France : le compte n'y est pas !

Publié par jfl-seronet le 20.09.2010
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Le lieu, l’Assemblée Nationale, n’a pas été choisi au hasard. Il est facile d’accès, symboliquement fort, politiquement sensible et moins risqué que l’Elysée. C’est là que quelque 300 manifestants sont venus, à l'appel de AIDES, Sidaction, Act Up-Paris, Solidarité Sida et la Coalition Plus, dénoncer l’attitude de la France en matière de financement de la lutte contre le sida au niveau mondial ; venus surtout rappeler à Nicolas Sarkozy ses promesses et son engagement. C’était ce matin devant l’Assemblée Nationale. Seronet y était.


Les manifestants descendent des bus. D'autres, venus en métro, jouent les touristes aux alentours. Un groupe, homogène, se constitue. Il se dirige devant les grilles de l’Assemblée Nationale. Il s’y installe suivi par une camionnette et un camion transportant un énorme ballon rouge et blanc en forme de gélule. On peut y lire : "Stop sida". Il s’agit de frapper fort, de marquer les esprits surtout un : celui de Nicolas Sarkozy. En quelques secondes, des échelles et un échafaudage sont extirpés de la camionnette et placés contre les grilles de l’Assemblée. L’objectif est de les franchir, d’envahir la cour devant le bâtiment officiel, d’arrimer l'énorme gélule rouge et blanche, de déployer une banderole sur laquelle un slogan frappe : "Sida : le compte n’y est pas" et de se menotter aux barreaux… Façon de faire comprendre que les militants ne dételleront pas tant que le message n'aura pas été entendu. Les militaires et policiers chargés de la protection de l’édifice réagissent promptement. Deux ou trois militants franchissent les grilles. Ils sont aussitôt arrêtés. Des gendarmes tirent sur la banderole, crèvent le ballon à coups de couteaux et découpent les menottes à la cisaille à métaux. CRS et policiers entourent alors les manifestants d'un cordon infranchissable. Couchés lors de die in, en mouvement façon rondes militantes, pancartes en mains et slogans aux lèvres, les manifestants sont venus dénoncer les conséquences d’une politique qui ne tient pas ses promesses en matière de financement international de la lutte contre le sida.


"On doit pouvoir continuer le passage à l’échelle des antirétroviraux dans les pays du sud. Il faut au minimum que la France double sa participation. Et l'on est vraiment loin du compte, explique Bruno Spire, président de AIDES, un des coorganisateurs de la manifestation. On nous annonce que la France continue à s’engager. Simplement, elle va augmenter sa contribution. Les rumeurs situent cette augmentation entre plus 10 et plus 30 % alors qu’il faudrait du plus 100 % et il ne s'agit pas d'une contribution énorme. C’est vraiment beaucoup moins d’argent que ce qui a été donné pour la grippe A. Le gouvernement français est extrêmement frileux sur la question. Et ce qui est complètement révoltant, c’est l’absence d’engagement public, de parole politique et de leadership sur la question du sida de la part du président de la République qui délègue à des techniciens le soin d’en parler. On a l’impression que vraiment cela lui brûle la langue de  prononcer le mot sida."

A des journalistes qui lui font remarquer que la France est un des premiers contributeurs financiers à la lutte contre le sida dans le monde, Bruno Spire explique que certes "la France est le deuxième contributeur mondial et le premier européen, mais du fait des promesses qui ont été faites et non tenues, l’épidémie va continuer. C’est un mauvais calcul à moyen terme parce que si on n’augmente pas significativement maintenant les financements on va se retrouver avec une épidémie qui va progresser. Si on augmente maintenant les financements beaucoup plus de gens seront traités et ne seront plus transmetteurs du virus, et l'on sait aujourd'hui que lorsqu’on est traité on diminue la transmission. Du coup, avec des financements massifs, on aura moins de nouveaux cas à traiter d’ici une dizaine d’années et on arrivera comme ça à faire reculer l’épidémie." "La France qui avait cette tradition d’un engagement contre le sida doit continuer, poursuit Bruno Spire. Le président Chirac lui  avait créé la taxe sur les billets d’avion. Qu’attend le président Sarkozy pour créer une taxe sur les transactions financières pour financer la lutte contre le sida ? C’est ce que réclament aujourd’hui de nombreuses associations de lutte contre le sida. Aujourd’hui, c’est un mouvement interassociatif qui réunit les principales associations de lutte contre le sida avec AIDES, Sidaction, Act Up-Paris, Solidarité Sida et la Coalition Plus. Nous sommes là pour protester. Nous sommes unis dans nos revendications et dans les messages que nous adressons au président de la République."

 

A quelques pas de là, Eric Fleutelot, directeur général adjoint international de Sidaction, autre co-organisateur de l'événement, choisit un exemple qui illustre bien l'ineptie et de la cruauté de la politique actuellement menée. "Imaginez-vous que dans votre famille vous deviez choisir quel membre de votre famille va avoir accès aux traitements ? interroge le responsable de Sidaction, alors qu'on sait très bien qu'en Afrique subsaharienne le VIH est une maladie familiale qui, bien souvent, touche plusieurs membres d'une même famille. Il faut que l'on puisse traiter tous les membres d'une famille qui en ont besoin. C'est le seul moyen, le seul espoir, un espoir qui est scientifiquement prouvé, d'arrêter un jour l'épidémie de sida. Ce que l'on va investir aujourd'hui nous fera faire des économies à l'horizon 2020, 2025, 2030. Il faut que nos responsables politique cessent de faire des calculs budgétaires à court terme, qu'ils décident enfin d'investir aujourd'hui pour pouvoir traiter aujourd'hui, sauver des vies aujourd'hui et faire des économies demain." Non loin de là, un émissaire de la préfecture de police de Paris en uniforme (genre équipage de la "Croisière s'amuse" :  chemise blanche, casquette et épaulettes brodées, pantalons bleus) fait la leçon : "Vous savez qu'il faut déclarer toute manifestation… sinon c'est illégal." Euh, sans doute, mais c'est voulu… Il demande les pièces d'identité des organisateurs et s'écarte pour prendre des directives officielles…

 

Du côté des manifestants, on répète inlassablement le même slogan "Sida : le compte n’y est pas" et on rappelle cette évidence qui ne semble pas compter chez les décideurs : "Pas d’argent, pas de traitement". Dans un communiqué, les associations organisatrices de la manifestation expliquent que pour "continuer les progrès accomplis ces dix dernières années et [pour] tenir leurs engagements internationaux, les pays riches sont censés doubler leur contribution au Fonds mondial. Pour la France, cela implique de passer de 900 millions à 1,8 milliard d’euros, sur trois ans, soit 600 millions par an." On est loin du compte avec la médiocrité des annonces françaises. C'est d'autant plus inquiétant que la France n'est pas la seule à se mettre en retrait. Elle ne joue d'ailleurs plus son rôle de leader dans ce domaine. "Dans les années 2000, on a connu un très fort engagement de la communauté internationale dans la lutte contre le sida qui a permis de mettre en place un accès aux traitements pour environ 5 millions de personnes. Aujourd'hui, nous sommes particulièrement inquiets de la réticence des pays les plus riches du monde à poursuivre leur effort pour permettre un nouveau progrès de l'accès aux traitements dans les pays du sud alors qu'on sait qu'aujourd'hui 20 millions de personnes auraient besoin d'un traitement", rappelle Stéphane Simonpietri, directeur des Actions internationales à AIDES. Mais pourquoi les grandes puissances délaissent-t-elles la lutte contre le VIH ? "Pour des raisons de coûts essentiellement… le principal argument mis en avant est celui de la crise financière et aujourd'hui, ce sont les malades au sud qui vont payer la note alors que chacun sait que même si les moyens doivent être augmentés à court terme, cela sera payant à moyen et long terme."

 

Sur une affiche, on peut lire un chiffre : les 40 milliards donnés, rien qu'en France, aux banques… alors que les militants réclament 1,8 milliard d'euros. "Cela montre bien que la question du financement de la lutte contre le sida dans le monde, c'est une question de choix politiques. On sait qu'on peut trouver aujourd'hui des moyens de financement supplémentaires explique Stéphane Simonpietri. Il existe des pistes de financements innovantes. La France pourrait, comme l'a fait la Grande-Bretagne, taxer les transactions bancaires, ce qui permettrait de dégager 5 milliards d'euros, cela serait largement suffisant pour financer l'effort de la France en matière de lutte contre le sida à l'échelle internationale." Nicolas Sarkozy n'y semble hélas pas prêt. Et l'image de CRS et de gendarmes déchirant à pleines mains l'énorme ballon portant la mention "Stop sida" dans la cour de l'Assemblée nationale est plus qu'un symbole elle sonne comme un aveu.

Crédits photo : Stéphane Blot - Laurent Marsault -Pascale Mavinga - JFL-Seronet

Cette opération inter-associative a été menée avec le soutien financier d'Open Society Foundations

Commentaires

Portrait de nathan

C'est ce que vient d'annoncer le Président Sarkozy à la tribune de l'Onu à New York : http://www.france-info.com/monde-institutions-internationales-2010-09-20... Il a plaidé aussi pour la création d'une taxe sur les transactions financières.