I = I : le risque zéro existe !

Publié par Fred Lebreton le 26.11.2022
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Enfoncer le clou ! C’était l’idée de ce webinaire d’Actions Traitements, organisé le 21 novembre, sur « I = I » (Indétectable = Intransmissible). Il faut dire que 15 ans après « l’avis suisse », il est plus que temps de l’affirmer haut et fort : une personne vivant avec le VIH sous traitement efficace ne transmet PAS le VIH. Retour sur un webinaire qui a donné la parole à toutes les personnes concernées.

Un peu d’histoire

Appeler ça comme vous voulez, le Tasp (Traitement comme prévention), « U = U » ou sa déclinaison française « I = I », l’essentiel est de le connaître et de le faire savoir. Et pour cela rien de mieux que la science. Ce webinaire était justement intitulé « Indétectabilité du VIH : quand la science avance plus vite que les mentalités » et c’est le Pr Gilles Pialoux (chef du service maladies infectieuses et tropicales, Hôpital Tenon, AP-HP, Paris) qui a ouvert le bal avec un cours d’histoire sur le Tasp. Pour le Pr Pialoux, la toute première trace de ce concept remonte à la prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant et il cite l’étude ACTG 076 qui date de 1994 et qui avait montré une réduction de 68 % de la transmission mère-enfant sous AZT. Il faudra attendre l’année 2000 avant que la notion d’absence de transmission du VIH grâce à une charge virale indétectable fasse son apparition (étude Rakai sur 415 couples hétérosexuels sérodifférents en Ouganda). Mais la véritable révolution Tasp a lieu le 30 janvier 2008, lorsque le fameux avis suisse lancé dans les médias par une interview du professeur Bernard Hirschel à l’occasion du 1er décembre 2007, est publié dans la revue médicale Bulletin des médecins suisses. À l’époque, le message, appuyé par la science, est une révolution dans la vie des personnes vivant avec le VIH, mais aussi pour leurs soignants-es. Mais le message a parfois du mal à passer et beaucoup doutent… malgré les données scientifiques.

Que ce soient les personnes concernées à qui on a expliqué depuis toujours que le préservatif était l’unique outil de protection possible, mais aussi certains-es soignants-es qui rechignent à communiquer sur le Tasp, voire qui le remettent en question. En mai 2011, une première étude importante vient confirmer l’efficacité du Tasp, il s’agit de HPTN 052. Mais il faut attendre mars 2014 pour atteindre le consensus scientifique mondial avec les résultats de l’étude Partner. Partner est une cohorte internationale qui a suivi pendant plusieurs années des couples sérodifférents hétérosexuels ou gays qui pratiquaient des pénétrations vaginales ou anales sans préservatif alors que le-la partenaire séropositif-ve prenait un traitement anti-VIH et avait une charge virale indétectable. Au total, l’étude a porté sur 894 couples (586 hétérosexuels et 308 gays) qui ont eu, au total, plus de 44 500 relations sexuelles sans préservatif, dont 21 000 rapports anaux (avec ou sans éjaculation). Avec ces chiffres, on estime qu’il y aurait dû y avoir 15 infections au sein des couples hétérosexuels et 86 au sein des couples gays, si le-la partenaire séropositif-ve ne prenait pas de traitement anti-VIH. Mais dans l’étude, aucune transmission n’a été observée. L’étude s’est poursuivie jusqu’en 2018 avec un second volet (Partner 2) réservé aux couples gays sérodifférents. Les résultats publiés dans The Lancet, le 3 mai 2019, entérinent une bonne fois pour toute l’efficacité du Tasp. Sur 783 couples et près de 75 000 rapports sexuels sans préservatifs (et sans Prep), aucun cas de transmission n’a été observé entre les partenaires.

Le Pr Pialoux a conclu sur la nécessité de mettre à jour les recommandations du Rapport d’experts sur la prise en charge des personnes vivant avec le VIH (dont les premiers chapitres devraient être publiés au printemps 2023) sur des sujets comme l’efficacité du Tasp dans l’allaitement maternel ou la période des six mois à attendre pour être considéré-e comme « non contaminant-e » alors qu’avec les nouveaux traitements, la charge virale devient indétectable en six semaines, voire moins.

Un blip à 70 copies, on s’en fiche !

Le second intervenant, le Dr Michel Ohayon (fondateur et directeur du 190, le premier centre de santé sexuelle ouvert à Paris) est revenu sur l’importance pour les soignants-es de parler du Tasp avec leurs patients-es, dès la première consultation VIH : « Beaucoup de nos patients n’osent pas aborder cette question craignant probablement une réaction négative ou un jugement du médecin. « C’est important que le traitement soir considéré comme protecteur et non punitif ». Le médecin rappelle à quel point la peur de transmettre le VIH est ancrée chez la plupart des PVVIH : « Cette inquiétude de la transmission est permanente, obsessionnelle parce qu’elle ravive pleins d’anciens traumas ». Peut-on parler de risque zéro sous Tasp ? « J’étais très heureux quand j’ai assisté à la présentation des résultats de l’étude Partner à l’IAS à Amsterdam [en juillet 2018, ndlr], et que j’ai entendu enfin quelqu’un dire devant des milliers de personne que le risque zéro existe et je pense qu’on peut parler de risque zéro (…). Un rapport sous Tasp est un rapport protégé, du moins par rapport au VIH. On ne peut pas comparer une gonococcie avec l’infection par le VIH ou alors j’ai raté un épisode ! » ironise le Dr Ohayon. Le médecin insiste sur un élément qui lui semble important : « La difficulté c’est d’expliquer ce qu’est une charge virale indétectable. Le consensus international, c’est une charge virale à moins de 50 copies/ml, or nos laboratoires sortent des résultats inférieurs à 40, à 30, à 20 copies, etc. Dans Partner, le seuil est à 200 copies soit dix fois le seuil d’indétectabilité de la plupart des tests qui sont utilisés en routine. Ce qui veut dire que si quelqu’un fait un blip à 70 copies parce qu’il a chopé la crève au moment du prélèvement, on s’en fiche ! »

Un peu plus tard lors des questions/réponses, le Pr Pialoux enfonce le clou : « Je reprends l’expression de Michel Ohayon : Oui, le risque zéro existe ! Le principe de précaution de remettre un préservatif à 50 copies n’a pas de sens ». Un discours qui va rassurer toutes celles et ceux qui connaissent des mini blips (remontées) de leur charge virale, de temps en temps. Enfin, Michel Oyahon revient sur ce qu’il appelle « l’effet prodigieusement libératoire » du Tasp : « La libération de cette peur permanente de transmettre une maladie qui reste fantasmée comme mortelle et gravissime alors qu’aujourd’hui elle est gérée comme une infection chronique ».

En garde à vue à cause du VIH !

Bruno Lamothe, juriste et membre de l’association Les Séropotes, est revenu sur l’impact du Tasp dans la sphère juridique. Le juriste commence par un rappel important : le VIH est une infection à déclaration obligatoire par les professionnels-les de santé, mais pas de façon nominative (donc anonyme). Bruno Lamothe poursuit sur les longs combats menés par les associations de lutte contre le VIH contre les discriminations liées à certains métiers interdits ainsi que certaines victoires comme l’amélioration de l’accès à l’emprunt.

Quid de la criminalisation du VIH en France ? Il a fallu  attendre mars 2019 pour que la Cour de Cassation, juridiction la plus élevée de l’ordre judiciaire français, reconnaisse le Tasp et donc l’absence de délit lorsque la personne accusée a une charge virale indétectable. La Cour a, en effet, rejeté le pourvoi d’une femme qui avait eu des rapports sexuels non protégés par un préservatif avec un homme vivant avec le VIH. La plaignante, qui n’a pas été infectée, poursuivait son ex-partenaire sous le chef d’administration de substances nuisibles. Mais le chemin est encore long… Preuve en est avec une récente affaire totalement ahurissante évoquée par Bruno Lamothe. En 2022, en France, une personne vivant avec le VIH a été arrêtée sur son lieu de travail par des gendarmes et placée en garde à vue près de 48 heures à la suite d'une dénonciation de son conjoint qui l’accusait d’avoir eu des relations sexuelles non protégées par un préservatif alors qu’elle se savait séropositive. La cellule juridique des Séropotes a dû intervenir pour mettre fin à cette garde à vue et rappeler aux gendarmes la jurisprudence de la cour de cassation.

Ma vie sexuelle a toujours été liée au danger

Étienne Fouquay, chargé de mission Dépistages chez AIDES, a présenté les différentes campagnes sur le Tasp au fil des années en insistant sur la nécessité de faire des messages simples et accessibles à tous-tes. Puis le webinaire s’est terminé en donnant la parole à deux personnes concernées directement par le Tasp. Thaïs, 47 ans, qui vit avec le VIH depuis 1993 et Silouane, 31 ans, séronégatif, en couple sérodifférent depuis 2018. Le témoignage de Thaïs a montré, s’il le fallait encore, l’importance pour les professionnels-es de santé d’aborder clairement la Tasp. C’est en lisant un dépliant de AIDES que Thaïs découvre l’existence du Tasp : « Quand j’abordais le sujet avec mon infectiologue, il était très frileux et insistait sur la nécessité de maintenir l’usage du préservatif. Du coup, pendant plusieurs années, je me suis retrouvée avec un double discours et c’était compliqué pour moi d’avoir un discours clair auprès de mes partenaires. Au moindre accident de capote, j’accompagnais mon partenaire aux urgences pour demander un TPE alors qu’en réalité il n’y avait aucun risque. On m’a vraiment fait très peur même avec un conjoint séropositif, on me disait de mettre une capote car je pouvais le « surcontaminer » ! « Ma vie sexuelle a toujours été liée au danger », déplore Thaïs. Silouane, de son côté, a découvert le Tasp en étant usager du 190 pour la Prep. Lui-même professionnel de santé, il pose la question des préjugés encore très présents dans le milieu hospitalier.

En conclusion, un webinaire qui a montré à quel point, quinze ans après « l’avis suisse », il était important de marteler encore et encore le message « I = I » car la révolution Tasp ne peut se faire que par le savoir et le faire savoir. Le webinaire est en ligne sur la page YouTube d’Actions Traitements.