Fonds mondial : les associations divisées sur François Hollande

Publié par jfl-seronet le 01.07.2016
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Mondefonds mondial

L’annonce a été faite par le président François Hollande, dimanche 26 juin, en marge des Solidays. La France maintient sa contribution au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme à hauteur de 1,08 milliard d'euros pour la période 2017-2019, soit 360 millions d'euros par an. Le financement français est en stagnation. Cette annonce partage radicalement les associations de lutte contre le sida : les unes sont satisfaites, les autres particulièrement critiques.

Le financement français stagne

La France maintiendra sa contribution au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme à hauteur de 1,08 milliard d'euros pour la période 2017-2019, soit 360 millions d'euros par an, a donc annoncé le président François Hollande dimanche 26 juin. Du point de vue de l’Elysée, cette contribution "témoigne de l'engagement sans faille de la France dans le combat contre les grandes pandémies et pour le renforcement des systèmes de santé, notamment dans les pays d'Afrique". On notera que l’engagement vaut surtout pour 2017, puisque rien n’assure que le président Hollande sera réélu en mai 2017 et donc à même de tenir des promesses qui vont jusqu’en 2019. A L’Elysée, on avance que la France reste le "deuxième donateur du Fonds mondial" et que la France est "aussi le premier soutien financier de la centrale d'achat de médicaments Unitaid, grâce aux financements innovants pour le développement". Dans son message, François Hollande a appelé "à la mobilisation générale de la communauté internationale, afin que la conférence de reconstitution du Fonds mondial pour les trois prochaines années, prévue le 16 septembre à Montréal, soit un succès et permette de sauver des millions de vies" ; soit les phrases convenues habituelles. François Hollande s’est entretenu avec Bill Gates, lundi 27 juin, à ce sujet. Bill Gates a salué les efforts de la France, "premier contributeur en Europe dans la lutte contre le sida". "J'aimerais exprimer toute ma gratitude envers le président François Hollande et la France (...) premier contributeur en Europe dans la lutte contre le sida depuis des années", et dont l'engagement fort "a permis d'accélérer la lutte contre ces trois maladies", a déclaré Bill Gates, très diplomate comme toujours. Il a même fait dans la surenchère : "Je suis sûr que cette générosité sera une source d'inspiration pour d'autres". Et d’en rajouter encore : "Le monde a besoin de ce genre de leadership, afin que nous puissions vivre dans un monde plus sûr, avec un meilleur niveau de santé, pour les générations à venir".

Le ministère des Affaires étrangères en fait vraiment trop

Cela ne surprendra personne, mais dans un communiqué du 26 juin, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, "salue l’annonce par le président de la République (…) du maintien de la contribution française au Fonds mondial de lutte contre le VIH". "Il s’agit d’un signe fort de notre engagement dans la lutte contre les grandes pandémies. La lutte contre le sida et les maladies transmissibles partout dans le monde est une priorité de la France. Outre notre soutien financier au fonds (plus de 3,8 milliards d’euros depuis 2002), nous mobilisons nos institutions de recherche. Nous sommes également mobilisés en faveur des systèmes de santés locaux et des personnes affectées, y compris s’agissant du respect de leurs droits fondamentaux", explique Jean-Marc Ayrault. Hélas, le ministre en fait trop lorsqu’il explique que "la France est à l’origine de la création de modes innovants de financement, en particulier la taxe sur les billets d’avion et celle sur les transactions financières". C’est vrai pour la première, mais la TTF, elle, n’existe hélas pas. On ne parle pas ici de la version française, mais de celle ambitieuse qui associerait plusieurs Etats européens. Cette dernière n’en finit pas d’être repoussée au point désormais que sa mise en œuvre apparaisse de plus en plus hypothétique. "Je forme le vœu que le 16 septembre, à Montréal, le fonds puisse atteindre son objectif et mobiliser 13 milliards de dollars pour les trois années à venir, de façon à sauver huit millions de vies et éviter 300 millions de nouvelles infections", conclut Jean-Marc Ayrault.

Un satisfecit français au goût bizarre

Reste à savoir si les engagements français et les vœux pieux de l’exécutif sont à la hauteur des enjeux de la lutte contre le sida. Des enjeux que la communication institutionnelle française se garde bien de rappeler. Et pour cause ! Selon l’Onu, il y a aujourd’hui une fenêtre d’opportunité de cinq ans qu’il faut impérativement saisir pour accélérer la lutte contre le sida au plan international, et espérer mettre fin à l’épidémie d'ici 2030. La première étape est d'atteindre l’objectif des 90-90-90 au niveau mondial d’ici 2020. Le problème, c’est que nous en sommes encore loin. En effet, 21 millions de personnes vivant avec le VIH (soit plus de la moitié !) n'ont pas accès au traitement, dont 17 millions de personnes qui ne connaissent pas leur statut. Par ailleurs, 76 % des personnes vivant avec le VIH n'ont pas accès au traitement en Afrique de l'Ouest et centrale, comme l’a démontré le rapport de Médecins sans Frontières. De plus, 16 millions d’hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, 13 millions de travailleuses et travailleurs du sexe, 7,5 millions de personnes usagères de drogues par injection et un million de femmes trans n'ont pas accès à des services de prévention et de soin adaptés à leurs besoins. L’Onu a conduit des études prospectives et estime que pour atteindre l’objectif de la fin de l’épidémie en 2030, il faut ajouter 6 à 7 milliards de dollars par an aux financements actuels – soit seulement 0,01 % du PIB mondial.

Des ONG très divisées

Assez souvent, les grandes organisations non gouvernementales de lutte contre le sida partagent la même analyse et défendent les mêmes revendications. Cette fois, l’annonce de François Hollande a dessiné deux camps aux positionnements radicalement différents. Evidemment, tout est fonction du niveau d’exigence des demandes faites avant. Plusieurs associations réunies au sein du Collectif santé mondiale (1) qui avaient demandé à ce que la France ne baisse pas sa contribution sont contentes que le financement stagne. D’ailleurs, le titre de leur communiqué de presse (que l’Elysée aurait pu reprendre à son compte) donne le ton : "La France confirme son rang dans la lutte contre les pandémies !" Dans ce communiqué, on se satisfait que "la France [reste] le premier donateur européen de ce Fonds depuis sa création et réaffirme son engagement dans la lutte contre les grandes pandémies".

"En faisant le choix d’allouer 1,08 milliard d’euros pour la période 2017-2019, soit 360 millions d’euros par an, la France prouve qu’elle veut rester un des leaders mondiaux en faveur de la santé des plus vulnérables", explique Pierre Bergé, président de Sidaction, dans le communiqué. Dans le même texte, Bruno Rivalan, d’Action santé mondiale, indique que : "La contribution de la France permettra de sauver 648 000 vies et de prévenir 24,8 millions de nouvelles infections". Friederike Röder de One affirme, pour sa part, que : "L’annonce anticipée de la France, qui est le deuxième donateur mondial, est un signal fort pour le succès de cette levée de fonds. Les autres pays, comme l’Allemagne ou l’Italie, doivent maintenant suivre son exemple et annoncer des contributions à la hauteur des enjeux et des ambitions". Et encore un satisfecit mâtiné d’une légère couche de prudence. "Cette annonce politique d’ampleur doit se traduire immédiatement dans le projet de budget pour 2017 actuellement en préparation. Nous resterons aussi vigilants sur le fait que la France honore la totalité de son engagement actuel d’ici décembre 2016", explique Christian Reboul d’Oxfam France. Autrement dit, les organisations du Collectif santé mondiale "saluent l’engagement politique et financier de la France" mais "veilleront à ce que celui-ci se concrétise budgétairement". De leur point de vue, la décision française est juste et bonne. Pas une once de critique, l’engagement français serait à la hauteur des enjeux.

AIDES, Act Up-Paris et Coalition PLUS en mode critique

Ce n’est pas du tout l’avis de trois autres organisations non gouvernementales : AIDES, Act Up-Paris et Coalition PLUS. D’ailleurs, le titre de leur communiqué commun montre bien l’ampleur des divergences : "Hollande : mort annoncée de milliers de malades du sida dans le monde". Leur analyse diffère complètement. "Alors que l’Onu a prévenu qu’avec une stagnation des financements internationaux l’épidémie de VIH repartirait à la hausse, le président François Hollande vient d’annoncer qu’il maintenait à l’identique la contribution française au Fonds mondial de lutte contre le sida (…) Cela brise une dynamique de mobilisation financière de tous les pays riches, et risque de signer la reprise de l’épidémie mondiale du sida, provoquant la mort de milliers de malades", dénoncent-elles. Pour ces ONG, le président Hollande est "resté sourd aux appels de Ban Ki-Moon", le secrétaire général des Nations Unies. L’Onu a récemment publié un rapport qui explique que si les financements internationaux, qui permettent de renforcer les programmes de prévention et de soins dans les pays en développement, n’augmentent pas au cours des prochaines années, les nouvelles infections au VIH repartiront à la hausse et le sida fera encore plus de morts. "Et ce sont déjà 100 000 personnes qui en meurent et 160 000 autres qui en sont infectées, chaque mois", pointent les associations.

L’action présidentielle contestée

Les trois ONG vont même plus loin et ce n’est pas seulement la dernière décision en date de l’exécutif qui est sous le feu des critiques, mais l’action présidentielle de François Hollande dans ce domaine. Pour elles,  François Hollande a fait le "choix mortifère de l’inaction durant tout son mandat présidentiel". Le communiqué des trois ONG rappelle qu’en 2013, François Hollande a refusé d’augmenter la contribution française au Fonds mondial, contrairement à la plupart des partenaires de la France. Sont contestés aussi la priorisation des moyens financiers. "Combien de milliards d’euros du contribuable sont mobilisés pour des projets pharaoniques et contestés, de l’EPR de Flamanville à l’aéroport de Notre-Dame des Landes ? Pourquoi le Président n’augmente t-il pas la taxe sur les transactions financières ?" Les ONG y voient un "défaut" de volonté politique, qu’elles soulignent en comparant avec la politique conduite dans ce domaine par Nicolas Sarkozy. "En 2010, alors qu’il achevait son mandat et que la France était plus que jamais touchée par la crise financière de 2008, le président Sarkozy avait annoncé une contribution en hausse de 20 % de la contribution de la France au Fonds mondial. Ce qui a permis, entre 2011 et 2013, de sauver près de 370 000 malades du sida supplémentaires", indique le communiqué de presse. Cette allusion a une double fonction : égratigner François Hollande et montrer que les difficultés économiques actuelles ne justifient pas la stagnation des financements français.

Le prix de l’inaction…

Enfin, les trois organisations estiment que la "France baisse les bras alors que la victoire contre le sida est à portée de main". Pour elles, cette décision présidentielle "est d’autant plus incompréhensible que les spectaculaires progrès réalisés depuis 15 ans contre le VIH permettent d’envisager la fin de l’épidémie d’ici à 2030". Elles "exhortent François Hollande à se ressaisir en annonçant une augmentation de la contribution de la France lors de la Conférence de reconstitution du Fonds mondial le 16 septembre prochain à Montréal. Le Fonds mondial finance la moitié des traitements antirétroviraux dans le monde. C’est aussi l’une des seules institutions internationales qui financent des programmes d'accès aux droits et à la santé pour les populations clés, y compris dans les contextes où elles sont criminalisées. Investir dans le Fonds mondial est le meilleur moyen de lutter contre l’épidémie", rappelle Hakima Himmich, présidente de Coalition PLUS dans le communiqué. "Investir dans le Fonds mondial est un choix stratégique qui à terme sera payant. Le premier ministre canadien l’a bien compris. Justin Trudeau s’est engagé à augmenter de 20 % la contribution de son pays. Le Luxembourg, les Etats-Unis et le Japon ont aussi fait le choix d’intensifier leurs efforts. La France est-elle sur le point de baisser les bras au moment même où la victoire contre le sida est à portée de main ?" interpelle Aurélien Beaucamp, président de AIDES.

"Le Président ne peut pas refuser la moindre augmentation au Fonds mondial durant tout son mandat. Il porterait alors la responsabilité directe de la mort de centaines de milliers de malades auxquels il avait pourtant promis secours à plusieurs occasions", dénonce Mikaël Zenouda, président d’Act Up-Paris.

L’annonce présidentielle divise profondément le monde des grandes organisations non gouvernementales de lutte contre le sida et de santé. Certaines jugent l’engagement français à la hauteur et à même de faire figure d’exemple pour les autres pays donateurs. D’autres considèrent cette décision comme une faute et un mauvais signal : celle d’une démobilisation. C’est aussi la lecture que fait la députée les Républicains, Nathalie Kosciusko-Morizet. Dans une tribune publiée le 24 juin dernier sur le site de Libération, la chef de l’opposition au Conseil de Paris dénonce la politique conduite depuis 2012. "Le gouvernement socialiste ne fait plus que renouveler péniblement les engagements pris par l’opposition lorsqu’elle était aux affaires", explique Nathalie Kosciusko-Morizet qui demande à ce que la France montre l’exemple et "porte une vision d’un monde sans sida". "Nous ne pouvons pas fermer les yeux en attendant passivement que les acquis réalisés en trente ans de lutte soient détruits".

(1) : Le Collectif santé mondiale regroupe neuf associations françaises de santé : Action contre la faim, Action santé mondiale, Equilibres & populations, Médecins du Monde, One, Oxfam France, le Planning Familial, Sidaction et Solthis.