Femmes : où en est la réponse en addictologie ?

Publié par jfl-seronet le 09.04.2019
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La question de l’amélioration du soin et de l’accompagnement des femmes usagères de drogues connaît une attention croissante de la part des pouvoirs publics comme des praticiens, mais les données concernant les réponses apportées sont encore parcellaires. Afin de renforcer les connaissances sur ces sujets, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) (1) a lancé au début de l’année 2018, l’enquête Ad-femina s’adressant aux centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa), aux centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud), aux équipes de liaison et de soins en addictologie (Elsa) et aux différents services hospitaliers. L’ensemble de ces professionnels-les étaient invités-ées à décrire les actions développées en direction des publics féminins l’année précédente.

Au total, 338 structures en addictologie, soit 26 % du total, ont répondu et un quart (80) ont été en mesure de décrire des activités menées en 2017, indique l’enquête Ad-femina. Les principaux résultats ont été publiés le 8 mars, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, dans un numéro de la revue Tendances. « Même si les premiers dispositifs d’addictologie s’adressant aux femmes sont apparus dans les années 1970, leur présence est jusqu’ici restée marginale dans l’offre de soins », rappelle, en préambule, un communiqué de presse de l’OFDT consacré à cette enquête (2). Aujourd’hui, les enjeux d’amélioration du soin et d’accompagnement des femmes usagères de drogues font l’objet d’une attention grandissante des pouvoirs publics comme des professionnels-les de santé ; reste que les données concernant ce qui est mis en œuvre aujourd’hui sont partielles et méconnues. C’est ce manque que l’enquête Ad-femina de l’OFDT entend pallier. Elle a consisté à questionnaire auto-administré en ligne, adressé aux structures qui, en France, accueillent les personnes consommatrices de drogues. « Au total donc, 338 structures en addictologie (soit 26 % du total) ont répondu et un quart (80) ont été en mesure de décrire des activités menées en 2017 », rapporte le communiqué de l’OFDT.

Majoritairement les retours émanent des Csapa et des Caarud, ils permettent de mieux connaître les publics accueillis et les priorités des équipes. Les réponses à l’enquête concernent 2 650 femmes (2). Comme le détaille le travail dirigé par Carine Mutatayi, chargée d'études au pôle Évaluation des politiques publiques à l’OFDT, les femmes usagères suivies de l’enquête ne diffèrent guère de la population féminine reçue en addictologie. Elles sont « majoritairement poly-consommatrices et dépendantes ». « Elles sont orientées principalement en raison de leurs usages d’alcool, d’opioïdes, de tabac de cocaïne ou crack. Ces femmes présentent également de nombreuses comorbidités et vulnérabilités au plan familial, susceptibles de freiner leur demande de soins », note Carine Mutatayi.

Pour la plupart des structures, les accueils « féminins » sont récents : les deux tiers de ceux décrits dans l’enquête Ad-femina fonctionnent depuis moins de six ans et la moitié se sont ouverts au cours des deux dernières années. On observe par ailleurs que la très grande majorité des structures (neuf sur dix) développent un accompagnement spécifique aux femmes parallèlement à un accueil général mixte, note le communiqué de l’OFDT. L’enquête Ad-femina distingue, schématiquement, deux modèles. Il y a les dispositifs d’abord orientés vers l’accompagnement de la maternité et l’aide à la parentalité : ils sont ainsi les mieux placés pour accueillir les enfants des femmes usagères et proposent fréquemment des consultations gynécologiques ou des suivis périnataux. Il y a aussi les « entités se fixant surtout comme priorité le traitement des vulnérabilités observées aux plans physique mais aussi psychologique et social chez les femmes présentant des addictions ».

En dehors de la prise en charge en addictologie (traitements et réduction des risques et des dommages), plus de quatre dispositifs existants sur dix orientent leur action vers l’aide à l’insertion ou l’accompagnement socio-administratif ainsi que l’aide socio-éducative, indiquent les résultats. L’amélioration ou la revalorisation de l’image de soi des femmes usagères, le développement de leurs compétences personnelles et sociales ou leur socialisation sont les objectifs plus couramment poursuivis par les structures et services qui ont répondu à l’enquête. « L’estime de soi et les compétences individuelles sont d’ailleurs les principaux sujets abordés avec les [femmes] bénéficiaires, dans les accueils qui ont répondu à l’enquête. Ils sont cités dans deux tiers des cas, avant les questions liées à la vie de famille et à la parentalité (dans un peu plus de la moitié des circonstances) ».

Comme l’explique Carine Mutatayi, un des grands enjeux est de « favoriser l’accès » des femmes à ces services. « L’un des enjeux de l’accueil féminin est d’aller au contact des usagères de drogues pour leur faciliter l’accès aux dispositifs et encourager leur demande de soin », explique-t-elle dans Tendances. Il s’agit tout d’abord de faire connaître ce type de services en en faisant la promotion. Un tiers des services le font aussi bien auprès des professionnels-les que du public concerné. Le plus souvent, les personnes « bénéficiaires découvrent l’existence des accompagnements féminins par le biais des équipes ou d’autres professionnels-les de la structure (pour 71  % des dispositifs), ainsi que par cooptation ou bouche-à-oreille entre usagères (46  %) », indique Tendances. Afin d’inciter les femmes à se tourner  vers ces accueils spécifiques, les structures interrogées décrivent leurs efforts pour aménager des temps et des lieux d’accueil consacrés à l’accueil féminin. La moitié d’entre elles s’attachent ainsi  « à proposer des créneaux et des espaces spécifiques ». 
Si de telles initiatives sont prises, elles restent encore largement minoritaires. « La structuration de réponses spécifiques aux femmes en addictologie reste rare, conclut Carine Mutatayi. Ce caractère exceptionnel peut être imputé à la relative nouveauté des préoccupations quant à leur difficulté d’accès aux soins ou à des freins factuels, voire idéologiques (non-adhésion à une réponse différenciée entre les hommes et les femmes). Au final, seul un tiers (24) des 80 répondants estiment que le déploiement de l’accueil féminin se déroule dans de bonnes conditions. Un quart des entités déplorent un manque de soutien institutionnel ainsi que des représentations défavorables à leur égard. Une dizaine d’entre elles pointent une insuffisance des ressources humaines et du budget. Enfin, près de la moitié des équipes soutiennent l’idée d’un réseau professionnel d’échange spécifique sur l’accompagnement féminin. L’un des premiers sujets cliniques portés au débat concernerait les moyens d’accroche ou d’orientation à développer face aux comportements d’évitement des femmes ».

Carine Mutatayi, « Résultats de l’enquête Ad-femina. Accueil spécifique des femmes en addictologie », Tendances n° 130, OFDT 2018, 6p.

(1) : L’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) est un organisme public créé en 1993. Il a la forme juridique d’un groupement d’intérêt public constitué entre les ministères concernés par la lutte contre les drogues et les toxicomanies (santé, Justice, Intérieur, etc. et la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives - Midelca) et d’autres acteurs comme la Fédération nationale des observatoires régionaux de santé (Fnors). L’OFDT a pour mission d’éclairer les pouvoirs publics, les professionnels-les du champ et le grand public sur le phénomène des drogues licites et illicites et des addictions. Disposant d'une indépendance scientifique, l’OFDT, recueille, analyse, effectue la synthèse et la valorisation des connaissances dans le domaine des drogues et des addictions.

(2) : Au total, la population féminine représente un quart (23 %) du public des Csapa et un cinquième de celui des Caarud (18 %), soit environ 72 000 personnes.