Hôtel-Dieu et VIH : pour AIDES, l’intérêt des malades d’abord !

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Dossier chaud, le projet de nouvel Hôtel-Dieu, l’établissement historique de l’AP-HP, fait parler et mobilise. Le nouveau directeur général de l’AP-HP, Martin Hirsch, a fait (4 décembre) des annonces pour déminer le terrain. De son côté, AIDES réfléchit et travaille depuis de longs mois sur cette réorganisation qui se veut innovante afin que celle-ci se fasse au mieux des intérêts des personnes vivant avec le VIH et co-infectées qui y sont suivies et à celles qui s’y présentent pour un traitement post-exposition.

C’est un document officiel daté du 4 décembre ; son titre :"Point sur l’évolution de l’Hôtel-Dieu". On y évoque les "nombreux échanges" que le nouveau directeur général de l’AP-HP (Assistance Publique-Hôpitaux de Paris), Martin Hirsch, a eu pour "faire évoluer la situation de l’Hôtel Dieu afin que chacun puisse y travailler de manière sereine". Bel euphémisme, il s’agit plutôt d’éteindre un incendie tel, qu’il a sans doute précipité l’éviction de l’ex-directrice générale de l’AP-HP Mireille Faugère. Il faut reconnaître que le dossier est complexe techniquement et économiquement et politiquement sensible surtout dans le contexte des élections municipales de mars 2014. Ces derniers mois ont donc été émaillés de sorties diverses émanant de médecins, d’élus locaux de la majorité comme de l’opposition, de militants de la lutte contre le sida, de représentants des malades, de syndicats, de la ministre de la Santé, etc. Tout et son contraire a été dit et souvent sans la moindre nuance. Le document de la nouvelle direction de l’AP-HP n’entend pas tout régler dans l’immédiat, mais pose des jalons et relance une méthode à même d’atténuer les tensions. Côté méthode, il est proposé au directeur du SAMU de Paris, le professeur Carli, et au professeur Riou, chef de service d’accueil des urgences (SAU) de la Pitié-Salpêtrière de "s’impliquer directement dans la recherche de solutions immédiates, permettant de prendre en compte l’intérêt des patients". Autrement dit : il s’agit de trouver une réponse à la demande d’une offre concernant les urgences à l’Hôtel-Dieu. En attendant, des décisions techniques ont d’ores et déjà été prises. Le document du directeur général revient également sur le projet Hôtel-Dieu et "l’ambition médicale" et donne des informations clefs : le siège de l’AP-HP ne s’installera pas dans les locaux de l’Hôtel-Dieu (l’hôpital restera bien un hôpital), le projet aura une nouvelle méthodologie (plus participative, meilleure association des partenaires sociaux, etc.), les transferts déjà faits sont maintenus (certaines spécialités sont installées à l’hôpital Cochin)… Voilà de quoi partir sur de nouvelles bases…

Hôtel-Dieu : AIDES y travaille !

De nouvelles bases, AIDES y travaille également. Des militants de l’association y sont investis depuis 2010 dans l’accompagnement régulier de personnes vivant avec le VIH à travers un programme d’Education thérapeutique du patient (ETP), dans des consultations en binôme avec le personnel soignant et dans le cadre d’ateliers collectifs. 1 400 personnes vivant avec le VIH sont suivies à l’Hôtel-Dieu. Par ailleurs, par sa position centrale et unique dans Paris, le service d’urgence de l’Hôtel-Dieu est, avec environ 500 délivrances de TPE (traitement post-exposition) par an, un des tous premiers centres mondiaux de distribution de TPE (dit aussi "traitement d’urgence"). Des raisons qui ont conduit l’association à travailler depuis de longs mois sur ce projet et qui l’amènent aujourd’hui encore à rester particulièrement vigilante sur le maintien la qualité de la prise en charge des personnes vivant avec le VIH dans cet établissement. Ainsi au printemps 2013, l’association est intervenue directement auprès de l’AP-HP pour que soit maintenu l’accès à l’examen d'un test d’effort assorti au suivi cardiovasculaire pour les séropositifs, alors que sa suppression était engagée. Cette surveillance se fait sans ignorer les opportunités d’amélioration et l’adaptation de cette prise en charge aux besoins évolutifs des séropositifs. Cette position concerne toute restructuration hospitalière (voir encart en fin d’article) et tout particulièrement l’Hôtel-Dieu… le dossier chaud du moment.

En quoi consiste le projet de nouvel Hôtel-Dieu ?

S’il est controversé, le projet du nouvel Hôtel-Dieu n’est pas pour autant secret. On peut même le voir sur Internet. Le projet vise à mettre en place un hôpital inter-universitaire de santé publique. C’est-à-dire un hôpital comprenant une offre de soins ouverte sur la ville, un pôle pluridisciplinaire, universitaire, d’enseignement et de recherche en santé publique. Une offre de soins ouverte sur la ville, c’est dans ce projet : un hôpital en ambulatoire. Il n’y a pas d’hospitalisation complète, les malades n’y dorment pas ; des consultations d’urgence ou "de premiers recours", sans rendez-vous, c’est sept jours sur sept, 24 heures sur 24 ; des consultations spécialisées (infectiologie VIH, hépatologie, cardiologie, gynécologie, proctologie, dentaire, troubles du sommeil, etc.) ; une pharmacie hospitalière ; un plateau médico-technique qui permet de faire de la radiologie, des échographies, des endoscopies, etc. et une offre de TPE. Le tout se fait au tarif Sécurité sociale, en secteur 1 : pas de dépassements d’honoraires. Le projet porte d’ailleurs une attention affichée à la santé des personnes plus précaires, fragilisées ou éloignées du soin (jeunes de 15 à 24 ans, personnes en situation de handicap, personnes âgées autonomes), auxquelles il faut ajouter les personnes plus vulnérables à certains risques de santé comme les migrants, les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, les personnes pouvant avoir besoin d’accéder au TPE, et l’ensemble des personnes séropositives suivies actuellement dans cet hôpital.

Le pôle pluridisciplinaire, universitaire, d’enseignement et de recherche en santé publique… ce sont des partenariats avec des universités et des organismes de recherche, une offre de formation aux métiers de la santé, une évaluation des innovations.

Le projet est aussi marqué par une attention particulière portée à la place du patient. Concrètement, on y assure une promotion de la santé, de la prévention, du dépistage avec  notamment un programme de santé sexuelle. On y proposera plusieurs programmes d’éducation thérapeutique du patient et sera créé un bureau universitaire des patients. C’est quoi ? Pour faire court : de la formation des soignants par des patients. Reste une question épineuse…

Qu’en est-il des Urgences ?

La fermeture ou non du service d’accueil des urgences (SAU) fait polémique. Actuellement, le SAU reste ouvert, néanmoins les pompiers, le SAMU et les ambulances n’y amènent plus de patients. Les cas les plus graves qui viendraient à se présenter sont donc réorientés et pris en charge dans d’autres hôpitaux via une ambulance présente sur les lieux en permanence. Néanmoins, selon le projet, il sera toujours possible de venir à l’Hôtel-Dieu où des médecins assureront un accueil continu en médecine générale 24 heures sur 24, sept jours sur sept. L’attente devrait même y être moins longue que dans des services d’urgence classiques. Bien entendu, les traitements post-exposition (TPE) y seront toujours prescrits. C’est le cas actuellement, contrairement à ce qui est parfois affirmé. AIDES est d’ailleurs attentive à ce point et le vérifie régulièrement.

Comment ce projet va-t-il être mis en place ?

Un groupe de travail constitué de représentants du personnel soignant, de techniciens, d’experts et d’associatifs travaille à la mise en place d’un projet évolutif. Dans son point d’étape, le directeur général de l’AP-HP insiste sur cela. AIDES a été sollicitée pour participer à ce groupe de travail en tant qu’association de personnes vivant avec le VIH. Jusque là, seule l’AFH (Association Française des Hémophiles) y était présente au titre associatif. Cette participation a bien entendu des conditions que AIDES entend faire respecter.

Groupe de travail : une participation sous conditions

Mais dans le fond qu’est-ce qui intéresse l’association dans ce projet ? Il va proposer une offre de soin potentiellement innovante pour les personnes vivant avec le VIH et celles qui sont exposées au VIH (l’offre de santé sexuelle, par exemple). "En participant à ce groupe de travail, nous prendrons toute notre part dans ce futur hôpital et nous pourrons être attentifs au respect des principes que nous défendons au nom des usagers en général et des personnes vivant avec le VIH/sida et/ou une hépatite virale en particulier", expliquent les militants de l’association mobilisés sur ce dossier. Les principes sont simples : un véritable accès aux soins et à la prévention ; le maintien et même l’amélioration de la qualité de la prise en charge et du parcours de santé - plus global et plus coordonné ; que les usagers (par le biais des associations) soient systématiquement associés aux décisions et choix qui les concernent. L’association entend être très vigilante quant à la qualité de prescription des traitements post-exposition (TPE).

Pour AIDES : proposer une offre ambulatoire de soins, de prise en charge et des horaires élargis peut correspondre aux besoins d’un nombre croissant de personnes vivant avec le VIH, dont certains vont mieux sur le plan immunitaire et virologique, ont une bonne tolérance aux traitements, ont une activité professionnelle… Reste que cette offre ne doit et ne peut se faire faire au détriment d’un besoin d’hospitalisation qui reste encore bien présent et dont attestent des études scientifiques comme VESPA-2 pour ne citer que celle-ci. Cela signifie que le "nouvel" Hôtel-Dieu doit coordonner son offre concernant le VIH avec celle des hôpitaux voisins. Un impératif auquel l’association va veiller et pour lequel le COREVIH (Ile-de-France Sud) doit jouer son rôle.

Il n’est pas question non plus que les enjeux de vulnérabilité sociale soient ignorés : maintien de la PASS (permanence d’accès aux soins), respect du tiers payant et du secteur 1 (pas de dépassement d’honoraires), difficultés de l’irrégularité administrative de séjour au regard du droit aux soins, etc. AIDES participera à ce groupe de travail tant que ces conditions seront respectées. Si ce n’était plus le cas, l’association quitterait le groupe, et dénoncerait publiquement les orientations prises.

Réorganisations des hôpitaux : question de principes !
AIDES n’est pas opposée, a priori, aux réorganisations des services VIH, mais l’association estime que cela ne doit pas se faire n’importe comment ; elle défend fermement plusieurs principes :
La consultation et la concertation préalables des malades et associations les représentant ainsi que des COREVIH sur les nouveaux schémas d’organisation envisagés ;
L’information des patients sur les garanties d’un continuum de qualité en amont et un accompagnement aux transferts (choix du médecin, suivi des dossiers médicaux, écoute des problématiques spécifiques des personnes, etc.) ;
Des garanties sur la continuité d’accès à une prise en charge globale, coordonnée et pouvant mettre en œuvre les recommandations d’experts (Rapport Morlat) : bilan de synthèse annuel, accès à l’ETP,  aux services d’assistance sociale, à un-e psychologue, à un gynécologue spécialisé dans le VIH et la vie sexuelle ;
Une réorganisation a pour objectif principal l’augmentation de la qualité de la prise en charge. Faire des économies est un effet indirect et ne doit pas être l’objectif en soi de la réorganisation ;
Le savoir et l’expérience accumulés dans les équipes de soins aux compétences multiples ne doivent pas être bradés et désorganisés, au risque de les perdre, la coordination avec les services d’hépatologie et de prise en charge des hépatites doit être pensée et prévue ;
Toute évolution de modèle de prise en charge devrait être évaluée sur les performances médicales, la qualité de la prise en charge globale et de la "satisfaction" des usagers, mais aussi des personnels.