Fonds mondial : la France doit payer !

Publié par Rédacteur-seronet le 08.04.2022
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Conférences

Deuxième journée fournie pour cette 11e conférence Afravih qui a parlé des nouveautés thérapeutiques, mais surtout fait le point sur les enjeux de financement du Fonds mondial de lutte contre le sida. La 7e reconstitution des fonds était d’ailleurs au cœur de la grande action publique, proposée à Marseille, par AIDES et Coalition PLUS. Seronet y était.

Crédits photos : Romain Perrollaz

Un moment solennel

« Sida, on meurt ! L'indifférence demeure ! Sida, on meurt ! La France doit être à l'heure », c'est le cri d'indignation des militants-tes de AIDES et Coalition PLUS qui se sont rassemblés-es, jeudi 7 avril 2022 vers 18 heures à Marseille sous l’ombrière-miroir géante, ce monument au design-futuriste de science-fiction planté en plein milieu du Vieux-Port. Ils-elles portent des pancartes avec un message : « Fonds mondial. Pour en finir avec le sida, la France doit payer ». Le même message est affiché sur une banderole géante déroulée par les militants-es. S’en suit un die-in et une minute de silence devant les passants-es interloqués-es. 
Le moment est solennel et l’enjeu de taille à trois jours du premier tour des élections présidentielles. En effet, à l’occasion de l’Afravih, AIDES a décidé de porter une demande d'augmentation de la contribution française de 50 %, c’est-à-dire deux milliards d’euros, au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Le septième cycle de reconstitution des ressources du Fonds aura lieu en septembre à New York. « Pendant la minute de silence que nous venons d’observer, trois personnes se sont infectées au VIH et une personne est morte. On peut arrêter cette hécatombe, il suffit de mettre les moyens », explique Camille Spire, présidente de AIDES.

18 milliards de dollars sont nécessaires

Lors de la conférence, un symposium était co-organisé par le Fonds mondial et les Amis du Fonds mondial Europe afin de souligner les enjeux de la prochaine conférence de reconstitution du Fonds et d'identifier les financements et moyens d’action. Guido Schmidt-Traub, membre du conseil d’administration des Amis du Fonds, est le premier à prendre la parole pour évoquer les excellents résultats du Fonds dans les pays où il investit. Surtout, il insiste sur le pouvoir de mobilisation et d’action de la société civile pour cette nouvelle reconstitution. À ce titre, il appelle à renforcer la participation de la société civile et le renforcement des systèmes de santé publics et communautaires dans la gouvernance du Fonds.

Après son intervention, Françoise Vanni prend le pupitre. Elle est directrice des relations extérieures et de la communication du Fonds mondial. De façon claire et concise, elle présente les résultats et conclusions du récent argumentaire d’investissement du Fonds. 18 milliards de dollars seront nécessaires pour atteindre la cible financière fixée. En 20 ans, le Fonds mondial a contribué à sauver 44 millions de vies. Toutefois la pandémie de Covid-19 a heurté les progrès de la lutte : 2020 a connu une baisse de 22 % des dépistages et de 11 % de la prévention. Il est nécessaire de regagner le terrain perdu et pour ceci, Françoise Vanni invite à une reconstitution ambitieuse visant 18 milliards au minimum.

70 % des enfants sans traitement dans 10 pays

Modéré par le professeur Michel Kazatchkine, le symposium a vu s’exprimer différents acteurs-rices de la lutte. Fodé Simaga, directeur de département à l’Onusida, tire la sonnette d’alarme sur les inégalités croissantes et sur la « préoccupation majeure du VIH pédiatrique » : 70 % des enfants sans traitement vivent dans seulement dix pays. Un point semble unir et convaincre tous-tes les intervenants-tes : la nécessité pour atteindre les objectifs de 2030 de la fin du sida, d’investir dans les systèmes de santé communautaire. Un discours, autrefois cantonné aux associations et militants-tes, aujourd’hui partagé avec force par les représentants-tes de l’Organisation mondiale de la Santé, de la France, des programmes nationaux de lutte contre le sida, et du Fonds mondial qui accorde au soutien de l’approche communautaire une place centrale dans sa nouvelle stratégie.

L’ambassadrice française pour la santé mondiale française, Stéphanie Seydoux, résume les priorités partagées entre la France et le Fonds : une appropriation réelle par les pays, jusqu’au niveau local ; une inclusivité réelle via les mécanismes de coordination nationaux ; et la promotion des droits humains et la lutte contre les discriminations et les criminalisations. Elle modère néanmoins : « Nous continuerons à être un soutien fort, mais exigeant et à s’assurer que le "comment" suive en demandant ce qu’il faut pour concrétiser cette belle nouvelle stratégie ». Rokhaya Nguer, présidente de l’ANCS (Sénégal) et membre de Coalition PLUS, résume avec force les enjeux : le Fonds mondial a véritablement permis aux organisations des sociétés civiles de se renforcer « de façon institutionnelle et organisationnelle », mais des difficultés subsistent dans la mise en œuvre. Elle demande des procédures simplifiées pour répondre aux besoins des communautés. Michel Kazatchkine conclut, optimiste : « Le Fonds mondial dit ce qu’il fait et fait ce qu’il dit ».

Traitements VIH aujourd’hui et demain

En session plénière jeudi 7 avril, la professeure Alexandra Calmy, responsable de l'Unité VIH aux Hôpitaux universitaires de Genève (Suisse), a fait une présentation sur les traitements VIH d’aujourd’hui et de demain. L’infectiologue a présenté les derniers traitements autorisés :

  • Tivicay (dolutégravir), un inhibiteur de l'intégrase du VIH validé depuis peu de temps pour les enfants ;
  • Trogarzo (ibalizumab), un anticorps monoclonal qui est indiqué en association avec d’autres médicaments antirétroviraux, dans le traitement de l’infection par le VIH-1 multi-résistant chez les adultes pour lesquels-les il n’est autrement pas possible d’établir un schéma de traitement antirétroviral suppressif ;
  • Rukobia (fostemsavir), un traitement anti-VIH en comprimés à libération prolongée ;
  • Dapivirine en anneau vaginal ;
  • Vocabria + Rekambys (cabotegravir + rilpivirine) : bithérapie injectable à longue durée d’action (deux injections tous les deux mois). De très bons résultats dans les essais cliniques, mais attention aux risques de mutation de résistances chez certaines personnes, « un prix à payer », déclare l’infectiologue.

 

Alexandra Calmy est revenue sur les « déboires » de deux molécules sur lesquelles étaient fondées beaucoup d’espoir : islatravir et lenapavavir. Elle a mentionné l’essai clinique en cours concernant un nouvel inhibiteur de maturation du VIH, qui est une nouvelle classe d’ARV. Portant le nom provisoire de GSK 254, il est administré une fois par jour et joue sur la dernière étape du cycle viral, empêchant la maturation du virus. Enfin, elle a également rappelé que plusieurs essais cliniques en cours concernaient les anticorps neutralisants à large spectre, notamment en combinaison avec d’autres ARV. Des traitements à longue durée d’action, mais attention là aussi aux accumulations de résistances. En conclusion, l’infectiologue a rappelé que si depuis le début des années 90, les traitements VIH ont connu une évolution rapide avec l’apparition de nouveaux médicaments chaque année, ce rythme s’est ralenti, ces dernières années, notamment en raison d’une grande variété de classes de molécules aujourd’hui disponibles. Alors, faut-il continuer à développer de nouveaux médicaments ? Pour Alexandra Calmy, mieux vaut se consacrer sur la galénique et le rythme de délivrance. « La pilule magique nous n’en disposons pas. Mais on voit que les essais doivent s’adapter pour mieux correspondre aux personnes qui prendront ces médicaments. Aujourd’hui dans les essais il y a 51 % d’hommes caucasiens, alors qu’ils ne représentent que 6 % des utilisateurs in fine », déplore l’infectiologue.

Hépatite B : comment en finir ?

Autre présentation en plénière, Gilles Wandeler, professeur et chef de clinique au département des maladies infectieuses de l’Hôpital universitaire de Berne en Suisse est revenu sur les enjeux du dépistage et de la vaccination de l’hépatite B. Il a rappelé que 250 millions de personnes vivaient avec une hépatite B, aujourd’hui, dans le monde. Les hépatites B chroniques non traitées sont responsables de cancers du foie. La clé pour mettre fin à l’épidémie d’hépatite B est de vacciner et dépister un maximum de personnes. Le professeur cite en exemple la « success story » à Taïwan pour la vaccination du VHB. En 1984, le gouvernement décide de vacciner tous les enfants à la naissance puis en en 1987 tous les enfants scolarisés et enfin, en 1990 tous les adultes. Cette décision de santé publique a eu un impact massif sur la mortalité due aux cancers du foie liés au VHB, à Taïwan. La vaccination à la naissance doit être primordiale dans les pays d’Afrique sub-saharienne où la prévalence du VHB est très élevée (entre 6 à 10 % selon les pays). Et pourtant la couverture vaccinale à la naissance dans les pays du Sud reste très insuffisante (seulement 1,3 %). Les raisons ? Défaut des structures d’approvisionnement, difficultés d’accès au soin, mauvaise acceptabilité de la population et un manque de volonté politique. Autre enjeu, réduire la transmission du VHB de la mère à l’enfant. Pour cela, il faut donner aux mères accès à un traitement (tenofovir) qui permet de réduire la charge virale et donc le risque de transmission). Concernant le dépistage, là aussi, la situation est désolante en Afrique subsaharienne. Dans un pays avec une prévalence à plus de 2 %, il faudrait dépister tout le monde, mais seules 30 à 40 %  des cliniques proposent le dépistage du VHB. L’étude Reveal à Taïwan a démontré que plus la charge virale de VHB est élevée plus le risque de cancer est élevé. Avec un traitement par ténofovir, la charge virale diminue et le risque de cancer du foie diminue également. Qui faut-il traiter au ténofovir ? L’algorithme de prise de décision de l’Organisation mondiale de la santé est compliqué et inutilisable car il prend en compte la mesure de la fibrose et de la charge virale, auxquelles les soignants-es ont très peu accès en Afrique.

Populations clés

Les personnes immigrées vivant en France seraient plus impactées par la Covid-19 que la population générale. C’est ce qu’Anne Gosselin (INED) a avancé lors d’une session sur les populations clés. En se fondant sur diverses données, elle a observé que les immigrés-es avaient une séroprévalence à la Covid-19 (nombre de personnes ayant été exposées au virus) presque deux fois plus élevée que la population générale (4 % contre 9,4 % chez les immigrés-es non-européens-nes). Alors qu’en temps normal, la mortalité des immigrés-es d’Afrique subsaharienne est plus faible que celle des Français-es, la Covid-19 inverse la donne. Ces résultats pourraient s’expliquer par une exposition plus forte des personnes immigrées, qui, pour beaucoup, ont continué de travailler et de prendre les transports en commun au plus fort de la crise. Cependant, le manque de données par statut migratoire ne permet pas d’expliquer clairement ce phénomène et comme l’avance Daniela Rojas Castro (directrice de la recherche, Coalition PLUS) : « Ce que ne l’on ne mesure pas, n’existe pas ».

En Afrique subsaharienne, la bisexualité masculine semblerait avoir une place dans la dynamique de l’épidémie de VIH. Marion Fiorentino, chercheuse au Sesstim, évoque 49 % de bisexuels dans la communauté des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH). Chez ces hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes et des femmes (HSHF), 48 % évoquent ne pas utiliser de préservatif lorsqu’ils ont des relations avec des femmes. Deux études réalisées au Sénégal montrent que cela engendre un haut risque d’exposition au VIH pour les épouses, qui ne sont souvent pas informées des relations homosexuelles de leur mari, voire même de leur séropositivité.

En Côte d'Ivoire, au Mali et au Sénégal, le projet Atlas, financé par Unitaid, a permis la distribution de plus de 400 000 autotests VIH. Odette Ky-Zerbo (UMI TransVIHMI) a mis en avant l’efficacité de la distribution par les pairs-es d’autotests pour lutter contre le VIH/sida. Le plus souvent distribués à des partenaires, à des pairs-es ou à des clients, ces autotests permettent de toucher des populations peu dépistées, et cela, sans répercussion négative pour les distributeurs.

En France, l’enquête sur les perceptions, attitudes et attentes vis-à-vis du chemsex (PaacX) montre l’hétérogénéité des rapports au chemsex. Perrine Roux (Sesstim) évoque cinq rapports différents au chemsex, illustrant chacun des motivations et des consommations différentes. De la vision la plus positive, à la vision la plus négative : de la « compensation à une sexualité assumée », « l’hédoniste gestionnaire », « entre addiction et gestion », « de la curiosité à la destruction de la sexualité » et enfin « de l’espoir de compensation à la désillusion ». Chose intéressante : tous les répondants se considèrent comme usagers de drogues et s’accordent sur le fait que la réduction des risques est possible pendant les plans chemsex.

Inès Alaoui, Cédric Daniel, Léo Deniau, Evann Hislers, Cynthia Lacoux, Jean-François Laforgerie et Fred Lebreton.


Médicament : transparence des coûts
En 2019 à l’Assemblée mondiale de la santé (AMS), la France se positionne en faveur de la résolution pour la transparence des marchés de médicaments adoptée à cette occasion. Entre 2019 et 2021, plusieurs associations de santé, de patients-es et de consommateurs-rices s’organisent pour pousser les décideurs-ses publics-ques à décliner ces engagements dans le droit national. En assurant la transparence des investissements publics dans la recherche et le développement (R&D) de nouveaux médicaments, l’objectif est d’assurer l’accès aux traitements par des négociations de prix plus justes entre l’État et les industriels-les pharmaceutiques. Après avoir obtenu l’adoption de cette mesure dans la loi en 2020, différentes associations (dont AIDES, TRT-5 CHV, Médecins du Monde, Action Santé Mondiale) ont plaidé auprès du Gouvernement pour sécuriser la publication d’un décret d’application prenant en compte l’ensemble des aides publiques, directes comme indirectes, mais également les différents rachats d’entreprises et de brevets qui interviennent dans le parcours d’un médicament. Le décret d’application, finalement rendu en septembre 2021, se limite à une transparence des investissements publics directs, ne permettant donc pas d’assurer des négociations de prix transparentes et justes. Si la mobilisation de la société civile a conduit à ce que la France soit le premier pays d’Europe à mettre en œuvre de telles mesures de transparence, les arbitrages du Gouvernement n’ont pas tenu compte des demandes des associations face à celles de l’industrie pharmaceutique. Les prochaines étapes de ce plaidoyer consisteront à assurer que les données concernant les aides publiques à la R&D de nouveaux médicaments soient accessibles pour chacune de ces aides, médicament par médicament et pour tout le cycle de vie desdits médicaments.

Drogues et vaccination Covid-19
La pandémie de Covid-19 a considérablement bouleversé l’accès aux soins et à la prévention. Dans ce contexte, il est intéressant de voir l’impact de la pandémie dans certains groupes. Un projet de recherche communautaire multi-pays baptisé EPIC a été conduit. Il a notamment permis d’avoir des données sur « l’intention vaccinale contre la Covid-19 chez les usagers-ères de drogues précaires en France en 2021 ». Quels sont les résultats ? La vaccination contre la Covid-19 est un des moyens de lutte contre la pandémie. Les usagers-ères de drogues (UD), souvent éloignés-es du système de soins classique sont une population prioritaire à la vaccination en France du fait  de leurs conditions de vie dégradées et de leurs potentielles comorbidités (co-infection VIH-VHC, par exemple). Peu de données existent à ce sujet, et cette étude a donc pour but de documenter l’intention vaccinale des UD en France. Elle a été réalisée dans le cadre du programme de recherche communautaire multi-pays EPIC coordonné par Coalition PLUS. Ce programme vise à documenter l’impact de la crise sanitaire Covid-19 sur les populations clés ainsi que sur les agents de santé communautaire. En France, il a été déployé chez les UD entre mai et octobre 2021. Un questionnaire a été distribué aux UD dans les 28 Caarud de AIDES, portant sur la vaccination, mais aussi sur la santé mentale, les difficultés quotidiennes, les pratiques de consommation, etc.
Le questionnaire a été rempli par 211 UD. Parmi ces personnes, seul 21% étaient déjà vaccinées contre la Covid-19 et ces dernières ont été retirées des analyses. Parmi les 166 UD restants-es non vaccinés-es, 83 % étaient des hommes âgés en moyenne de 40 ans. Seulement, 19 % se disaient tout à fait prêts-es à se faire vacciner. Celles et ceux qui n’avaient pas l’intention de se faire vacciner étaient plus jeunes, avaient moins souvent fait d’études supérieures et avaient un logement plus instable que celles et ceux qui en avaient l’intention. Les principaux freins évoqués à cette vaccination étaient la méfiance envers ces derniers (66 %) et la peur des risques et effets indésirables (49 %). Ces résultats montrent une faible intention vaccinale contre la Covid-19 parmi les UD et notamment chez les plus précaires. Il est donc important de mettre en place des stratégies pour atteindre cette population, en renforçant leur confiance. La vaccination en milieu communautaire serait à privilégier.