). Parmi les femmes ayant modifié la prise de traitement (N=75), 27 % l’ont fait en concertation avec leur médecin, mais plus de la moitié (56 %) l’ont fait sans en parler avec le médecin au préalable et 27 % n’en ont jamais parlé. Bien qu’il ne soit pas possible, à ce stade de l’analyse, de montrer une relation de cause à effet entre la modification du traitement et l’état de santé en termes immuno-virologiques, on constate que les femmes ayant allégé leur traitement ont plus souvent des taux de CD4 faibles et une charge virale détectable.

Conclusion provisoire et perspectives

Les premiers résultats de l’enquête EVE indiquent que, chez les femmes vivant avec le VIH qui ont répondu au questionnaire, les événements indésirables sont encore nombreux aujourd’hui et impactent leur qualité de vie. De nombreuses femmes n’abordent pas les problèmes d’EI qu’elles rencontrent, et encore moins les EI en lien avec la sexualité. Surtout, beaucoup d’entre elles ne se sentent pas écoutées. Si la plupart des médecins prennent en compte la survenue d’événements indésirables, l’orientation vers d’autres spécialistes peut décourager. L’importance de l’écoute des médecins doit être soulignée.

En parallèle, un travail de renforcement des capacités (empowerment) apparait nécessaire pour que les femmes puissent parler avec leurs médecins de leur santé, des événements indésirables quels qu’ils soient, et qu’un dialogue puisse s’établir, expliquent les chercheurs. Pour améliorer la communication, un travail collaboratif avec les médecins pourrait être mis en place pour élaborer un langage commun. Les femmes mettent en place des solutions pour faire face, au moins partiellement, aux EI vécus. Des solutions qui sont encore trop souvent dites "de confort" alors qu’elles devraient être encouragées, mais aussi des modifications dans la prise du traitement qui peuvent être problématiques pour la santé quand cela n’est pas fait en concertation avec le médecin. L’échantillon de l’enquête n’est pas représentatif de l’ensemble des femmes séropositives en France, ce qui ne permet pas de généraliser ces résultats. Néanmoins, cela montre que certaines femmes sont encor efortement affectées par leurs traitements et/ou le VIH. Il est donc encore nécessaire d’insister sur ce point auprès des médecins et auprès des investigateurs et financeurs de recherches pour que les femmes soient plus souvent inclues dans les essais thérapeutiques.

La base de données est très riche. D’autres analyses plus approfondies vont pouvoir être réalisées dans les prochains mois. Pour cela, et selon les principes de la recherche communautaire, un groupe de travail avec des femmes concernées va être mis en place. Des comparaisons avec d’autres enquêtes, comme l’enquête nationale ANRS-VESPA 2 (1), seront intéressantes pour mieux situer nos résultats.

(1) ANRS-VESPA 2 : la deuxième édition de l'enquête ANRS-VESPA (VIH : Enquête sur les personnes atteintes) a pour objectif de décrire de façon précise la vie des personnes séropositives en France métropolitaine, aux Antilles et en Guyane depuis l'avènement des traitements contre l'infection VIH.

Commentaires

Portrait de barberousse

Je viens témoigner en tant que femme d'origine migrante.

Bien qu'ayant répondu à l'enquête Vespa2, je ne vois aucune trace de solidarité avec les femmes migrantes..ou en attente de travail ?

"Pour cela, et selon les principes de la recherche communautaire, un groupe de travail avec des femmes concernées va être mis en place".

 

Je m'explique :

On nous signale que 70% des répondantes à l'enquête sont des femmes seropositives nées en France. (orientation voulue par les promoteurs?)

 

"Des comparaisons avec d’autres enquêtes, comme l’enquête nationale ANRS-VESPA 2 (1), seront intéressantes pour mieux situer nos résultats".

 

Question : les enfants de femmes migrantes ayant atteint leur majorité entre Vespa 1 en 2003 et Vespa 2 en 2008 sont ils considérés dans les statistiques comme des "nationaux" ou des "migrants"?

 

 

Dans cette hypothèse, pourquoi ne pas croiser les données avec l'enquête "Parcours" et "Afro-baromètre"?

Vous y constaterez des refus de soins, des stigmatisations de par la couleur de peau ou port du voile pour les musulmanes un total échappement thérapeutique et du contrôle de la pandémie faute d'avoir su respecter les origines et les croyances religieuses des unes et des autres.

 

Un petit pas vers la Démocratie Sanitaire? et plus de transparence...

*** Un propos a été modéré ***

Portrait de IMIM

Je cite :

un total échappement thérapeutique et du contrôle de la pandémie faute d'avoir su respecter les origines et les croyances religieuses des unes et des autres.

JE peux rajouter, la situation sociale, le patronyme et le quartier

Un petit pas vers la Démocratie Sanitaire? et plus de transparence..

Mais.  c'est  NOUS patients, qui sommes censés être éduqués !!!???!!!.....

Un peu d'humilité dans ce milieu médical serait déjà une avancée remarquable.....

Quand les "élites" dérapent.......

Portrait de frabro

Je ne vois dans ce qui est décris dans l'article aucune spécificité féminine : l'ensembles des réponses sont les mêmes qu'auraient pu faire les hommes dans les mêmes tranches d'age et les mêmes situation du point de vue médico-social.

Et l'article dit lui-même que l'échantillon n'est pas représentatif de l'ensemble des femmes vivant avec le VIH en France, quelle que soit leur origine.

Seule une compraiason hommes femmes aurait un intérêt pour démontrer une spécificité pour l'un ou l'autre sexe. Ou pas...

Bref : quel intérêt, sinon celui de faire une fois de plus du communautarisme ?