Fonds mondial : les plaideurs-ses au front

Publié par Léo Deniau le 04.06.2023
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MondePlaidoyer

Du 18 au 20 avril dernier, AIDES était représentée au GFAN Meeting 2023 à Nairobi, au Kenya. Derrière ce sigle obscur se cache la réunion du réseau des plaideurs-ses internationaux-ales pour le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme (Global Fund Advocates Network en anglais). Léo Deniau, chargé du plaidoyer international chez AIDES, était sur place.

Rappelez-vous, nous vous avions déjà présenté le GFAN Meeting de 2022 ; c’était à Berlin. Réunissant des activistes, plaideurs-ses et militants-es du monde entier, ces réunions ont pour objectif principal de partager des informations sur l’actualité de la santé mondiale et des bonnes pratiques de plaidoyer dans le but collectif de garantir un Fonds mondial efficace, juste et financé pour permettre d’atteindre les objectifs 2030. Le réseau se réunit régulièrement en visioconférence, en groupe élargi ou selon les thématiques du moment (actuellement,  la réunion de haut niveau des Nations Unies sur la tuberculose prend une part importante des débats) et, une fois l’an, en présentiel.

Traditionnellement, les GFAN Meetings se tenaient à Amsterdam, dans la ville du siège de l’organisation. Après un déplacement exceptionnel à Berlin l’année dernière, la hausse des prix de l’hôtel historique qui accueillait ces réunions et la volonté de se déplacer dans des pays bénéficiaires du Fonds mondial, ont poussé à organiser l’édition 2023 à Nairobi, où se situe le secrétariat de la plateforme africaine de GFAN. La réunion s’est tenue sur trois jours et réunissait près de 80 plaideurs-ses du monde entier, des membres du secrétariat du Fonds mondial et de fondations privées (la fondation Gates notamment). Les discussions avaient lieu dans un hôtel d’une zone sécurisée au nord de la ville, dans le quartier des ambassades et du siège africain des Nations Unies. Gardés jour et nuit, l’hôtel et l’immense centre commercial attenant avaient tout de la gated community (communauté résidentielle fermée, typique des banlieues américaines) pour diplomates aisés-es. Si l’ensemble architectural manquait clairement d’authenticité et d’âme, les discussions des trois jours partageaient le constat permanent de la nécessité d’un plaidoyer qui ressemble aux communautés et qui en contient toujours la ferveur et l’énergie.

Dans la mesure où la dernière conférence de reconstitution du Fonds mondial n’a pas atteint les résultats espérés (15,7 milliards de dollars au lieu de l’objectif de 18 milliards), les enjeux d’une telle réunion étaient élevés : quels plaidoyers mener pour poursuivre une lutte aussi efficace que possible contre les trois maladies sans les moyens attendus ? Certaines pistes ont été avancées : assurer des financements complémentaires aux endroits où il y a des manques particuliers avec des fonds du secteur privé (que ce soit sur les chaînes d’approvisionnement des ARV, l’accès à l’innovation pour lutter contre la tuberculose résistante ou la production locale de produits de riposte) ; ouvrir davantage l’action du Fonds mondial au renforcement des systèmes de santé (et notamment par le biais de la reconnaissance et valorisation des pairs-es éducateurs-rices et autres agents-es de santé communautaires) ; faire évoluer nos arguments pour mieux placer la santé mondiale au centre du débat public et que l’opinion générale puisse s’approprier les priorités dans la lutte contre les pandémies, à l’image de l’activisme climatique, etc.

AIDES (également mandatée par Coalition PLUS, dont AIDES est membre cofondateur) y a porté la nécessité d’assurer et d’augmenter l’implication des communautés et la prise en compte de la démarche communautaire en santé à tous les niveaux (de la demande de subvention à l’évaluation de sa mise en œuvre en passant bien sûr par son exécution concrète). Il s’agit du seul moyen de mener une lutte efficace qui conjugue les progrès sanitaires aux progrès économiques et sociaux en incluant durablement et en reconnaissant le pouvoir transformatif des personnes concernées par les trois maladies. À ce titre, j’ai pu présenter le projet de l’étude RISE, co-porté par AIDES, Coalition PLUS, l’institut O’Neill (l’institut pour les politiques de santé publique et de santé mondiale de l’université américaine de Georgetown, Washington DC) et amfAR (The Foundation for AIDS Research. L'amfAR est une des plus importantes fondations américaines et mondiales pour le financement de la prévention et de la recherche médicale contre le sida). Cette étude vise à mesurer et évaluer l’implication effective des communautés infectées et affectées par les trois pandémies dans les instances de coordination nationale (voir encart ci-dessous) du Fonds mondial. Ce projet s’étalera sur l’année 2023 et rendra son rapport de recommandations en décembre afin de promouvoir un modèle sans cesse plus vertueux, car impliquant plus justement les communautés infectées et affectées, du Fonds mondial et de la lutte contre le VIH.

Ce GFAN Meeting a aussi été l’occasion de créer des partenariats et des relations avec des activistes de tous les continents — un souvenir particulier des prises de parole inspirantes de Solange Baptiste (Afrique du Sud) de l’ITPC ou de Lyle Muns (Pays-Bas) de Aidsfond —, de partager nos priorités communes pour le renforcement de l’approche communautaire en santé dans une amélioration et une accélération de la lutte contre le VIH/sida, et de mêler les expertises respectives. Si l’horizon de la solidarité internationale et de la fin des trois pandémies pour 2030 se révèle, chaque jour, un peu plus chargé et moins atteignable en l’état actuel des financements et des moyens mis en œuvre, la communauté d’intérêt réunie cette année à Nairobi a su regonfler les espoirs et galvaniser les intentions militantes de ses membres.

ICN et CCM… c’est quoi ?
Le Fonds mondial définit les instances de coordination nationale (ICN, ou CCM selon le sigle anglais) comme « des comités nationaux qui, au nom de leur pays, présentent des demandes de financement au Fonds mondial et assurent le suivi stratégique des subventions ». Ces instances remplacent les « bureaux pays » que de nombreuses organisations internationales continuent à entretenir dans leurs réseaux respectifs ; l’Onusida par exemple. Ces mécanismes permettent plus d’indépendance, de redevabilité et une appropriation nationale plus grande. Ils doivent démontrer qu'ils sont composés de personnes vivant avec ou affectées par les trois maladies (VIH, paludisme et tuberculose), ou représentant les personnes affectées par ces trois maladies, ainsi que de membres issus-es des populations clés. Mais ce n’est pas toujours le cas, ou pas uniformément…