Hépatites virales : le Rapport d’experts 2014 est sorti !

Publié par jfl-seronet le 19.05.2014
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Thérapeutiquehépatitesvhcvhb

Le 19 mai, l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS) et l’Association française pour l’étude du foie (AFEF) ont présenté, au ministère de la Santé, le rapport sur la Prise en charge des personnes infectées par les virus de l’hépatite B et C. Le Rapport Dhumeaux (du nom du professeur qui l’a coordonné) comporte un ensemble de 180 recommandations. Seronet y était.

"Ce n’était pas gagné d’avance, mais nous avons tenu à ce qu’il soit fait dans ce cadre", explique le professeur Jean-François Delfraissy, le patron de l’ANRS, à propos du rapport à couverture bleu présenté au public le 19 mai. On comprend, à demi-mots, qu’il a fallu batailler pour qu’un tel rapport aussi ambitieux (pas loin de 500 pages), bâti comme les rapports d’experts sur le VIH/sida (médecins, chercheurs, experts associatifs) prenant en compte la prise en charge globale puisse voir le jour. Ce rapport, le premier du genre, dresse un état des lieux global des épidémies de VHC (hépatite C) et VHB (hépatite B) et émet surtout des recommandations. Il tombe à pic au moment même où les traitements connaissent une révolution.

Des chiffres pour un constat

On estime a environ 500 000 le nombre de personnes infectées par les virus de l’hépatite B et l’hépatite C. "300 000 personnes par le VIH et 200 000 par le VHC", précise le professeur Daniel Dhumeaux, coordinateur du Rapport d’experts hépatites 2014. Par ailleurs, entre 220 000 et 250 000 personnes resteraient à dépister, sous-entendu ignoreraient qu’elles sont atteintes par une hépatite virale. C’est manifestement un enjeu pour Daniel Dhumeaux qui estime qu’"aucune prise de décision ne peut être envisagée sans une connaissance épidémiologique" fine de ce qui se passe. Logiquement, le rapport Dhumeaux préconise donc une actualisation des données épidémiologiques, une actualisation qui soit régulière et qui concerne l’ensemble des territoires, notamment ceux d’Outre-mer. C’est d’autant plus nécessaire de connaitre avec précision ces chiffres que les hépatites virales constituent une question majeure de santé publique : le VHB et le VHC sont responsables d’environ 4 000 décès chaque année.

Paroles de ministre

En déplacement à Genève pour une intervention devant l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, a néanmoins publié une intervention sur les conclusions du rapport qui lui ont été présentées il y a quelques jours. La ministre retient quatre grands enjeux : les actions de prévention et de dépistage, les avancées thérapeutiques, les publics prioritaires et le maintien d’une recherche d’excellence. Pas grand-chose de précis sur le dernier point dans l’intervention ministérielle. Sur les "publics prioritaires", la ministre indique qu’il est "primordial d’intensifier [le] combat contre les inégalités sociales et territoriales en ciblant trois populations les plus exposées : les usagers de drogues, les migrants, les personnes détenues".

Dépistage, avancées et recommandations

A l’instar de la lutte contre le VIH, un des grands axes à développer est celui du dépistage. Selon les dernières données épidémiologiques, environ la moitié des 300 000 personnes atteintes d’hépatite B et un tiers des 200 000 personnes atteintes d’hépatite C ignorent encore leur statut sérologique, notent l’ANRS et l’AFEF dans un communiqué (19 mai). La principale recommandation du rapport est celle de "l’élargissement" de l’offre de dépistage. "On peut largement améliorer le dépistage", avance Daniel Dhumeaux. L’idée est de simplifier les éléments qui, dans le parcours des personnes qui viennent consulter des médecins généralistes, incitent ces derniers à préconiser un dépistage du VHB et du VHC. On peut citer la consommation de drogues (même une unique fois), d’avoir séjourné longuement dans un pays ou une région où les hépatites virales sont endémiques, le multipartenariat, etc.

De façon générale, le rapport préconise d’élargir le dépistage aux hommes âgés de 18 à 60 ans et aux femmes enceintes dès la première consultation prénatale à deux mois de grossesse), en couplant le dépistage du VHB et du VHC à celui du VIH. Le rapport défend aussi les TROD (tests à résultat rapide d’orientation diagnostique). "L’utilisation de tests d’orientation diagnostique (TROD), qui favorisent le dépistage des populations ne fréquentant pas (ou peu) les structures médicales classiques, doit être encouragée", rappellent l’ARNS et l’AFEF dans leur communiqué. Les TROD sont une "avancée considérable", note Daniel Dhumeaux qui a expliqué lors de la conférence de presse que la "HAS [Haute autorité de santé] a validé il y a trois jours les TROD pour le VHC et que les TROD pour le VHB vont arriver". Dans son intervention, la ministre de la Santé explique vouloir "développer l’usage des tests rapides hépatites en les combinant avec ceux qui existent déjà pour le VIH".

Le juste prix !

Comme on pouvait logiquement s’y attendre, la question du coût des nouveaux traitements a été abordée. "Des coûts exorbitants", juge Daniel Dhumeaux. "Tous les nouveaux médicaments ont des coûts importants", rappelle Jean-François Delfraissy de l’ANRS, qui explique vivre un "paradoxe". "Ce que nous avons rêvé d’avoir [avoir des traitements efficaces qui permettent une guérison de l’infection], nous l’avons aujourd’hui. Nous avons les traitements qui permettent d’éradiquer le virus en quelques mois, certes avec quelques effets indésirables, mais dont le coût est important. Nous sommes dans un moment post ATU [autorisation temporaire d’utilisation] ; nous n’avons pas les prix [définitifs, ceux de l’AMM, autorisation de mise sur le marché], mais si on cite une estimation le coût serait de 50 000 euros pour un traitement de trois mois et de 70 000 à  80 000 euros pour un traitement avec deux molécules".

Comme l’a d’ailleurs rappelé Jean-François Delfraissy, l’OMS estime que le coût de fabrication de ces traitements n’est que de quelques centaines de dollars. Se pose alors la question du différentiel entre le coût de fabrication et le prix de vente des traitements. Ce différentiel "se justifie par le travail de recherche, les financements investis dans le développement de ces traitements", indique le patron de l’ANRS. Reste que ce décalage lui pose "question". Selon lui, cette affaire pose la question du juste coût du médicament, du "juste prix de ces molécules efficaces". Ce débat est porté en France comme en Europe. L’ANRS dit d’ailleurs y travailler. Pour bien comprendre les enjeux, les experts avancent qu’idéalement il faut traiter tout le monde, parce que les traitements marchent, qu’ils permettent de guérir de l’infection et qu’on peut donc envisager une éradication du VHC. Aujourd’hui, nous sommes dans l’incapacité de le faire du fait des coûts. Les traitements doivent donc être prioritairement destinés, sur 2014 et 2015, aux personnes dont l’état de santé ne leur permet plus de différer un traitement, les autres doivent attendre. "Nous allons nous retrouver dans une situation où pour la première fois on pourrait refuser un traitement qui marche à des personnes malades… parce que leur maladie n’est pas assez sévère", explique le professeur Victor de Lédinghen, secrétaire de l’AFEF. Evidemment, la décision sur les coûts est politique et la ministre dans son intervention écrite ne s’y attarde pas : "Des traitements innovants efficaces voient le jour. Je pense évidemment aux nouvelles thérapies contre les hépatites C, dont l’impact financier — qu’il s’agit de maîtriser — et organisationnel sera essentiel".

Des recommandations : quel calendrier ?

Il n’y a pas de calendrier arrêté sur la mise en place des mesures préconisées. Daniel Dhumeaux se veut confiant et pense que la ministre Touraine va y mettre les moyens. Du côté du ministère on joue la carte habituelle : le comité de suivi. "Je confie à la direction générale de la santé, en association étroite avec l’ANRS, le soin de former un comité de suivi qui assurera la mise en œuvre concrète de ces recommandations", indique l’intervention de la ministre. Ça suffit à rassurer le professeur Dhumeaux qui y voit le signe d’une volonté politique… On s’en voudrait de doucher l’enthousiasme, mais le bilan très mitigé du plan national de lutte contre les hépatites qui s’est achevé en 2012 (non reconduit du reste) qui avait son comité de suivi… présidé par Daniel Dhumeaux… a montré les limites du dispositif. On peut d’ailleurs voir dans les nouvelles préconisations et recommandations du Rapport d’experts hépatites 2014 le bilan des échecs du précédent plan. On peut aussi constater que la tache à accomplir est immense et sans moyens dédiés (ne serait-ce qu’humains), on voit mal comment cela sera possible. Prenons l’exemple du dépistage. Outre le TROD (dans un avenir proche) et sans doute les autotests (dans un avenir plus lointain), la politique de dépistage va principalement reposer sur les médecins généralistes. "C’est sur cela qu’il faut notamment travailler", affirme Victor de Lédinghen de l’AFEF. "C’est là l’enjeu : l’amélioration du dépistage ne viendra que par les généralistes". Problème, ils se mobilisent peu car ils ont "déjà beaucoup à faire dans différents domaines". On pourrait alors réfléchir à une rémunération dans le cadre d’un contrat d’objectifs de santé publique. Contre rémunération, le généraliste serait pro-actif sur la question du dépistage des  hépatites… Reste alors la question du financement de ce dispositif. La ministre ne donne aucun chiffre dans son intervention. On verra dans quels délais est constitué le comité de suivi, les objectifs qui lui sont assignés et si la DGS donne un calendrier des mesures qu’elle entend mettre en œuvre. La ministre conclut ainsi son intervention : "Nouvelles recommandations, nouvelles thérapies, nouvelle organisation des soins : cette journée [19 mai] marque notre détermination dans le combat que nous menons contre les hépatites".

Nouveaux traitements anti-VHC : un effet préventif ?
Les nouvelles antiprotéases anti-VHC ont-elles, comme on le sait aujourd’hui à propos des médicaments anti-VIH, un effet préventif, c’est-à-dire : est-ce que la prise de ces nouveaux traitements peut éviter la transmission du VHC. C’est ce qu’a demandé Charles Roncier (vih.org), très bonne question alors que les experts ne parlent que de guérison et d’une éventuelle éradication du VHC. "Aucune étude à ce jour n’a porté, ni ne porte sur l’utilisation préventive des molécules anti-VHC", a expliqué le professeur Victor de Lédinghen (AFEF). "Cela n’a pas été étudié, on ne peut donc pas répondre à cette question". Un groupe de travail va s’y atteler à l’ANRS, a, en revanche, précisé Jean-François Delfraissy. L’ANRS compte monter un projet dans ce sens chez les personnes consommatrices de drogues par injection.

Où trouver le rapport hépatites 2014 ?
Le premier rapport de recommandations sur la prise en charge des patients infectés par les virus de l’hépatite B ou C a été rendu public le 19 mai 2014, à l’occasion de la Journée nationale de lutte contre les hépatites virales. Consulter le rapport en ligne.