Grossesse et VIH : dépister et traiter

Publié par Fred Lebreton et Bruno Spire le 15.02.2022
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ConférencesCroi 2022

On ne va pas se mentir, après deux ans de conférences scientifiques en virtuel, même les experts-es les plus passionnés-es commencent à se lasser de ce format déshumanisé. Symptomatique de cette lassitude, ce tweet de Laura Waters, docteure anglaise très réputée dans le VIH, écrit à minuit 45 : « Je dois avouer que j’ai du mal à naviguer dans cette Croi 2022. Fatigue du virtuel, solitude, périls de la vieillesse ou un peu des trois ? » Comme on la comprend ! Il y avait pourtant beaucoup d’informations intéressantes en ce deuxième jour notamment sur le thème de la transmission mère-enfant. Retour sur les moments forts.

Enfants exposés-es mais non infectés-es

En plénière, une présentation donnée par Andrew J. Prendergast, professeur à l’Université Queen Mary de Londres était consacrée au thème des enfants de mères séropositives exposés-es mais non infectés-es. Le risque de transmission VIH mère-enfant est présent pendant la grossesse, l’accouchement et l’allaitement. Des travaux ont montré un excès de mortalité chez les nouveaux-nés non infectés mais exposés pendant la grossesse avec 11 % de mortalité cumulée à l’âge de 2 ans. Les maladies sont respiratoires ou digestives, plus sévères chez les nouveaux-nés exposés non infectés que chez les nouveaux-nés non exposés. Il y a 15 millions de nouveaux-nés exposés non-infectés. La première chose est de vérifier que ces enfants sont effectivement non-infectés-es, il faut contrôler les facteurs de confusion socio-économiques et l’allaitement maternel. Cette mortalité augmente malgré la hausse de la couverture des ARV. Les maladies pulmonaires sont courantes en Afrique : dans les pays développés, on trouve davantage de bronchiolites. Le statut immunologique de la mère est associé à la morbidité/mortalité des nouveaux nés non infectés exposés ainsi que le démarrage précoce d’un traitement ARV chez la mère.

Un traitement précoce chez les mères avec de bons CD4 permet de réduire le risque pour les enfants. Un poids de naissance trop petit est aussi observé deux fois plus souvent chez les femmes vivant avec le VIH aux États-Unis. Il y a un impact sur la croissance du fœtus aussi chez les nouveau-nés non infectés exposés. On observe également un retard du langage, des images cérébrales différentes avec un moins bon développement après la naissance chez ces mêmes enfants. C’est l’exposition à l’immunodéficience de la mère qui est responsable de tous ces troubles. La dérégulation des cytokines (protéines) de la mère passe chez le fœtus.

Est-ce que les ARV en prophylaxie (Prep) ont un impact ? Les études sont discordantes et ne semblent pas montrer d’impact significatif. Les enfants de femmes sous Prep par exemple n’ont pas de problèmes. Les disparités entre les études diminuent quand on ajuste sur les conditions socio-économiques. La solution c’est le fameux test and treat, c’est-à-dire dépister le plus tôt possible les mères séropositives et les mettre sous traitement ARV précoce. L’allaitement exclusif est également préconisé. Des stratégies de l’amélioration de l’hygiène sont nécessaires pour ces enfants et l’accès aux soins de base essentiels pour ces nouveau-nés ainsi qu’une bonne nutrition.

Mère-enfant : zéro transmission VIH grâce aux ARV

Le test and treat fonctionne comme le prouve un poster sur une étude française publié sur le site aidsmap sur la transmission VIH mère-enfant. La Dre Jeanne Sibiude et son équipe ont suivi des femmes enceintes vivant avec le VIH jusqu’à deux ans après la naissance de leur enfant entre 2000 et 2017. Aucune transmission (zéro) du VIH n’a été détectée chez les 5 482 enfants dont les mères étaient déjà sous traitement ARV quand elles sont tombées enceinte. Ces données concernent les femmes qui avaient une charge virale indétectable au moment de l’accouchement et qui n’ont pas allaité. Aucune transmission détectée non plus chez 2 358 enfants dont les mères séropositives ont commencé un traitement au début de la grossesse et avaient une charge virale indétectable dans le premier trimestre de grossesse. Encore une preuve, s’il le fallait, de la puissance du Tasp : charge virale indétectable = zéro transmission. « En l’absence d’allaitement et dans le contexte français d’un accès gratuit aux antirétroviraux et au contrôle mensuel de la charge virale, un traitement antirétroviral initié avant la grossesse permet d’éliminer la transmission du VIH par voie périnatale » concluent Jeanne Sibiude et son équipe.

Vaccination Covid : bonne réponse des PVVIH

Les premières données de l’étude ANRS Cov-Popart ont été présentées à la Croi. Cette étude est menée par la Pre Odile Launay (hôpital Cochin AP-HP, Université de Paris), le Dr Paul Loubet (CHU de Nîmes) et la Dre Linda Wittkop (CHU de Bordeaux). L’étude comparait deux groupes de personnes : un groupe de 754 PVVIH n’ayant pas eu d’antécédent d’infection par le Sars-CoV-2 et un groupe de 720 personnes séronégatives au VIH (sans antécédent d’infection par le Sars-CoV-2 également). Tous-tes les volontaires ont reçu au moins deux doses de vaccin. Le vaccin de Pfizer BioNTech a été administré à 92,4 % des PVVIH, contre 88,2 % des personnes séronégatives.

Le groupe de PVVIH incluses avait en moyenne 56 ans (contre 50 ans dans l’autre groupe) et comptait plus d’hommes (76,3 % contre 52,4 %). Toutes les PVVIH étaient sous traitement antirétroviral, 78 % d’entre elles avaient une charge virale indétectable et 70 % un taux de CD4 supérieur à 500 cellules/mm3. Des prélèvements sanguins ont eu lieu un mois après avoir reçu la deuxième dose du vaccin. Leur analyse montre que 97,1 % des PVVIH avaient développé des anticorps dirigés contre la protéine Spike du Sars-CoV-2 et 95,4 % des anticorps neutralisants. Ces proportions, bien qu’élevées, sont un peu plus faibles que celles du groupe de personnes séronégatives (respectivement 99,7 % et 98,9 %). Par ailleurs vingt-deux personnes du groupe PVVIH ont été en échec vaccinal : « Les PVVIH n’ayant pas répondu au vaccin étaient à un stade plus avancé de la maladie, rapporte la Dre Linda Wittkop, l’une des investigatrices principales. La poursuite du suivi nous permettra de mieux comprendre la réponse immunitaire humorale et cellulaire après la vaccination Covid-19 chez les PVVIH ». Un volet pédiatrique pour les enfants et adolescents de 5 à 17 ans a ouvert au sein de la cohorte ANRS Cov-Popart, placé sous la responsabilité du Pr Romain Basmaci (hôpital Louis-Mourier AP-HP). Le recrutement de volontaires pour ce volet est toujours en cours.

Royaume-Uni : chute du VIH chez les HSH

L’information a fait le tour des réseaux sociaux : l'incidence du VIH a chuté de 75 % en dix ans chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) au Royaume-Uni (UK) passant de 3 000 infections en 2011 à 669 en 2021 d’après une étude de la Dre Valentina Cambiano et son équipe du University College à Londres. Comment expliquer une telle chute ? La prévention diversifiée est la stratégie gagnante de ces dernières années avec des dépistages réguliers du VIH, la mise sous Tasp rapide des personnes diagnostiquées positives et la mise sous Prep des personnes les plus exposées. En effet, d’après les estimations, le dépistage du VIH chez les HSH au Royaume-Uni serait passé de 72 710 personnes en 2012 à 182 500 en 2019. L’épidémie non diagnostiquée est également en baisse. En 2012, 26 % des HSH vivant avec le VIH ignoraient leur statut et seuls 80 % étaient sous traitement antirétroviral. Aujourd’hui, 92 % des HSH vivant avec le VIH connaissent leur statut et près de 87 % sont sous ARV avec une charge virale indétectable ce qui permet de briser les chaines de transmission du VIH. Enfin la Prep n’existait pas au Royaume-Uni en 2011. En 2021, plus de 25 000 HSH étaient sous Prep. Sans le dépistage, le Tasp et la Prep, il est estimé que 7 647 infections à VIH auraient été dénombrées en 2021 au Royaume-Uni soit onze fois plus que les 669 qui ont eu lieu. Cette baisse devrait continuer si les mesures actuelles de prévention sont maintenues et pourrait mener à la fin de l’épidémie de VIH chez les HSH au Royaume-Uni d’ici 2040 espèrent la Dre Valentina Cambiano et son équipe. Plus d’informations sur cette étude sur aidsmap.

Le Secret de la planète des singes

En plénière, la biologiste Michaela Müller-Trutwin (qui travaille à l’unité de Françoise Barré-Sinoussi de l’Institut Pasteur à Paris) a fait une présentation très technique mais passionnante sur ce que pourrait nous apprendre la recherche sur le VIH sur les modèles de singes. Le virus d'immunodéficience simienne (VIS, SIV en anglais, pour Simian Immunodeficiency Virus) est un rétrovirus ayant de nombreuses souches et touchant exclusivement une quarantaine d'espèces de primates non humains. Ce virus est responsable du syndrome d'immunodéficience acquise du singe (Sidas). Le modèle macaque avec le SIV est excellent pour étudier la pathogénèse (processus responsable du déclenchement et du développement d'une maladie). Cela permet de déterminer les facteurs liés à l’hôte ou au virus. Le modèle mangabey African Green Monkey (AGM) est basé sur une espèce où le virus n’induit pas de maladie. Cela donne des informations sur les facteurs cellulaires associés à l’éviction de la maladie. Ces modèles ont des limites : éthique, non généralisable à l’homme et un manque d’outils d’étude spécifiques aux différentes espèces de singes.

Ces modèles ont montré que l’intestin est le lieu où le virus se réplique après l’infection. Les singes en milieu naturel n’ont pas de destruction des tissus intestinaux, ce qui explique la non pathogénicité du SIV. Les événements initiaux lors de l’infection semblent déterminants et c’est là que des interventions pourraient être utiles. La réplication dans les sept premiers jours est intra-tissulaire, un traitement très précoce pourrait avoir un impact en diminuant la taille du réservoir. Les modèles singes pourraient accélérer la recherche sur la guérison du VIH (Cure) en testant rapidement de nouvelles stratégies comme la thérapie génique ou l’utilisation d’anticorps monoclonaux. Une autre piste est d’utiliser les cellules NK (Natural Killer) dans la recherche sur la guérison. Les cellules NK essentielles au contrôle de l’infection sont rendues inopérationnelles par le virus, mais des stratégies de guérison pourraient être imaginées pour restaurer la maturation des cellules NK.

USA : pas tous-tes égaux-les face au VIH

Une session orale de deux heures était consacrée au thème de l’épidémiologie du VIH et du Sars-CoV-2 avec une série de présentations d’études. La première s’est concentrée sur l’estimation du risque d’acquisition d’un diagnostic VIH aux États-Unis au cours de la vie. Les hommes et femmes noires ont le plus de risque de contracter le VIH au cours de la vie, les personnes asiatiques sont celles qui ont le moins de risque. Des disparités existent aussi entre les États américains : la prévalence du VIH est plus importante dans les États au Sud et dans les zones urbaines. Le risque est plus élevé pour les hommes que pour les femmes, les tranches d’âges sont plus importantes aux âges jeunes. Par rapport à il y a 8 ans, le risque a globalement diminué mais d’importantes disparités persistent. Cette étude est utile pour mesurer le poids du VIH dans des groupes spécifiques.

USA : clusters VIH parmi les HSH

Un cluster indique que la transmission a été rapide entre différents individus. On peut identifier les clusters par des analyses moléculaires. L’étude s’est focalisée sur des clusters de plus de 25 personnes. 144 clusters ont été identifiés : 82 % dans des groupes HSH, 8 % chez les usagers-ères de drogue injectable. Les clusters HSH grossissent rapidement au cours du temps. Ces clusters ont été identifiés dans tous les États. Les personnes sont d’ethnicités diverses et incluent 91 % d’hommes cisgenres mais également des personnes trans. Dans ces clusters, seuls 75 % des HSH rapportent le seul facteur de risque sexuel.

ARV : incidence et résistance primaire

Identifier les infections récentes est primordial pour agir. Des outils moléculaires permettent de mesurer la diversité des souches en séquençant plusieurs régions du génome en même temps (Multiplex). Cela permet de tester la diversité intra individuelle et donc un diagnostic récent et les résistances primaires du virus. Des plateformes permettent de techniquer un tiers des nouvelles infections. Cette technique a permis d’identifier les régions où il y avait le plus de diagnostics récents pour mener des actions de prévention. Elle permet aussi d’identifier des mutations de résistance primaire qui risquent d’être transmises.

Covid : efficacité du rappel vaccinal

Une étude observationnelle (785 000 personnes) a été mise en place incluant les personnes immunodéprimés : VIH, personnes transplantées, maladies auto-immunes et cancers. Toutes vaccinées contre la Covid-19 avec le vaccin Janssen. Les chercheurs-ses ont comparé celles qui ont eu le rappel avec celles qui ne l’ont pas eu. Il y a eu 48 000 infections. L’efficacité du rappel contre l’infection est entre 50 et 70 % chez les personnes sans déficit immunitaire, autour de 40 % si déficit immunitaire, mais reste toujours plus efficace que s’il n’y avait pas de rappel après six mois. La même efficacité du rappel a été observée chez les immunodéprimés-es contre les formes graves et les décès liés à la Covid-19.

Taux de vaccination chez les PVVIH

Une cohorte (groupe) internationale de PVVIH entre 40 et 75 ans contrôlées, sous ARV, et sans comorbidités a été constituée et comprend 7 770 participants-es. Cette étude observationnelle a recueilli les données de vaccination Covid-19 définie par au moins une dose d’un vaccin. Il y a eu une hausse jusqu’à 63 % de couverture, plus importante dans les pays à hauts revenus. Légèrement plus de couverture vaccinale chez les PVVIH par rapport à la population générale mais les données reflètent le taux global du pays. Les personnes noires ont moins de chance d’être vaccinées ainsi que les femmes. Les personnes vaccinées sont plus âgées, ont un IMC plus élevé et sont sous ARV depuis plus longtemps. Au total, ces données montrent que la majorité des PVVIH dans le monde ont encore peu d’accès à la vaccination Covid.