IAS 2017 : claque de fin pour Gilead

Publié par Mathieu Brancourt et Vincent Leclercq le 27.07.2017
5 748 lectures
Notez l'article : 
4
 
0
ConférencesIAS 2017Aids 2017GILEAD

Troisième et dernier jour de conférence à Paris, hier mercredi. Peu à peu, les participant-e-s quittent le Palais des Congrès et Paris, qui retournent à des activités plus estivales. En conclusion de cette 9e conférence HIV Science, la cérémonie de clôture balaye l’ensemble des faits marquants présentés depuis lundi, et fait le lien sur ce qui reste à faire. Plus que jamais, les données scientifiques confortent la possibilité de construire une réponse globale, mais adaptée à chaque contexte pour en finir avec le sida. Mais l’interrogation demeure sur ce qui sera fait de cette connaissance inestimable, qui n’a de valeur que si elle se traduit en actes. Dernières infos et clap de fin !

©IAS/Steve Forrest/Workers' Photos

Coinfection : les bénéfices du café et du cannabis sur le foie

Deux études, menées par l’Inserm et les équipes marseillaises de Patrizia Carrieri, montrent de manière simultanée l’effet positif du café et du cannabis sur la dégradation de la fonction hépatique. Dans le cadre de la cohorte ANRS CO13-Hepavih de personnes co-infectées par le VIH et l’hépatite C, ces études mettent en évidence un risque moins élevé de fibrose du foie chez les personnes qui consomment au moins trois tasses de café par jour. Et cela, peu importe leur niveau de consommation d’alcool. Chez les 1 017 personnes de la cohorte, une réduction de 57 % du risque de fibrose est observée pour ceux qui consomment trois tasses de café quotidiennes. En d’autres termes, "même chez les patients qui boivent de l’alcool en quantité importante, ce qui augmente le risque de fibrose hépatique, le fait de consommer au moins trois tasses de café par jour pourrait réduire l’impact négatif de l’alcool sur le foie", explique l’ANRS dans son communiqué.

Par ailleurs, le risque de faire une stéatose hépatique (le "foie gras") est moins élevé chez les consommateurs quotidiens de cannabis. Parmi la cohorte ANRS CO13-Hepavih, 14 % déclarent consommer du cannabis tous les jours. Ce niveau de consommation est associé à une réduction de 40 % du risque de stéatose. Cependant, on ne retrouve pas ces résultats pour ceux qui en consomment moins. Pour Patrizia Carrieri : "Bien évidemment, les résultats obtenus dans la cohorte ANRS-Hepavih ne peuvent conduire à recommander aux coinfectés la consommation de telle ou telle substance ou produit. Selon elles, ils doivent être confirmés par la suite, mais doivent d’ores et déjà pris en compte par les cliniciens qui prennent en charge ces patients coinfectés.

Coup de projecteur pour un meilleur accès à la PrEP en Europe

Les résultats de l’enquête Flash ! PrEP in Europe (FPIE), enquête à travers douze pays européens sur la connaissance et l’intérêt et l’utilisation de la PrEP dans des populations clés (personnes trans, HSH et les femmes), ont fait l’objet d’une présentation. Conduite par Coalition PLUS et AIDES, avec quinze partenaires européens de la lutte contre le sida, l’enquête a recueilli près de 16 000 réponses entre le 15 juin et le 15 juillet 2016. Cette présentation révèle les principaux freins individuels et structurels dans l’accès à ce nouvel outil de prévention, explique le communiqué de presse de Coalition PLUS. "Cette enquête révèle un réel problème d’information des publics les plus exposés sur la PrEP. Mais elle montre aussi que lorsque les personnes connaissent ce nouvel outil et ont les bonnes informations, elles se disent intéressées à l’utiliser", explique Aurélien Beaucamp, président de AIDES. FPIE montre que seuls 55 % des répondant-e-s ayant des pratiques à risque concernant le VIH connaissent l’existence de la PrEP. Mais parmi ceux qui la connaissent, 73 % sont intéressés à la prendre pour se protéger. Autre info : 8 % seulement des répondant-e-s déclarant des pratiques à risque ont déjà eu recours à la PrEP, dont la moitié dans le cadre d’études. C’est pourquoi AIDES et Coalition PLUS réclament "une harmonisation rapide de l’accès à la PrEP en Europe pour les publics les plus vulnérables, dans le cadre d’une prise en charge globale et dans des conditions acceptables. Les deux ONG demandent aux autorités européennes et aux pouvoirs publics des pays européens de faire le nécessaire pour offrir à tous les publics une information objective, complète et éclairée sur la PrEP." Quatre pays européens ont à ce jour autorisé la PrEP (Belgique, Ecosse, France, Norvège). Et seuls les deux derniers la remboursent.

Sur-risque de fractures chez les séropositifs et ARV : pas de lien !

Une étude menée par Dominique Costagliola, ses collègues de l’Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique de l’Inserm et de l’UPMC, présentée en ce dernier jour de conférence, démontre l’absence de lien entre une surexposition au risque de fracture chez les personnes sous antirétroviraux, particulièrement celles sous ténofovir. Cette hypothèse a longtemps été suggérée, fondée sur la baisse de la densité minérale osseuse observée chez certaines personnes, et prise en compte notamment chez les personnes vivant avec le VIH prenant Truvada (ténofovir) et des antiprotéases (IP), mais aussi chez les séronégatifs prenant de la PrEP. "Parmi les sept études publiées explorant ce lien, une seule rapporte une hausse du risque de fracture avec le ténofovir. D’autres ne trouvent pas forcément d’association, tant pour le ténofovir, que pour les inhibiteurs de protéase. Sans compter que l’ensemble de l’histoire thérapeutique des patients n’est pas toujours prise en compte", explique Dominique Costagliola.

Pour le confirmer, les chercheurs de Marseille ont utilisé une cohorte de patients suivis pour le VIH depuis 1989. Ils ont procédé à une étude dite cas-témoin. Les chercheurs ont retenu 861 personnes qui n’avaient pas commencé leur traitement antirétroviral avant le début de la cohorte, et qui ont présenté une fracture entre 2000 et 2010. Ces cas ont été comparés à des personnes au profil similaire (âge, sexe et date de traitement), séropositives également, qui elles n’avaient pas eu de fracture. Et là, aucun lien n’a été trouvé entre fracture, utilisation d’un antirétroviral, notamment les antiprotéases, et les fractures postérieures à ce traitement. Selon le Professeur François Dabis, directeur de l’ANRS, "Ces résultats, obtenus sur un grand nombre de patients sont encourageants pour les patients sous antirétroviraux depuis plusieurs années et qui se posent des questions sur les effets secondaires des molécules".

Consécration de l’allégement

Au fur et à mesure des publications scientifiques dévoilées à la 9ème conférence HIV Science, semble se dessiner une tendance générale pour l’avenir de la prise en charge thérapeutique du VIH : la fin de la prise quotidienne des trithérapies par voie orale. Probablement pas pour tout le monde, certainement au cas par cas, et selon l’histoire thérapeutique de chacun mais une chose est sûre : prendre son traitement doit devenir plus simple et le sera pour beaucoup de personnes vivant avec le VIH.
Plusieurs présentations ont été faites sur l’allègement et l’épargne thérapeutique à l’occasion de cette conférence, c’est-à-dire le fait de réduire la quantité de comprimés et/ou de molécules prises dans le temps par les personnes séropositives. Sans aucun doute, cela correspond à une attente forte des personnes vivant avec le VIH et c’est un objet de recherche clinique regardé de près. La salle de conférence était d’ailleurs pleine à craquer au point que plusieurs télés ont été installées à l’extérieur pour diffuser ce qui s’y déroulait. La France fait figure de précurseur avec les essais d’allègement Iccarre, 4D (ANRS) et l’essai à venir Quatuor (ANRS), visant à vérifier la faisabilité d’une réduction du nombre de jours de prise de traitement dans la semaine, de sept à quatre prises hebdomadaires. Beaucoup de recherches doivent encore être menées car on ne sait pas encore vraiment pourquoi certaines combinaisons en monothérapies, bithérapies ou trithérapies contrôlent le virus et d’autres au contraire n’y arrivent pas, notamment à cause des mutations de résistances qui se développent avec certaines combinaisons. Il est probable que ce soient les bithérapies qui deviendront le standard de la prise en charge plutôt que les trithérapies. Quant aux monothérapies, d’antiprotéases notamment, cela ne semble pas encore à l’ordre du jour.

L’allègement et "l’épargne thérapeutique" posent la question de comment évaluer l’efficacité de ces stratégies au niveau individuel et collectif. José Arribas de l’hôpital de La Paz en Espagne, lors de la session consacrée à la question, le souligne : "A-t-on besoin de trithérapie pour tout le monde ?". La charge virale ne semble plus être l’indicateur le plus approprié dans ce contexte, et toutes les options proposées atteindront probablement l’objectif de suppression virale. Mais peut-être faudra-t-il alors comparer les niveaux de réplication résiduelle dans certains compartiments, dont on sait qu’ils jouent un rôle sur les réservoirs et la persistance d’une activation permanente du système immunitaire au long cours, source de fatigue et de comorbidités. La toxicité doit elle aussi être regardée : un switch, pour moins de molécules, mais avec des molécules plus toxiques n’est pas une bonne idée. A l’heure où les analyses médico-économiques commencent à dominer la décision en santé publique, la question du coût sera probablement prise en compte. L’essai Gotta, menée en France par l’ANRS, va d’ailleurs évaluer la faisabilité d’une proposition de switch pour des combinaisons thérapeutiques moins coûteuses à efficacité égales pour les patients.

Nouvelles modalités de prise

Autre sujet fortement attendu : les nouvelles formes d’administration des traitements. Les résultats en Phase 2b (tester le dosage et l’efficacité sur un petit échantillon sans placebo) à 96 semaines de l’essai d'antirétroviraux à diffusion prolongée Latte-2, publiés à l’occasion de la conférence, ont montré que la prise d’une bithérapie de cabotégravir et rilpivirine (cette dernière molécule est contenue dans Edurant ou Eviplera actuellement sur le marché), par injection toutes les quatre ou huit semaines, faisait aussi bien pour supprimer la charge virale que cette même combinaison thérapeutique prise par voie orale tous les jours. Cette combinaison a le double intérêt d’être une bithérapie, dont les modalités d’administration changent le quotidien des personnes vivant avec le VIH. Ces dernières expriment dans ces essais un haut niveau de satisfaction de ne plus avoir à prendre un traitement quotidien. Les traitements à diffusion prolongée, que ce soit par implant, injection ou patch, posent néanmoins un certain nombre de questions abordés dans une autre publication scientifique présentée à la conférence.

Une nouvelle molécule à action prolongée en cours de développement par le laboratoire Merck, la MK-8591, en une prise hebdomadaire a d’ores et déjà montré sa capacité à supprimer la charge virale pendant au moins sept jours dans un essai de Phase 1b, offrant là aussi la possibilité d’un "nouveau paradigme [de prise] pour le traitement et la prévention du VIH" selon des chercheurs américains. Pour l’instant, l’ensemble de ces pistes restent au stade de la recherche clinique, et il faudra attendre encore quelques années avant que les recommandations d’administration des traitements évoluent, sous réserve que ces stratégies arrivent jusqu’au stade de la commercialisation.

Des questions demeurent

On peut se poser quelques questions avec ces innovations en matière d’administration des traitements et d’allègement thérapeutique. Pourra-t-on faire de l’allègement avec un traitement à diffusion prolongée ? En d’autres termes, des dosages pourraient-ils être adaptés selon les patients, ceux qui auraient justement été éligibles au fait de prendre leur traitement seulement quatre jours sur sept, même en bithérapie, ou au contraire, avec cette modalité d’administration, ne faudra-t-il pas prendre la dose standard ? On peut aussi se poser la question du prix : ces innovations en matière d’administration n’apportent pas de plus-value quantifiable sur la santé physique, mais sont plutôt des innovations qui peuvent être jugées comme de "confort". Sommes-nous prêts à payer au prix fort ces innovations, au moment même où nous devrions pourtant voir le coût de la prise en charge du VIH baisser en France avec l’arrivée de certains génériques ? L’enjeu est vertigineux.

En clôture, Gilead prend cher !

A l’issue de ces trois journées intenses, les portes du Palais des congrès se referment sur l’impressionnante quantité de travaux présentés aux participant-e-s. Et malgré la partie consacrée à la synthèse des différents champs de la recherche fondamentale, de prévention, clinique et thérapeutique, la cérémonie de clôture a connu les mêmes accents politiques que celle d’ouverture. En préambule, la prise de parole de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Frédérique Vidal, a permis au pays hôte de rappeler ses engagements, encore à l’état d’engagement oraux. "La France était en tête de proue de la réponse globale à l’épidémie et reste deuxième [troisième dans les faits, ndlr] contributeur au Fonds mondial". Et que cet engagement se traduirait également dans la recherche française. "Nous avons besoin de vaccin, nous avons besoin de la guérison, nous avons besoin de science. Mon ministère sera derrière la recherche pour l’innovation et les progrès scientifiques", a indiqué Frédérique Vidal. Dont acte. Mais François Dabis, directeur de l’ANRS, a déploré l’absence de l’équivalent du binôme Mandela/Chirac, comme lors de la dernière conférence HIV Science de 2003. Une critique en creux à Emmanuel Macron, qui a boudé le Palais des Congrès dimanche.

La clôture a surtout été marquée par la prise de parole, imprévue, de la société civile et activiste à propos de l’enjeu primordial du prix du médicament. C’est Othoman Mellouk, militant marocain de la Coalition internationale sur l’accessibilité des traitements (ITPC), qui a sonné la charge contre un laboratoire pharmaceutique en particulier : Gilead. Dans un discours puissant, le militant marocain a mis les pieds dans le plat. "Il y a un scandale dans cette conférence. Alors qu’il affiche des relations publiques irréprochables, Gilead continue de faire payer au prix fort les traitements contre le sida et l’hépatite C." Revenant sur les tarifs démesurés du sofosbuvir, un anti-VHC, Othoman Mellouk a dénoncé le double discours de la firme : "Gilead se présente comme responsable et soutien de l’accès aux traitements dans les pays du sud, mais, en réalité, garde le monopole des médicaments et bloque l’accès aux génériques qui permettraient de monter en capacité de traitement dans le monde, laissant des gens au bord de la route." Très applaudi, il est également revenu sur la stratégie procédurière et agressive du labo américain, qui tente par tous les moyens, notamment judiciaires, de prolonger ses brevets et empêcher le lancement des génériques du Truvada, freinant le développement de la PrEP et l’expansion des programmes de mises sous traitement vitaux pour les personnes vivant avec le VIH. Truvada, un nom qu’Othoman Mellouk refusera de prononcer au profit de la combinaison de molécules, "seul véritable nom des futurs génériques". "Le double visage de Gilead est aujourd’hui exposé à la face du monde" conclut-il, avant de lancer un "Sofosbuvir gratuit, Truvada gratuit et vie pour les personnes séropositives", sous les hourras des activistes.

C’est Linda-Gail Bekker, présidente de l’IAS et co-présidente de la conférence HIV Science de Paris, qui a conclu ensuite cette conférence riche et foisonnante et étonnamment revendicative, dans un contexte pourtant peu enclin à tirer profit de ces découvertes scientifiques et d’en défendre l’importance. "Nous devons être audacieux. Mais laissons-nous réengager complètement dans les progrès de la science, dans toutes les voies possible", a-t-elle martelé au côté de Jean-François Delfraissy, l’autre co-président de la conférence de Paris. Rendez-vous à Amsterdam, l’année prochaine pour la grande conférence internationale !