Guérison du VIH : la machine est lancée

Publié par Renaud Persiaux le 19.11.2011
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Thérapeutiquepistes guérisonEACS 2011

Le congrès de l’EACS du 12 au 15 octobre à Belgrade a été l’occasion pour la clinicienne et chercheuse australienne Sharon Lewin (Hôpital de Melbourne) de faire un point sur les recherches actuelles sur des sujets comme l’éradication du VIH de l’organisme, ou, moins ambitieusement, la rémission fonctionnelle de l’infection. De quoi rêver un peu…

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La machine est lancée et bien lancée. La conférence de l’EACS (13e Congrès européen sur le sida) qui se tenait à Belgrade du 12 au 15 octobre a été l’occasion d’un point détaillé sur les recherches en matière de guérison de l’infection à VIH. Celles-ci ont été remis sur le devant de la scène par l'initiative d'alliance scientifique internationale de la chercheuse Françoise Barré-Sinoussi, prix Nobel de médecine 2008.

Deux objectifs sont poursuivis : soit l’élimination totale du VIH de nos organismes – le remède stérilisant – soit le contrôle du virus par le système immunitaire en l’absence d’antirétroviraux – le remède fonctionnel. La clinicienne et chercheuse australienne Sharon Lewin est une des plus grandes spécialistes des réservoirs du VIH dans l’organisme. Elle a commencé sa présentation en rappelant ce que tout le monde sait. Que, malgré une charge virale contrôlée depuis des mois, voire des années, arrêter le traitement a une conséquence : une reprise de la réplication du virus dans les jours qui suivent. C’est ce qu’on appelle le rebond viral.

Réplication résiduelle

Par ailleurs, 80% (86% en France) des personnes traitées ont une charge virale indétectable, c'est-à-dire inférieure à 50 copies/ml. Mais si on regarde en dessous de ce seuil qui est celui des outils de suivi de routine, il reste du virus à un niveau très très faible, autour de 10 à 20 copies/ml, parfois moins. C'est la charge virale résiduelle. Et toute la question est de savoir d’où elle vient.
Trois hypothèses sont envisagées :
1) elle serait issue de nouveaux virus issus de cellules réservoirs, ces cellules où le VIH est intégré et endormi, mais qui se réveillent régulièrement, à la faveur d’une stimulation quelconque ;
 2) elle viendrait d’une réplication résiduelle (les antirétroviraux étant efficaces à 99,9%, mais pas à 100%, sachant que l’activation immunitaire joue un rôle dans la persistance de la réplication ;
3) elle trouverait son origine dans les réservoirs anatomiques, des compartiments dans lesquels les antirétroviraux ne pénètrent pas bien, et où le virus pourrait donc continuer à se répliquer discrètement (comme le cerveau et le tube digestif).


Une aiguille dans une botte de foin

Une des pistes de recherche actuelle serait de détruire les cellules réservoirs. Ce qui se heurte à plusieurs problèmes. Le premier ? Les réservoirs sont des cellules rares : 1 sur 10 000 voire 1 sur 100 000. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin, une image souvent utilisée dans les présentations des chercheurs. Deuxième problème : elles sont diverses (nombreux types différents de CD4, cellules dendritiques, macrophages, astrocytes, sans compter que le tube gastro-intestinal est aussi un réservoir important…), ce que les chercheurs ont découvert récemment.
Deux objectifs sont donc ciblés : le premier, c’est le remède stérilisant qui consisterait à éliminer totalement les virus de l’organisme, au point qu’on ne puisse plus les détecter, même avec les techniques les plus sensibles disponibles. Un objectif évidemment très ambitieux. Alors, les chercheurs ont revu leurs prétentions à la baisse : une rémission fonctionnelle, consistant en une charge virale restant indétectable pendant des années sans avoir à prendre d’antirétroviraux, et sans risque de transmission aux partenaires sexuels, serait déjà un immense progrès.

Plusieurs stratégies sont ENVISAGées :
- éliminer la réplication résiduelle du VIH en intensifiant la trithérapie avec des  antirétroviraux supplémentaires ;
- éliminer les cellules réservoirs (les cellules latentes) ;
- rendre les cellules résistantes au VIH ;
- favoriser des réponses immunitaires efficaces contre le VIH.


Piste 1 : Eliminer la réplication résiduelle du VIH en intensifiant la trithérapie
Il s’agit d’ajouter des antirétroviraux supplémentaires : donner des quadri voire des pentathérapies (cinq médicaments). De nombreux essais cliniques ont été menés. Tous très décevants. On sait désormais que cette n’approche ne suffira pas. En tout cas, pas à elle seule. D’autant que les virus qui restent présents sous antirétroviraux  n’ont pas de mutations qui apparaissent au cours du temps, alors qu’on devrait en voir survenir en cas de réplication continue. Une stabilité plutôt compatible avec l’idée d’un stock établi de virus qui se viderait.


Piste 2 : Favoriser des réponses immunitaires efficaces contre le VIH
Il s’agirait de booster l’immunité, de la renforcer, pour lui permettre de contrôler le VIH. Le virus resterait présent, mais ne serait pas délétère. La tâche est complexe car le fonctionnement précis du système immunitaire est encore assez mal compris. Modèle ? Les HIV-controllers ou contrôleurs du VIH (moins de 0,3 % de la population) dont on cherche à comprendre les spécificités du système immunitaire.
Une des pistes les plus avancées serait, de façon assez empirique, de savoir si commencer les antirétroviraux sitôt après l’infection pourrait empêcher la constitution des réservoirs et la destruction des capacités du système immunitaire à combattre le VIH. La virologue Christine Rouzioux (Hôpital Necker, Paris) a repéré que certaines des personnes, qui après avoir commencé le traitement ARV pendant la phase de primo-infection, interrompu par la suite, . gardent une charge virale indétectable, alors qu’ils ne prennent plus d’ARV depuis plusieurs années. Elle les a appelé les patients Visconti (en anglais, contrôle virologique à long-terme après une interruption de traitement). Pour l’instant, on sait simplement que leurs niveaux de virus dans les réservoirs est très bas ; une étude est en cours pour comprendre leurs spécificités. La chercheuse a par ailleurs lancé un essai clinique, ANRS-Optiprim, pour tenter de reproduire cette observation : le traitement antirétroviral doit être commencé 8 semaines après l’infection, pour une durée de deux ans.
Autres pistes connues de longue date : des vaccins thérapeutiques (plusieurs sont évalués de façon préliminaire chez l’homme) et des molécules régulant l’immunité (les interleukines). Parmi ces dernières, l’essai Eramune 01 évalue l’effet de l’interleukine 7 (IL-7) qui semblait prometteuse dans les études chez l’animal. Mené en Europe, sur des personnes  ayant au moins trois ans de trithérapie, avec une charge virale de moins de 500 copies/ml et plus de 350 CD4/mm3. Mais certains critiquent la tenue des essais sur l’IL-7 (qui s’administre par injection), car les résultats sur une autre interleukine, l’IL-2, n’avaient montré aucun bénéfice clinique, notamment dans les essais ESPRIT et SILCAAT. L’IL-2 activent massivement l’immunité (une action en quantité), alors que l’IL-7, elle, est supposée pouvoir réactiver plus spécifiquement les cellules-réservoirs (une action en qualité, donc) et permettre leur destruction par le système immunitaire. Pour mettre toutes les chances de leur côté, les investigateurs ont choisi de sélectionner des personnes ayant déjà des réservoirs viraux faiblement remplis.

Piste 3 : Eliminer les cellules réservoirs (les cellules latentes)

Tout le problème est de parvenir à trouver une molécule susceptible d’agir sur toutes les cellules réservoirs sans faire trop de dégâts aux alentours. Un défi. Les chercheurs ciblent notamment des molécules déjà commercialisées dans le traitement d’autres maladies, ce qui permet d’avoir une bonne idée de leurs effets indésirables – autant de temps gagné et une meilleure sécurité pour les personnes.
Des essais cliniques ont déjà été lancés, avec des noms que certains peuvent connaître : des inhibiteurs de méhylation (notamment, la 5-azacytidine) et surtout les inhibiteurs de HDAC ("histone déacétylases"), dont les plus connues sont le vorinostat (ou SAHA) et l’acide valproïque. Cette famille de molécules, déjà utilisée dans le traitement du cancer, est capable de dérouler l’ADN, ce qui réveille le virus endormi. Deux essais sont menés sur le vorinostat (commercialisé sous le nom Zolinza par Merck), dont l’un par Sharon Lewin. Il s’agit d’un essai de 14 jours sur quelques dizaines de personnes. Le vorinostat s’est révélé bien toléré, capable d’activer un certain nombre de cellules réservoirs sans provoquer pour autant de rebond de la charge virale  – précisons que la prise des antirétroviraux ne doit pas être interrompue pendant que ces molécules anti-latence sont utilisées.  
Un autre essai concerne le disulfiram. Ce médicament est utilisé dans la gestion des problèmes d’alcoolisme ! Cette molécule a été repérée par une équipe de chercheurs américains, qui a développé une méthode de screening systématique (évaluation à la chaine de l’efficacité de nombreux composés), et a testé de nombreux médicaments déjà approuvés. Dans les tests avant les essais cliniques, le disulfiram (Esperal) s’est avéré capable de vider les réservoirs sans produire d’activation globale des cellules CD4. Le mécanisme reste mystérieux ! La molécule est testée chez des personnes vivant avec le VIH dans un essai aux Etats-Unis.
Pour faire face à la diversité des réservoirs, on pense désormais utiliser ces agents anti-latences en cocktail, pour faire face à la diversité des mécanismes de latence et tenter d’obtenir des effets cumulés. Si l’on en croit Carine Van Lint, chercheuse à l’Université libre de Bruxelles, l’espoir, c’est le cocktail ! Certaines molécules qui, données une par une, n’avaient qu’un faible effet, sont capables, combinées, de réactiver fortement les réservoirs. Des essais préliminaires sont d’ores et déjà menés à travers le monde.


Piste 4 : rendre les cellules résistantes au VIH
Il s’agit de rendre par la thérapie génique, le système immunitaire résistant au VIH. On en parle depuis longtemps. Mais 2011 a vu la publication des premiers résultats chez l’homme. Ces ciseaux moléculaires, les "nucléases aux doigts de zinc", fabriqués par l’entreprise de biotechnologie Sangamo, sont capables de supprimer les gènes codant pour les co-récepteurs CCR5, les portes d’entrée du VIH dans les cellules. L’idée est inspirée par les personnes porteuses d’une mutation génétique rare (moins de 0,3% de la population générale), la double mutation Delta 32, qui conduit à l’absence de co-récepteurs CCR5 sur la cellule. Ces personnes sont naturellement résistantes au VIH. En 2008, avec les résultats inédits du "patient de Berlin", (Timothy Ray Brown, de son vrai nom) une personne séropositive atteinte d’une leucémie. Pour la soigner, les médecins ont détruit toutes les cellules de sa moelle épinière avant de lui greffer celle… d’une personne porteuse de la double mutation Delta 32. Toutes ses cellules immunitaires ont été remplacées, et quatre ans plus tard, on ne trouve plus trace de VIH dans son organisme. Le premier cas de guérison. Avant d’autres peut-être. Une autre personne a bénéficié du même protocole, en Californie, mais les résultats ne sont pas connus.
Plusieurs pistes de thérapie génique sont envisagées : cibler les CCR5 des CD4, cibler les CCR5 des cellules de moelle osseuse (à l’origine des cellules sanguines, dont les CD4), cibler les co-récepteurs X4 utilisés par certaines souches de VIH, ou utiliser les ciseaux de zinc pour insérer des agents antiviraux dans les cellules.
Jay Lalezari, directeur de Quest Clinical Research, à San Francisco, a commencé à tester chez l’homme des ciseaux à CCR5. Précisément, chez six personnes vivant avec le VIH traitées et avec une charge virale indétectable. Cet essai de phase 1 cible les CD4. Mode opératoire : prélever les CD4 de la personne par aphérèse (prélèvement de certains composants sanguins par circulation du sang en dehors du corps, séparation par centrifugation et extraction, les autres étant réinjectés dans l’organisme). Ces CD4 sont ensuite placés en présence des ciseaux moléculaires. Avec une seule séance d’aphérèse, on peut produire 10 à 30 milliards de cellules CD4, dont 25 % modifiés par les doigts de zinc et ne présentant pas alors de CCR5.
Les derniers résultats ont été présentés à la conférence de l’ICAAC, à Chicago, en septembre 2011. Un premier groupe de 9 personnes a reçu 10, 20, ou 30 milliards de cellules modifiées. Ces cellules se sont multipliées et ont persisté pendant six mois en moyenne, pour un gain de 163 CD4 en moyenne. 28 jours après l’injection, le taux de cellules modifiées était compris entre 0,2 et 2,8 % dans le sang, mais leur proportion grimpait à 6 % dans la muqueuse de l’intestin. C’est plus de 5 fois plus que ce que les chercheurs espéraient !
Sur un second groupe de six personnes, un arrêt des antirétroviraux pendant 12 semaines était programmé un mois après une injection de 10 milliards de CD4 modifiés. Après l’interruption, les chercheurs ont noté un lien entre le nombre de CD4 modifiés persistant et la diminution de la charge virale. Chez trois personnes sur six, la charge virale a baissé de 0,8 log après une seule injection de CD4 modifiés. Chez une personne, elle est restée indétectable ; cette personne avait le plus fort taux de CD4 modifiées. Mais cette personne était porteuse d’une simple mutation delta 32 (seul un deux gènes correspondant n’était pas fonctionnel) ce qui diminue le taux de CCR5 et confère une protection partielle contre l’infection par le VIH, avec une progression plus lente en cas d’infection. L’équipe veut désormais inclure dans un prochain essai clinique plus important des personnes dotées d’une simple mutation delta 32 (10 % des personnes d’origine européenne en moyenne). D’autres recherches essaieront d’améliorer la persistance des cellules modifiées.  L’objectif est de créer un stock de CD4 résistants au VIH.
Un autre essai est prévu sur 14 personnes vivant avec le VIH n’ayant jamais pris de traitement. Les cellules modifiées seront sous la pression du virus, ce qui permettra leur sélection, par destruction des cellules non modifiées. Enfin, l’intérêt du protocole doit aussi être évalué sur les CD4 de personnes ayant connu de multiples échecs thérapeutiques et ayant une charge virale détectable, ou ayant un traitement efficace mais souhaitant l’interrompre. Si le coût est très important, de l’ordre de 15 000 dollars pour une injection (le prix moyen d’un an de trithérapie au Nord), cette méthode, si elle s’avérait efficace et permettait de se passer d’antirétroviraux donnés à vie, pourrait être rentable. Reste déjà à s’assurer de son innocuité.


Conclusion : des défis nombreux !
Ces différentes pistes soulèvent de nombreux défis. De l’aveu même des chercheurs, les essais testant ces différentes stratégies sont potentiellement risqués sans apporter de bénéfice clinique assuré aux personnes qui y participeront. C’est pourquoi, par exemple, dans le cas des essais anti-latence, on essaie d’administrer plutôt des molécules déjà utilisées chez l’homme dans d’autres maladies. Les chercheurs se retrouvent devant un dilemme : soit tenter d’inclure des personnes en bonne santé (mais qui n’auraient pas tant de raisons que cela d’y participer), soit inclure des personnes motivées parce que leur état de santé ne les satisfait pas (mais qui du même coup seraient les plus fragiles).
C’est pourquoi beaucoup de chercheurs, au-delà des premiers essais cliniques en cours, mettent l’accent sur la nécessité de développer des modèles in vitro et sur les animaux plus pertinents. Ils insistent également sur les différents marqueurs (biologiques) à utiliser pour vérifier l’efficacité des stratégies évaluées dans les essais cliniques. S’il n’est pas exclu de trouver "par hasard", ou "empiriquement" un traitement efficace pour induire une éradication ou une rémission fonctionnelle, il faut continuer les recherches fondamentales pour mieux comprendre l’extrême complexité des mécanismes biologiques à l’œuvre dans l’infection par le VIH. Le début d’un long chemin… qui devra inclure de nombreuses étapes, comme autant d’objectifs intermédiaires. Pour que la machine, processus de long terme, qui vient d’être lancée, puisse commencer à bénéficier le plus rapidement possible aux séropositifs d’aujourd’hui.

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lundi 12 décembre 2011 au FIAP Jean Monnet, Paris 14e

Commentaires

Portrait de jean-rene

Passionnant ! Ca fait vraiment rêver ! Ce qui est curieux, c'est que sont toutes des femmes qui sont à la pointe de ces recherches.
Portrait de romainparis

qui prend en compte une donnée que je pense importante, voire essentielle, dans la lutte contre nos Aliens : nous ne savons pas. Le reconnaître est déjà un grand pas. merci.
Portrait de valmy

cet article redonne un peu d'espoir ! "le poète à toujours raison... La femme est l'avenir de l'homme..."
Portrait de tof35

j'ai déjà abordé cette façon de se soigner lors d'un atelier au saint de AIDES sans savoir qu'il y avait eu des études de faites dans le sens ou elles sont détaillées dans l'article. Je vais suivre cette progression de la recherche et trouvé si en France ces protocoles de soins et de recherches sont aussi suivis.
Portrait de xuetnoh

toutes ces découvertes sont intéressantes et rassurantes. seulement seront-elles assez efficaces et abordable à tous?