Guérison du VIH : l’appel de Londres ?

Publié par Mathieu Brancourt et Bruno Spire le 06.03.2019
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ConférencesCroi 2019

En ce premier vrai jour de conférence, la révélation médiatique d’un deuxième cas d’apparente guérison du VIH occupe tous les esprits. Cependant, les discussions à la Croi dépassent ce scoop dévoilé un peu trop vite au goût des organisateurs-rices. Mais au-delà du rêve du cure, les sessions de ce mardi nous ramènent vers les réalités plus tangibles et réalistes de la lutte contre l’épidémie. Récit.

The cure : un duo qui fait du bruit !

Berlin et maintenant Londres ! Timothy Ray-Brown, premier homme à avoir officiellement guéri du VIH, n’est plus seul ! Et les organisateurs-trices ont peu apprécié que cette annonce leur échappe. Mais il faut faire avec : l’information concernant le « patient de Londres » a fuité avant sa présentation à Seattle. Cet homme, qui reste anonyme, avait un lymphome non-hodgkinien et devait subir une transplantation avec un donneur qui avait une mutation anti D34-CCR5, une mutation génétique qui empêche le virus de rentrer dans le CD4.

Depuis 17 mois, l’homme est « virologiquement contrôlé », donc en charge virale indétectable. La transplantation de moelle osseuse a remplacé les cellules immunitaires par des nouvelles, réfractaires au VIH. Cette mutation génétique du donneur empêche alors le virus de la personne séropositive de se répliquer. Mais ce schéma est extrêmement rare et quasiment pas transposable dans la réalité. En effet, une greffe implique une compatibilité HLA (1) difficile à trouver, sans parler de cette mutation spécifique très rare (moins de 1 % de la population). Peut-on parler de « guérison » dans ce cas très précis ? Pour l’instant, nous devons attendre pendant une ou deux années si on voit ou pas un rebond viral en l’absence de traitement pour véritablement parler de guérison. Ce mot « guérison » demeure très puissant et a des implications émotionnelles et historiques qu’il faut comprendre et être vigilant quant à son utilisation. Au-delà de l’impact médiatique, cette information confirme que des cas exceptionnels de guérison, à la suite d’une transplantation de moelle osseuse, sont possibles, mais ce n’est pas une stratégie généralisable pour guérir les 37 millions de personnes vivant avec le VIH dans le monde.

IST : la menace fantôme ?

Les IST augmentent le risque d’infection et de la transmission du VIH, donc il est nécessaire de s’en occuper pour éliminer le VIH. On ne peut minimiser les épidémies d’IST et leur reprise depuis le début des années 2000, même si elles n’empêchent pas la Prep d’être efficace pour réduire l’épidémie du VIH. Le travail de détection et de traitement de ces autres IST a été l’objet de la première session plénière de la Croi édition 2019.

Il y a une augmentation récente des diagnostics d’IST à travers le monde, ici aux États-Unis, comme ailleurs. Les principales concernées sont la syphilis, les gonocoques et les chlamydiae. Le nombre de cas de syphilis a  augmenté de 17 % depuis 2015. Aux États-Unis, 80 % des cas sont trouvés chez les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, et 46 % chez des personnes séropositives au VIH. La syphilis n’est pas aussi gênante que la gonorrhée qui pose des problèmes de résistances aux antibiotiques. Cependant, beaucoup de pays ont des ruptures d’approvisionnement en pénicilline qui guérit la syphilis. En cause, des circuits d’approvisionnement très fragiles.

Pour la gonococcie, l’apparition de résistances aux antibiotiques inquiète les chercheurs-euses et oblige à s’intéresser à la recherche de nouveaux traitements. La gonococcie peut être rectale (anus), pharyngée (gorge) ou génitale (sexe). L’antibiotique de première ligne est la ceftriaxone, sinon on utilise l’azithromycine. Plusieurs pays ont rapporté plus de 5 % de souches résistantes à l’un ou l’autre de ces antibiotiques. Un protocole en cours évalue le bain de bouche quotidien, avec un antibiotique local pour prévenir la gonococcie. De nouveaux antibiotiques sont également en cours d’études (zoliflodacine, gepotidacine). La vaccination contre le gonocoque semble difficile, mais il y a des anticorps croisés avec le vaccin du méningocoque B : les personnes ayant été vaccinées contre ce méningocoque sont moins souvent atteintes par le gonocoque. Un nouveau vaccin anti-méningocoque plus adapté pourrait protéger contre la gonococcie.

Dans l’essai de Prep français Ipergay, une sous-étude de traitement post-exposition (TPE) par la doxycycline avait protégé partiellement contre la syphilis et la chlamydiae mais pas contre la gonorrhée ! Cette stratégie pose des problèmes de risque de résistances à long terme et d’effets indésirables comme la prise de poids et des atteintes de la flore microbienne. Mais quant à une éventuelle menace des IST dans la quête de la fin de l’épidémie du VIH, rien de nouveau dans l’air, en dehors d’une vigilance accrue. Car aucune des études recensées n’indique que la montée de ces autres infections peut nuire à l’efficacité des outils disponibles, comme la Prep ou le Tasp.

Cocorico : succès d'un kit de dépistage par auto-prélèvement

L’étude française « Mémo-dépistage » (ou Remind) se compose d’un kit multi-infections, envoyé à domicile, pour permettre le dépistage des IST et du VIH à des hommes gays ou hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes qui s’estiment, eux-mêmes, à risque. Elle cherche également à déterminer les préférences quant à l’annonce des résultats positifs aux personnes. L’étude a présenté les premiers résultats post-entrée des participants d’Île-de-France dans l’étude. Plus de 2 000 participants ont reçu un kit, près de 60 % l'ont renvoyé et parmi ces 60 %, 97 % des kits étaient complets, c'est-à-dire avec les 4 prélèvements nécessaires à leur analyse. La moitié des participants seulement s’était auparavant dépistée au VIH dans l’année précédente ; 1,3 % ont été dépistés positifs grâce à Remind, 1,7 % pour la syphilis et 0,5 % pour le VHC. 11,7 % étaient positifs à la gonorrhée ou à la chlamydia sur, au moins, un des sites anatomiques de prélèvement. Le mode de notification préféré d’une IST était d’être appelé par téléphone ou contacté par SMS, et non par un rendez-vous médical.

Éteindre l’incendie ou (bien) vieillir avec le VIH

Au départ, l’inflammation est une réaction de l’organisme pour se protéger, se défendre des intrusions étrangères, mais peut entraîner des réponses néfastes pour l’organisme. Ce double tranchant est l’objet de la deuxième présentation plénière du mardi matin. Car les signes d’inflammation chronique dans l’organisme sont souvent associés à plus de mortalité chez les personnes vivant avec le VIH et avec des comorbidités non transmissibles (diabète, maladie cardio-vasculaire, etc.). Elle pose des questions thérapeutiques également, car on ne sait pas comment la maitriser. L’inflammation accélère la progression du VIH vers le sida, en absence d’antirétroviraux. Et elle empêche une bonne restauration des cellules immunitaires CD4. Pas moins de 73 % des personnes séropositives au VIH auront plus de 50 ans en 2030 et seront confrontées à des maladies, en lien avec l’inflammation immunitaire résiduelle, malgré les traitements. Et les effets de cette inflammation seraient plus marqués chez les femmes.

Le degré d’inflammation résiduel est d’autant plus grand que le taux de CD4 au début du traitement est bas (nadir), d’où l’intérêt d’un dépistage précoce. L’inflammation peut même être bloquée chez des personnes dépistées et traitées dès la primo-infection. Le cytomégalovirus (CMV) est un virus qui pourrait expliquer l’inflammation. Un de ses inhibiteurs, le valganciclovir, pourrait la réduire, mais c’est une molécule assez toxique pour l’organisme, donc d’autres molécules sont à l’étude. Autre piste, la modification de la composition du microbiote chez les personnes vivant avec le VIH, qui pourrait être à l’origine de l’inflammation. Voici donc une idée pour de nouvelles stratégies thérapeutiques pour restaurer un microbiote tel qu’il était avant l’infection par le VIH. À l’avenir, des molécules modifiant les médiateurs (transmetteurs) de l’inflammation pourraient représenter des futures interventions thérapeutiques, mais il reste beaucoup à faire avant d’identifier les médiateurs les plus pertinents. Les statines, elles aussi, semblent avoir un intérêt pour réduire l’inflammation. Mais le champ est immense et les zones d’ombres encore nombreuses.

Point of care pour un meilleur suivi en Afrique du Sud

Un point of care est un lieu hybride, disposant de matériel de laboratoire facilement utilisable et plus facile à mettre en place que des structures hospitalières. Par exemple, une charge virale faite à l’hôpital peut être longue et difficile à obtenir, notamment dans les pays du Sud. Certaines machines type GeneXpert peuvent être déplacées dans ces plus petites structures et les tests réalisés par des infirmières. Une étude a comparé 39 personnes vivant avec le VIH réparties soit dans un suivi classique à l’hôpital, soit dans un suivi dans des structures communautaires avec point of care. L’étude a montré une supériorité du suivi en point of care évalué par la proportion de personnes avec une charge virale indétectable. En effet, on a les résultats le jour même dans un point of care, alors qu’il faut 28 jours à l’hôpital, ce qui motive les personnes. Le maintien dans le soin était également meilleur. En cas d’échec, les points of care permettent de changer de traitement beaucoup plus vite. Le coût de la charge virale est également moins élevé d’environ 15 %.

L’incitation au dépistage par l’argent ?

En Afrique du Sud et dans ses zones rurales, cela fonctionne. Dans ces lieux où l’incidence (nouvelles contaminations) reste élevée, en particulier chez les jeunes femmes, beaucoup de personnes, notamment des hommes, ne connaissent pas leur statut. Une double intervention a été lancé, fondée d’une part sur l’incitation au dépistage à domicile, avec une proposition de dédommagement pour se dépister et aussi si les personnes diagnostiquées se rendent ensuite à leur rendez-vous à l’hôpital. Elles peuvent également bénéficier d’un entretien de counseling. Près de 45 villages ont été répartis pour l’étude de l’impact d’une incitation financière et d’un counseling, ou de la seule incitation financière, ou du seul counseling, ou d’aucune de ces deux propositions. Après analyse des résultats, on observe un effet probant des incitations financières avec une hausse de 50 % du recours au dépistage, mais pas d’effet du counseling.  Ces résultats doivent s’interpréter dans un contexte de zones pauvres, où la précarité des habitants est un facteur majeur.

(1) : Le HLA (pour human leukocyte antigen) est le groupe de marqueurs génétiques de la compatibilité tissulaire humaine. Il est distinct des groupes sanguins, systèmes de molécules exprimées sur les globules rouges. Le système HLA est ce qui permet au système immunitaire, c'est-à-dire aux globules blancs, de distinguer ses propres tissus de ce qu’il considère comme étranger, c'est-à-dire les virus, bactéries… Pour qu’une greffe classique prenne, et éviter le rejet entre la moelle du donneur et l’organisme du receveur, il est préférable de trouver la plus grande compatibilité HLA possible.