Haine en ligne : une loi controversée

Publié par jfl-seronet le 22.05.2020
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Politiquehaine en ligne

Au terme d'un long parcours chaotique, le Parlement a finalement adopté mercredi 13 mai, via un ultime vote de l'Assemblée nationale, la proposition de loi de la députée Laetitia Avia (LREM) visant à « mettre fin à l'impunité » de la « haine en ligne » (propos racistes, homophobes, antisémites, etc.), un phénomène qui reste très fort. Dès son origine, ce texte a fait l'objet de critiques de tous bords, y compris d'une bonne part de la société civile. Et c'est toujours le cas. Le texte a été adopté alors qu'une enquête de Mediapart met en cause l'auteure du texte pour des propos homophobes. L'intéressée dément et a annoncé porté plainte contre le média.

Une bonne part des députés-es LREM considèrent depuis longtemps que les contenus haineux sont trop présents sur la toile et le phénomène semble d'ailleurs s'accélérer. Du coup, la majorité a soutenu une proposition de loi, défendue par la députée LREM de Paris Laetitia Avia. Sur le modèle de la loi allemande, plateformes et moteurs de recherche ont l'obligation de retirer sous 24 heures les contenus « manifestement » illicites, sous peine d'être condamnés à des amendes jusqu'à 1,25 million d'euros. Sont visées les incitations à la haine, la violence, les injures à caractère raciste ou encore religieuses. Lors des débats parlementaires, le Sénat, dominé par l'opposition de droite, s'est opposé à cette mesure phare. « Pas question de confier la police de notre liberté d'expression aux Gafa" (Google, Amazon, Facebook et Apple), expliquait alors le chef de file des sénateurs-rices LR, le sénateur Bruno Retailleau. Les députés-es de droite n'ont d'ailleurs pas voté la proposition de loi. Car, comme la indiqué à l'AFP, leur patron, le député Damien Abad, le parti juge que « les risques de sur-censure trop importants ». « Tout le monde est d'accord pour lutter contre la haine en ligne, mais le dispositif est mal conçu », a défendu le député. Une saisine du Conseil constitutionnel se profile à droite. Les parlementaires de gauche, de la France Insoumise, du PCF et d'extrême droite s'élèvent également contre un risque de « censure automatique ».

Dans l’hémicycle, des députés-es de tous bords ont dénoncé une atteinte à la liberté d’expression ; certains-es ont dit leur inquiétude à l’idée de laisser la police juger si un contenu doit être censuré ou non. En introduisant un délit de non-retrait et en créant un parquet dédié, « la proposition de loi rajoute du juge », a répliqué Nicole Belloubet. « Pendant ces deux mois (de confinement), la haine a augmenté sur fond de complotisme, d’antisémitisme, de xénophobie et d’homophobie. Ce fléau a contribué à renforcer le sentiment d’isolement de certaines victimes, tandis que les auteurs de ces contenus haineux se sentaient toujours, et plus que jamais, intouchables », a déclaré, dans l’hémicycle, le secrétaire d’Etat chargé du Numérique, Cédric O. La ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a elle aussi émis le souhait que ce texte, qui inquiète les défenseurs des libertés individuelles, contribue à faire ralentir le débit du flot de haine en ligne. « Quiconque sait qu’il devra, avec une probabilité élevée, répondre de ses actes, réfléchit bien souvent à deux fois avant de franchir la ligne rouge », a-t-elle dit.

Dans le droit fil de l'engagement d'Emmanuel Macron depuis 2018 à renforcer la lutte contre la haine raciste et antisémite qui prospère sur internet, la proposition de loi a entamé son parcours parlementaire en avril 2019, puis a été assez largement remaniée, au gré des critiques ou observations qui n'ont pas manqué, jusqu'à la Commission européenne qui demandait un meilleur ciblage des contenus incriminés. La proposition de loi a suscité de nombreuses réserves, notamment du Conseil national du numérique, de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, ou encore de la Quadrature du Net, qui défend les libertés individuelles dans le monde du numérique. Evidemment, du côté du gouvernement, on parle d'un texte dont l'équilibre serait « atteint » entre liberté d'expression et « efficacité », note l'AFP. Les grandes entreprises du numérique affichent leur soutien au renforcement de la lutte contre la haine en ligne, mais l'obligation de retrait inquiète. Car elle obligera les plateformes à décider très rapidement, au risque d'une cascade de polémiques et conflits juridiques, estiment-elles.

Au-delà, le texte prévoit une série de nouvelles contraintes pour les plateformes : transparence sur les moyens mis en oeuvre et les résultats obtenus, coopération renforcée notamment avec la justice, surcroît d'attention aux mineurs-es. Il prévoit aussi de simplifier les procédures de signalement des contenus haineux via l’instauration d’un bouton unique. Sont aussi annoncés la création d’un parquet numérique spécialisé et d’un observatoire de la haine en ligne. Le tout sera contrôlé par le Conseil supérieur de l'audiovisuel.

Le vote est intervenu alors que Laetitia Avia est mise en cause par Mediapart pour des « humiliations à répétition » et des « propos à connotation sexiste, homophobe et raciste », à l'encontre de cinq ex-collaborateurs-rices parlementaires. L'élue de Paris, avocate de profession, dénonce des « allégations mensongères ». Elle a indiqué qu'elle allait déposer plainte pour diffamation. « Pour une large partie, ces obligations seront inapplicables et inutiles », a estimé lundi 11 mai dans un communiqué l’association de défense des libertés individuelles sur Internet, Quadrature du Net (QDN), pour qui le législateur aurait dû cibler « le modèle économique des géants du Web ». La QDN juge en outre « irréaliste » le retrait en une heure de certains contenus.

 

Loi Avia : des risques pour la prévention et les TDS ?

Dans un communiqué (13 mai), publié en amont du vote de la proposition de loi Avia, des associations (AIDES, Autres regards, Bus des femmes, Cabiria, Grisélidis, Médecins du Monde et Strass) expliquent que la « prévention et la réduction des risques sur internet » vont être « mises en danger par la proposition de loi Avia ». C’est l’article 1 qui inquiète ces associations. « Cet article prévoit l’obligation pour les opérateurs de plateforme en ligne, donc notamment les réseaux sociaux et les moteurs de recherche, de « retirer ou rendre inaccessible dans un délai de 24 heures après notification par une ou plusieurs personnes tout contenu […] à caractère pornographique susceptible d’être exposé à la vue des mineurs-res ». « Sans juger de l’intention du législateur, s’il était adopté, cet article rendrait quasiment impossible toutes les campagnes de prévention et de réduction des risques. En effet, la censure d’un contenu en 24 heures sera faite par application d’algorithmes élaborés par des plateformes généralement états-uniennes qui n’ont pas la même culture et donc la même interprétation de ce qui peut être considéré comme pornographique. Ainsi les termes « sexe », « relations sexuelles » ou « santé sexuelle » ou encore des démonstrations de pose de préservatif pourraient être censurés », avancent les associations. « Nos structures font de la prévention, de l’éducation à la sexualité et de la réduction des risques sur internet. Les contenus de prévention pourraient avec cet amendement être censurés. Devrons-nous utiliser des périphrases et expressions incompréhensibles, telles que « relations type amour charnel » ou « travailleuses de nuit », pour éviter la censure ? Les conséquences de cet amendement iraient bien au-delà de la lutte contre les contenus à caractère pornographique visés par la proposition », ont prévenu les associations. 
Autre grief, cette disposition va conduire à une « censure accrue de comptes professionnels, militants ou personnels de travailleuses-eurs du sexe sur internet. La censure de contenus considérés comme pornographiques car ils sont à caractère explicitement sexuel va invisibiliser les travailleuses-eurs du sexe dans l’espace numérique. Cela va rendre encore plus difficile le travail des associations de santé qui entrent en contact avec elles. La censure sur internet est le pendant de la pénalisation du racolage public. La quasi-totalité des associations travaillant avec les travailleuses-eurs du sexe s’étaient battues contre cette pénalisation qui les éloignait des espaces visibles et donc aussi des structures de santé, d’accès aux soins et d’accès aux droits. Invisibiliser les travailleuses-eurs du sexe sur internet aura les mêmes conséquences », analysent les associations. Ces critiques et mises en garde ne sont pas nouvelles ; elles ont été portées lors des différentes étapes du débat sur la loi, mais les auteurs-rices du texte n’en ont pas tenu compte.



Homophobie, racisme : la députée Laetitia Avia mise en cause
Alors qu'elle devait finir de porter « son » texte contre la haine en ligne devant l'Assemblée nationale, la députée LREM Laetitia Avia s'est retrouvée dans la tourmente après avoir été mise cause par Mediapart pour des propos jugés sexistes, homophobes et racistes à l'encontre de plusieurs anciens-nes collaborateurs-rices. L'élue de Paris, également porte-parole de La République en Marche, a annoncé qu'elle allait porter plainte en diffamation, parlant « d'accusations mensongères » et de « manipulation », indique l'AFP. L'enquête concernant la députée a été publiée mardi 12 mai, la veille du vote ultime de la proposition de loi. Dans l'enquête de Mediapart, la députée est accusée de propos sexistes, racistes ou homophobes comme lorsqu'elle aurait écrit en 2018 après le vote d'un amendement LGBT : « On a voté l'amendement des PD », dans un échange copié par une capture d'écran reproduit par Mediapart. Sont également évoqués des moqueries sur le physique, la tenue vestimentaire de militantes ou d'une élue ou des humiliations, harcèlements et abus de pouvoir sur ses collaborateurs-rices. La députée a dénoncé un « acharnement » qui, a-t-elle dit, « conduit à publier des accusations mensongères et incohérentes à la veille du vote final de la #PPLCyberhaine. Ce n'est pas un hasard ». « Je n'ai jamais été raciste ou homophobe. Au contraire, mon parcours politique n'a pour raison d'être que la lutte contre le racisme et toutes les discriminations », se défend-elle évoquant « des bouts de messages privés (...) tronqués, détournés et décontextualisés ». « Nous allons porter plainte contre le journaliste de Mediapart dans les prochains jours », a précisé son avocat Me Basile Ader.

 

Commentaires

Portrait de jl06

 Pas lu le texe ..... mais tout se qui découlle des réseaux je fui ,

la cyberhaine arrange aussi ,permet un défoulement à la petite semaine pour les puissansts, comme pour les pauvres ! 

les pauvres s,imagines être puissants ....et cela arranges les puissants ....les jounalistes les premiers se régale .....quelle misére !

bref le nouvel opium bon marcher 

Portrait de Ronnie

Bien que pouvant être la cible de propos haineux en raison de mon orientation sexuelle, je ne soutiens en aucun cas une loi pour censurer la liberté d'expression. Je ne reconnais aucune légitimité à une instance "supérieure" de juger de l'acceptabilité d'un propos. C'est la porte ouverte à toutes les dérives totalitaires.