Handicap et ressources : l’APF dénonce le gouvernement et lui renonce

Publié par jfl-seronet le 08.11.2015
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Droit et socialressources handicapAAH

Vivre sous le seuil de pauvreté ! C’est une "situation inadmissible que vivent des millions de citoyens. Et une double peine quand, en plus, on est en situation de handicap ou atteint de maladie invalidante", expliquait dans un récent communiqué l’Association des paralysés de France (APF). Mais ce qui avait mis tout spécialement l’association en colère, c’était une nouvelle décision du gouvernement dans le cadre du projet de loi de finances 2016 (PLF 2016) qui mettrait "plus de 200 000 personnes en situation de handicap vivant dans cette précarité" dans la situation de perdre des ressources… de 105 à 179 euros par mois ! L’APF a eu raison de monter au front : la mesure vient d’être retirée. Explications.

Annoncée, critiquée, retirée. Telle est le destin de la mesure fiscale envisagée par le gouvernement dans le cadre du projet de loi de finances 2016 concernant l’AAH. Une mesure très controversée. A l’Assemblée nationale, la secrétaire d'Etat aux Personnes handicapées, Ségolène Neuville a finalement assuré, début novembre, que le gouvernement avait entendu les "inquiétudes des associations, des familles, des personnes handicapées mais aussi des parlementaires". Par conséquent, il a été "décidé de ne pas appliquer cette mesure (sur le mode de calcul de l'AAH) en l'état, au regard de son impact sur les ressources des personnes concernées", a-t-elle déclaré à l'occasion de l'examen du volet du budget sur la solidarité et l'insertion.

Le projet de budget 2016 prévoyait de prendre en compte à partir de 2016 dans le calcul de l'AAH les intérêts non imposables des comptes d'épargne, tels que le livret A, dans le cadre d'un processus d'harmonisation entre minimas sociaux. Du côté des associations, on avait fait les calculs et démontré l’injustice de la mesure.

Une bronca des associations

"Pour une poignée d’euros issus des intérêts sur livret (maximum 205 euros par an), le gouvernement est-il prêt à sacrifier des centaines de milliers de personnes en situation de handicap parmi les plus vulnérables ?" Cette question, l’APF l’avait d’emblée posée au gouvernement suite à sa décision. L’APF estimait que si les deux mesures envisagées étaient adoptées, elles viendraient "aggraver considérablement les conditions de vie déjà précaires de plusieurs centaines de milliers de citoyens en situation de handicap."

"La première mesure impactera directement la possibilité pour les bénéficiaires de l’allocation adulte handicapé (AAH) de se voir octroyer des compléments de ressources pourtant indispensables à leurs besoins essentiels", dénonçait l’APF. "Le gouvernement a, en effet, inscrit la prise en compte des intérêts des livrets non soumis à l’imposition (livret A, livrets d’épargne populaire, livret jeune, PEL, CEL…) dans le calcul des ressources des bénéficiaires de l’allocation adulte handicapé (AAH)." Ce nouveau mode de calcul aurait eu pour résultat, pour ces personnes, "l’exclusion de droits connexes : complément de ressources et majoration pour la vie autonome" (1).

Voilà, selon les calculs de l’APF, ce qui se serait passer : "Pour 205 euros par an maximum tirés des intérêts de leurs livrets, les personnes vont perdre entre 1 257 euros et 2 151 euros par an, sommes indispensables à leur "survie" alors que leur allocation est déjà inférieure au seuil de pauvreté ! Une mesure totalement inacceptable et indécente qui s’attaque aux ressources des plus démunis", dénonçait alors l’APF.

Mais ce n’était pas tout, une deuxième mesure était prévue : "L’intégration du patrimoine et du critère de loyer excessif dans les critères d’éligibilité de l’aide personnalisée au logement (APL). Une mesure d’économie déshumanisée prise sans mesurer l’impact sur les populations fragilisées, telles que de nombreuses personnes en situation de handicap, bénéficiaires d’une AAH, d’une petite pension d’invalidité ou du RSA", expliquait l’APF. "La baisse ou le retrait de l’APL ajouterait une énième diminution du pouvoir d’achat, au risque de faire basculer ces personnes dans une précarité plus grande".

Ces deux mesures avaient conduit l’Association des paralysés de France à lancer une pétition afin que le gouvernement recule sur ces deux mesures. "Ensemble, disons : "Stop à l’indécence ! "Aidez-nous à demander au gouvernement la suppression de ces mesures qui mettent en péril des centaines de milliers de personnes en situation de handicap et à travers elles notre modèle social, en signant cette pétition !", indiquait l’APF.

"Résultat de la mobilisation des associations"

Interpellés, notamment par l’APF, des parlementaires ont réagi. Les députés socialistes, les écologistes et ceux de l’UDI ont appelé le 3 novembre le gouvernement à revoir sa copie. "Dans le cadre de la mission qui lui a été confiée sur les minimas sociaux par le Premier ministre, (le député PS) Christophe Sirugue devra nous faire des propositions sur la simplification des minimas sociaux dans leur globalité", a précisé Colette Neuville, après l’annonce du retrait des mesures dénoncées. "Cette recette (issue des livrets d'épargne) est une recette (fiscale) de poche qui est illusoire, qui est vexatoire, blessante pour les familles", avait estimé (3 novembre) le député Olivier Faure, vice-président du groupe PS, relayant la demande de révision du dispositif de ses collègues. La coprésidente des députés écologistes, Barbara Pompili, avait jugé, de son côté, que "faire comme si c'était un minimum social comme les autres est une grave erreur, car c'est une allocation pour compenser un handicap". Le président du groupe UDI Philippe Vigier avait écrit au Premier ministre pour dénoncer un "racket" sur les bénéficiaires de l'AAH et appeler le gouvernement "à se ressaisir". Le gouvernement n’en finissait pas de ramer pour défendre des mesures critiquées de toutes parts. Il a fini par renoncer.

(1) :  L’AAH = 807euros ; seuil de pauvreté évalué par l’Insee = 987€ ; le complément de ressources = 179,31 € par mois (a pour objectif de compenser l'absence durable de revenus d'activité des personnes handicapées dans l'incapacité de travailler) ; la majoration pour la vie autonome (MVA) = 104,77 € par mois (permet aux personnes en situation de handicap vivant dans un logement de faire face aux dépenses que cela implique).