Fonds mondial : jamais si haut et bien trop loin !

Publié par jfl-seronet le 22.09.2022
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La 7e conférence de reconstitution des ressources du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, qui s’est déroulée le 21 septembre à New York, a débouché sur une promesse de dons de 14,25 milliards de dollars. C’est le montant le plus élevé jamais promis à l’institution, mais le compte n’y est pas. L’objectif était d’atteindre 18 milliards de dollars. C’est un échec. Explications et réactions.

Moitié plein ou surtout vide ?

Clivante. L’annonce du Fonds mondial (21 septembre) d’un total de promesses de dons de 14,25 milliards de dollars (pour la période 2023 – 2025) a suscité des réactions très contradictoires. D’un côté, les contents-es et les reconnaissants-es ; de l’autre : les critiques, oscillant entre accablement et colère. Satisfaction à l’Onusida. Même son de cloche au Fonds mondial lui-même. Dans un communiqué, le Fonds met d’abord en avant le fait que les « partenaires du Fonds mondial font des promesses de dons record pour mettre fin au sida, à la tuberculose et au paludisme et prévenir les pandémies futures ». Il souligne aussi les effets attendus de l’investissement consenti. « Les sommes recueillies devraient permettre de sauver 20 millions de vies, d’éviter 450 millions de nouvelles infections et de raviver l’espoir d’éliminer le sida, la tuberculose et le paludisme. Elles contribueront également au renforcement des systèmes de santé et des systèmes communautaires, qui ne doivent laisser personne de côté et résister aux crises futures ». Peut-être, mais quels auraient les progrès si le montant accordé avait été supérieur et atteint le niveau demandé par les experts-es et les ONG ? Le communiqué du Fonds mondial n’en fait pas mention, préférant complimenter le président américain, Joe Biden, dont le pays a accueilli la conférence. « Alors que le monde est confronté à des crises économiques et politiques et à des catastrophes naturelles dues au changement climatique, le président Joe Biden a orchestré une mobilisation de ressources sans précédent pour la santé mondiale », a ainsi développé Peter Sands, directeur exécutif du Fonds mondial. « Nous sommes extrêmement reconnaissants envers toutes les parties qui se sont si généreusement engagées à soutenir notre partenariat. En cette période où de nombreuses crises mondiales s’entrecroisent, nos donateurs ont réalisé qu’il était plus important que jamais de mettre fin à ces maladies mortelles et de protéger tout le monde, partout, des futures menaces sanitaires ». Plus louangeur… ce serait trop ! 
D’autant que les ONG pensent que les États n’ont justement pas réalisé cela.

Dons annoncés à la hausse

Bien sûr, nul ne conteste que les montants promis aient augmenté. Ainsi, les États-Unis se sont engagés à contribuer à hauteur de six milliards de dollars pour les trois prochaines années. Il s’agit d’une augmentation de 30 % par rapport à la reconstitution des ressources précédente. Plusieurs autres donateurs publics de longue date ont haussé leur promesse de don de 30 % : le Canada a promis 1,21 milliard de dollars, la Commission européenne a promis 715 millions d’euros, l’Allemagne a promis 1,3 milliard d’euros et le Japon a promis jusqu’à 1,08 milliard de dollars US. La France a également haussé considérablement sa promesse de don, qui a atteint presque 1,6 milliard d’euros. Le Royaume-Uni, actuellement troisième donateur en importance du Fonds, et l’Italie ont réitéré leur soutien sans indiquer de montants. Ces pays avaient promis respectivement 1,7 milliard et 178 millions de dollars lors de la sixième reconstitution des ressources du Fonds mondial, à Lyon, en octobre 2019. Plusieurs partenaires et donateurs privés ont augmenté leur promesse de don de plus de 30 % par rapport à la sixième reconstitution des ressources. La Corée du sud a quadruplé sa promesse de don (de 25 millions à 100 millions de dollars), tout comme le Kenya, qui a augmenté sa promesse de don des deux tiers (de 6 millions à 10 millions de dollars). Il est aussi intéressant de voir que le Fonds « a élargi sa base de donateurs (…) avec l’arrivée ou le retour de huit pays donateurs : Chypre, le Ghana, la Guinée, l’Indonésie, le Malawi, le Maroc, le Paraguay et la Tanzanie. Côté privé aussi, c’est en hausse. Les donateurs-rices du secteur privé ont promis des dons d’un montant record de 1,23 milliard de dollars. La Fondation Bill et Melinda Gates a augmenté sa promesse de don de 20 % et (RED) a promis 150 millions de dollars. D’autres organisations ont fait des efforts (Children’s Investment Fund Foundation, Fondation Rockefeller, la firme pharmaceutique Johnson & Johnson ou encore Anglo American).

La société civile en mode critiques

Si du côté du Fonds mondial, on semble avoir des paillettes plein les yeux. Du côté des ONG, on a surtout le regard noir. « Colère et déception. Voici les sentiments que nous sommes nombreux-ses à éprouver suite à la promesse de don de 14,25 milliards dollars (…) Un manque de volonté politique affligeant compte-tenu de la situation inquiétante des épidémies dans le monde. Puisque la plupart des États du Nord semblent l’oublier, AIDES tient à le répéter : le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme continuent de faire des ravages à travers le monde. Aujourd'hui encore, 10 millions de personnes séropositives sont privées de traitement et 650 000 personnes sont mortes de maladies liées au sida pour la seule année 2021. L’enjeu était capital pour cette reconstitution : rassembler 18 milliards de dollars pour sauver 20 millions de vies en trois ans. Cette somme n’aurait pas suffi à éradiquer les trois épidémies d’ici 2030, mais aurait toutefois permis au Fonds mondial de maintenir ses actions après les conséquences dramatiques de la crise Covid », explique AIDES dans un communiqué. Sa présidente, Camille Spire, a d’ailleurs tweeté ceci à l’annonce : « 14,25 milliards pour le @GlobalFund, un montant certes supérieur à 2019, mais largement en dessous des 18 milliards MINIMUM nécessaires pour éviter tout recul dans la lutte contre les 3 pandémies...Bye Bye 2030 sans Sida… ». Cinglant, le propos de Camille Spire est partagé. « L’objectif de mettre fin aux trois pandémies d’ici 2030 semble illusoire », a alerté, dans un communiqué, Florence Thune, directrice générale de Sidaction. L’association estime que la reconstitution du Fonds mondial est un « échec » qui met la lutte contre les pandémies en danger.

Macron, une promesse non tenue

La France appelle souvent les autres à l’exemplarité et sur certains sujets se dédouane à bon compte. Ce n’était un mystère pour personne que l’objectif de cette reconstitution était que chaque pays donateur ou partenaire privé augmente sa contribution de 30 % ; la plupart l’ont fait. Pas la France ! « Si Emmanuel Macron a répondu présent à l’appel en augmentant la contribution française au Fonds mondial de près de 24 %, celle-ci reste en deçà des 30 % a minima nécessaires pour répondre à l’augmentation des besoins estimés par le Fonds Mondial afin de rattraper le retard pris dans la lutte contre les pandémies ces deux dernières années », souligne Sidaction. « La France a augmenté sa contribution de 23 %, en deçà des 30 % du Canada, de l’Union européenne. Derrière ces chiffres, ce sont des vies, des dispositifs de santé qui seront affectés », tacle Chloé Le Gouëz, responsable plaidoyer à AIDES, sur Twitter. « La contribution française à hauteur de 1,6 milliards d’euros est une nouvelle désastreuse. Elle ne permettra pas d’atteindre l’objectif onusien de 2030 sans sida et empêchera le Fonds mondial de poursuivre l’intégralité de ses actions. La seule solution juste aurait été de s’aligner sur la demande de 2 milliards d’euros portée par AIDES », pilonne l’association dans son communiqué. « Emmanuel Macron avait pourtant manifesté un engagement fort dans la lutte contre le VIH/sida lors de la 6ème conférence de reconstitution du Fonds mondial, à Lyon, en octobre 2019. Le Président de la République avait alors formulé une promesse de don de 1,3 milliards d’euros et déclaré : « L'objectif d'éradication en 2030, [...] il est atteignable si aujourd'hui nous sommes au rendez-vous de nos responsabilités ». Trois ans après, nous déplorons qu’Emmanuel Macron refuse d’investir à la hauteur des enjeux et renvoie un signal si négatif. Dans un contexte où d’autres donateurs menaçaient déjà de faire des contributions trop basses, la France pouvait se positionner comme une force vive dans la lutte contre les inégalités en matière de santé. Elle pouvait conforter ses propres valeurs et priorités dans l’action du Fonds mondial. Ce n’est pas le choix qui a été fait », déplore l’association.

Du côté des pouvoirs publics, on voit les choses différemment. « La France fière d'être au rendez-vous de la lutte contre les maladies les plus injustes : @EmmanuelMacron annonce une hausse de 300 M de notre contribution @GlobalFund portée à 1 594 M€ sur 3 ans, et 255 M€ pour @UNITAID. Nous ne lâcherons rien! #fight4whatcounts », explique, sur Twitter, l’ambassadrice française pour la santé mondiale, Stéphanie Seydoux. Quant au président Macron, il est dans le registre content de lui et messianique : « Il y a vingt ans, Kofi Annan et Jacques Chirac ont créé un trésor : un Fonds mondial pour faire face aux ravages du sida, de la tuberculose et du paludisme. Depuis vingt ans, nous sommes mobilisés. Plus de 50 millions de vies ont été sauvées. Nous mènerons ce combat sans relâche. Nous devons tenir notre promesse pour 2030 : le sida, le paludisme et la tuberculose devront avoir disparu ».

2030, on oublie !

Car, il faut être clair, il ne sera pas possible de tenir cet objectif avec les derniers engagements pris. « La cible de 18 milliards est fondée sur le besoin de nous remettre sur les rails pour mettre fin aux épidémies de sida, de tuberculose et de paludisme d’ici 2030, en regagnant le terrain perdu pendant la pandémie de Covid », expliquait, il y a peu, à l’AFP Françoise Vanni, porte-parole du Fonds mondial. Du coup, on comprend mal que le patron du Fonds mondial soit satisfait que l’objectif n’ait pas été atteint. « Nous sommes consternés-es à l’idée que la solidarité n’ait pas été un argument suffisant pour mobiliser les États donateurs. Nous sommes également saisis-es par l’inconsidération des enjeux liés à la santé mondiale. L’exemple de la Covid nous l’a démontré : si tout le monde n’est pas à l’abri, personne n’est à l’abri », tonne AIDES.

« 14,2 milliards $ pour le @GlobalFund c’est 4 milliards de moins que ce qui était demandé ! C’est autant de morts supplémentaires - toujours 2000/jour - alors qu’on peut les éviter. Ça rend quasi impossible l’objectif d’un monde sans #sida en 2030 », explique de son côté Jean-Luc Romero-Michel, sur Twitter.

D’autant que l’objectif de 18 milliards était déjà un palier bas. Interrogé par le Quotidien du Médecin (20 septembre), Éric Fleutelot, directeur du pôle grandes pandémies à Expertise France, expliquait : « Ces 18 milliards sont un objectif, mais le montant nécessaire est effectivement bien plus important ». Et l’expert de rappeler que le Fonds mondial ne représente pas la totalité des sommes investies. « Le fonds mondial représente 30 % des investissements contre le VIH, 75 % de ceux de la lutte contre la tuberculose et 63 % de ceux de la lutte contre le paludisme », détaille-t-il dans les colonnes du journal médical. Pour sa part, Médecins sans frontières (MSF) estime que les 18 milliards attendus seront loin d'être suffisants : « 130 milliards de dollars sont nécessaires pour lutter efficacement contre le VIH, la tuberculose et le paludisme pour la période 2024-2026, prévient l'ONG. Les 18 milliards du Fonds mondial représentent 14 % de ce budget, et d'autres financements externes devraient en couvrir 19 % supplémentaires ». Même l’Onusida rappelait, il y a quelques temps, que si les 18 milliards de dollars étaient collectés, il manquerait néanmoins à l'appel 8 milliards pour financer la réponse au VIH dans les pays à revenus faibles et intermédiaires. Et 29 milliards supplémentaires (via des programmes tels que le Pepfar américain ou certains de l'Agence française de développement) seraient nécessaires d'ici à 2025 pour retrouver le chemin de l'éradication de la pandémie mondiale de VIH d'ici à 2030, souligne le Quotidien du Médecin. On voit bien que nous n’y sommes pas.

Injustice

Cet échec qui se cache derrière le masque d’un prétendu succès est injustice. Car depuis de longs mois, la société civile, un peu partout dans le monde, dans la coulisse comme sur la place publique, n’a pas ménagé ses efforts pour expliquer les enjeux de cette 7e reconstitution, rappeler les conséquences à rater le coche et tenter de mobiliser sur l’objectif de 18 milliards. En France, ces dernières semaines ont vu paraître des tribunes, interviews et appels constituant autant de cris d’alerte : la tribune, « Emmanuel Macron peut être le président de la République qui contribuera à un monde sans sida », de Jean-Luc Romero-Michel, adjoint à la Mairie de Paris chargé des droits humains, de l’intégration et de la lutte contre les discriminations, parue dans Le Monde (21 septembre) ; l’interview de Najat Vallaud-Belkacem, directrice France de l'ONG One, appelant à créer une taxe sur les superprofits pour financer la santé mondiale. Et l’on pourrait en citer d’autres. Reste que ces appels n’ont que partiellement été entendus ; un peu comme si certains constats ou arguments n’étaient pas partagés. C’est d’ailleurs toujours ce qui se passe, comme lorsqu’il s’agit du climat. On sait ce qui ne va pas, ce qu’il faudrait faire pour en finir avec ces pandémies. On sait qu’investir maintenant, c’est sauver des vies et éviter des dépenses demain. Et pourtant rien ne change ou si peu !
Alors, certes, jamais si haut, mais, hélas, bien trop loin !