IAS 2017 à Paris : l’ANRS expose les enjeux

Publié par jfl-seronet le 20.07.2017
6 883 lectures
Notez l'article : 
0
 
ConférencesIAS 2017Aids 2017

Co-organisateur de la Conférence IAS 2017 "HIV Science", l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales a réalisé un dossier très complet présentant les éléments de contexte actuels dans le domaine du VIH et les enjeux notamment thérapeutiques.

Elle s’appelle "HIV Science", c’est la 9ème du genre. Elle se déroule, tous les deux ans, en alternance avec la grande conférence mondiale sur le VIH. La dernière de ces grandes conférences s’est déroulée à Durban (Afrique du Sud), la prochaine en 2018 se tiendra à Amsterdam. C’est simple, la grande conférence se tient les années paires. C’est Paris qui accueille du 23 au 26 juillet 2017 cet événement dans la sphère scientifique et militante de la lutte contre le VIH.

Où se déroulera la conférence ?

La 9e conférence "IAS 2017" se tiendra au Palais des congrès, Porte Maillot. Par ailleurs, en amont et en marge de la conférence officielle, plusieurs événements ont été organisés. Pour cette édition parisienne, l'IAS (l’organisateur des conférences mondiales et scientifiques) s'est associée à l'Agence nationale de recherche sur le VIH/sida et les hépatites virales (ANRS). L'ANRS en assure ainsi la co-présidence. La conférence ne s’est pas tenue en France depuis 2003. La précédente édition avait marqué les esprits et tenu une place particulière dans l'histoire de la lutte contre le VIH/sida. Comme le souligne l’ANRS dans un communiqué : "Elle a été, en effet, la tribune de plaidoyers remarqués en faveur de l'accès aux traitements pour les pays du Sud, lancés en particulier par les présidents Jacques Chirac et Nelson Mandela. A Paris, fin juillet, environ 7 000 délégués sont attendus (chercheurs, médecins cliniciens, activistes, responsables d’organismes de recherches et d’organisations internationales, industriels du médicament, etc.).

Progrès scientifiques dans le VIH : où en est-on aujourd’hui ?

On dispose aujourd’hui d'une gamme élargie de traitements antirétroviraux qui ont un impact majeur sur la mortalité et la morbidité des personnes vivant avec le VIH. Une étude publiée récemment dans "The Lancet HIV" (1), et dans laquelle de nombreuses données françaises ont été prises en compte, relevait que l'espérance de vie des personnes séropositives vivant en Europe et en Amérique du Nord avait augmenté de 10 ans depuis 1996, date d'introduction des antirétroviraux. Pour une personne ayant commencé son traitement en 2008, et ce, suffisamment tôt après l'infection, l'espérance de vie est désormais de 73 ans chez les hommes et de 76 ans chez les femmes, soit presque autant que celle de la population générale, note l’ANRS. Les pays du Sud ont bénéficié aussi de ces avancées thérapeutiques. On estimait en 2016 qu'environ 18,2 millions de personnes infectées dans le monde avaient accès aux antirétroviraux (7,5 millions en 2010 et pratiquement pas en 2003). Un progrès important mais qui ne doit néanmoins pas masquer qu’il y a aujourd’hui autant de personnes qui nécessiteraient de recevoir un traitement et qui le l’ont pas !

Ce sont ainsi plus de 75 % des personnes vivant avec le VIH en Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale qui ne bénéficient pas encore d'antirétroviraux. Pourtant des études ont clairement démontré qu'il existe un réel bénéfice pour les personnes infectées à démarrer un traitement antirétroviral de manière précoce. La morbidité sévère est réduite de moitié chez les personnes initiant très tôt — et quel que soit le niveau de CD 4 — un traitement antirétroviral comparativement à ceux qui le prennent plus tardivement. C'est grâce aux études ANRS Temprano et NIH Start qu'un grand pas vers le traitement universel a pu être franchi en 2015 en faisant évoluer les recommandations de l'OMS sur la prise en charge des patients, recommandations adoptées désormais dans la plupart des pays.

Autre donnée importante. "Les traitements d'aujourd'hui sont plus efficaces et moins toxiques à long terme, et on peut espérer qu'on puisse encore les simplifier", explique le professeur Jean-François Delfraissy, qui préside la conférence IAS 2017 avec la professeur Linda-Gail Bekker (Desmond Tutu HIV center, le Cap, Afrique du Sud et présidente de l'IAS). "Plusieurs pistes sont à l'étude. Une consiste à alléger les traitements : deux voire un seul antirétroviral par jour ; on évalue aussi la possibilité de "concentrer" le traitement sur quelques jours ou bien de délivrer des médicaments à action prolongée dont le principe actif serait libéré lentement dans le sang pendant plusieurs semaines", précise Jean-François Delfraissy. De nouvelles molécules sont par ailleurs à l'étude dont certaines appartiennent à de nouvelles familles d'antirétroviraux, comme des inhibiteurs d'attachement ou des inhibiteurs de "maturation", dans une étape plus tardive du cycle du VIH.

Les antirétroviraux ne parviennent pas à éradiquer les réservoirs viraux, ces cellules où le VIH persiste à l'état latent et est capable de se réactiver si les traitements antirétroviraux sont arrêtés. "C'est la nouvelle frontière que nous nous sommes fixés en lançant, en 2011, l’initiative Towards HIV Cure", explique la Pr Françoise Barré-Sinoussi, Prix Nobel de Médecine 2008, dans le dossier de présentation de l’ANRS. "Plusieurs observations nous permettent de penser depuis quelque temps déjà que nous pourrions parvenir à la guérison, ou de manière plus raisonnable à la rémission de la maladie sans traitement [cas de quelques patients contrôlant leur infection pendant de longues années alors qu'ils ne prennent pas de traitement, patient dit "de Berlin" ayant bénéficié d'une transplantation de la moelle provenant d'un donneur présentant une résistance génétique à l'infection et dont le virus est devenu indétectable dans le sang, etc.] tous ces éléments sont en faveur du concept de rémission possible après arrêt de tout traitement", ajoute la chercheuse.

Autre avancée. Une découverte réalisée en France et publiée en mars 2017 dans la revue "Nature" permet de penser que nous allons progresser dans cette voie de recherche. Les chercheurs viennent d'identifier que les cellules quiescentes CD4+ qui expriment le marqueur CD32a sont des réservoirs (2). Cela permet d'envisager des stratégies ciblant précisément les réservoirs. Certaines consistent à utiliser des médicaments employés pour d'autres maladies, comme le cancer, pour "attaquer" le réservoir.

Le traitement comme prévention

On sait depuis les années 90 qu'il est possible de réduire le risque de transmission du VIH de la mère à l'enfant en faisant prendre à la mère pendant la grossesse ainsi qu'à l'enfant autour de la naissance un traitement antirétroviral. Le traitement prophylactique post exposition pris rapidement après une prise de risque sexuelle ou sanguine est proposé de longue date dans les services hospitaliers français. Des études de grande envergure menées par des équipes américaines et européennes (HPTN 052 et Partner) ont apporté, dès les années 2010, la preuve irréfutable que l'initiation précoce d'un traitement antirétroviral réduit presque intégralement le risque de transmission du VIH au sein de couples dont un membre est séropositif et traité. Si le traitement apporte un bénéfice individuel pour les personnes infectées, en améliorant l'état de santé global et en diminuant la mortalité, il devient donc également capable de réduire  — voire de supprimer — le risque de transmission à autrui. Comment ? En contrôlant rapidement et durablement la charge virale des personnes infectées.

Evidemment, une des conditions est de connaître son statut sérologique. C'est d’ailleurs le premier objectif du plan 90-90-90 de l’Onusida afin de mettre fin à l'épidémie à l'horizon 2030. Favoriser l'accès au dépistage de manière répétée est au cœur de toutes les stratégies visant à réduire le nombre des nouvelles infections. Particulièrement dans les populations les plus fréquemment exposées, comme les hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes, les travailleurs/travailleuses du sexe, les migrants, les usagers de drogues. En France, on estime à environ 6 000 le nombre de personnes découvrant chaque année leur séropositivité et ce chiffre ne baisse plus depuis au moins cinq ans. La recherche a permis de valider plusieurs stratégies de dépistage (autotests, dépistage communautaire), élargissant ainsi la palette des moyens disponibles.

L'urgence de parvenir au deux premiers "90" est réelle

"L'urgence de parvenir au deux premiers "90" est réelle, estime le professeur François Dabis, directeur de l’ANRS. Le délai moyen en France entre infection et contrôle de la charge virale est d'environ 65 mois". Il faut ainsi plus de cinq ans en moyenne pour qu'une personne infectée découvre sa séropositivité, entre dans un système de soins et ait une charge virale contrôlée. Autant de mois et d’années pendant lesquels une personne infectée peut contribuer à la diffusion de l'épidémie en contaminant, par ignorance de son statut sérologique, d'autres personnes. En Afrique Sub-Saharienne on estime qu’en moyenne, seules 45 % des personnes infectées connaissent leur statut et cette proportion varie beaucoup d’une partie de l’Afrique à une autre. L'étude ANRS Tasp réalisée dans une région très fortement affectée en Afrique du Sud avait créé l’événement en juillet 2016 à la conférence mondiale sur le sida de Durban. Pour la première fois en effet, cette étude réalisée en population a montré l'ensemble des défis auxquels nous sommes confrontés pour atteindre les deux premiers "90" d'Onusida et encore plus peut-être le troisième. Si l'acceptabilité d'une offre de dépistage répétée à domicile est en effet bien acceptée par la population, l'accès aux systèmes de soins se révèle insuffisant pour espérer avoir rapidement un impact sur l'épidémie.

L’avancée de la PrEP

C'est grâce aux études américaine, anglaise et française (Iprex, Proud et ANRS Ipergay respectivement) que l'Organisation mondiale de la santé recommande depuis 2015 pour les populations les plus à risque l'usage de la prophylaxie pré exposition (PrEP). D'abord autorisée aux Etats-Unis puis en France, l'usage de la PrEP se répand dans d'autres pays (Norvège, Grande Bretagne, Afrique du sud, Kenya, Maric, etc.). Les recherches doivent s'intensifier afin d'élargir l'usage de la PrEP, comprendre où sont les freins tant au plan structurel qu'individuel. C'est l'objet de l'étude ANRS Prevenir qui, depuis mai 2017, accompagne au plan scientifique les programmes lancés par la Mairie de Paris et en Région Ile-de-France dont l'objectif est de parvenir à "Zéro nouvelle infection".

Une fin du sida possible, mais pas sans vaccin

Cette vision optimiste qui prône que l’on parviendra à briser l'épidémie est partagée de plus en plus par de nombreux responsables politiques et scientifiques. Elle doit être néanmoins modulée. Selon la Pr Françoise Barré-Sinoussi : "Il n'y aura pas de fin du sida possible sans un vaccin préventif, qui devra être mis à disposition des populations vivant dans des régions de forte prévalence et incidence, en particulier pour les personnes les plus vulnérables et les plus exposées". La France participe aux efforts internationaux de recherche fondamentale et clinique (allant jusqu’à la réalisation d’essais chez l'homme). En particulier à travers le programme de recherche du Vaccine Research Institute financé en partie par l'ANRS. La stratégie vaccinale prioritairement suivie dans ce programme repose sur le ciblage des cellules dendritiques.  A ce jour seul l'essai américano-thai RV144 a permis de protéger une petite proportion de personnes (31,2%), donnant un nouvel élan à la recherche vaccinale. Un large essai d'efficacité (HVTN 702) est actuellement en cours en Afrique du Sud auprès de 5 400 volontaires. Les résultats sont attendus en 2021.

Quels enjeux scientifiques pour la conférence de Paris ?

"Il est essentiel de renforcer nos approches en recherche fondamentale dans l'objectif de développer de nouvelles stratégies thérapeutiques pour aboutir à une rémission, tout en avançant en parallèle sur la recherche d'un vaccin, tant préventif que thérapeutique", explique Françoise Barré-Sinoussi. La connaissance des mécanismes liés à la constitution du réservoir et à sa réactivation sont fondamentaux. Pour cibler les réservoirs, les stratégies d'immunothérapie et de thérapie génique seront abordées à Paris. Le partage des données issues d'autres pathologies, avec l'utilisation par exemple de médicaments anti-cancéreux, fait l'objet d'une nouvelle dynamique (un forum consacré à "Persistance du VIH et Cancer" sera d’ailleurs organisé à l'Institut Curie les 21 et 22 juillet par l’initiative IAS "Towards an HIV Cure").  Le rôle des anticorps neutralisants, dans les stratégies thérapeutiques (pour réduire les réservoirs viraux) ou de prévention  sera également discuté dans cette conférence, précise l’ANRS.

Des présentations sur les antirétroviraux attendues

"La conférence de Paris verra un foisonnement de contributions originales dans le domaine des antirétroviraux", selon Jean-François Delfraissy. De nouvelles molécules, de nouvelles formulations (en patchs, à durée d'action longue, etc.) seront présentées. Leur utilisation dans des anneaux vaginaux, à visée préventive donc, sera, par exemple, décrite. Dans les pays du Sud, la priorité est de développer des stratégies de simplification thérapeutique et d'offrir des possibilités de traitements de troisièmes lignes efficaces et adaptées. Pour les pays du Sud également, le traitement des infections opportunistes, responsables d'un taux accru de mortalité chez les personnes vivant avec le VIH, est une urgence que plusieurs équipes s'efforcent de combattre. Elles viendront présenter des données originales à Paris. Parmi les autres données attendues, les hépatites en tant que mono-infection ou co-infection du VIH, seront mises en lumière à travers des études de cohortes ou des essais thérapeutiques.

La recherche opérationnelle, en plein développement, sera un des thèmes structurant la conférence. Des actualités sur les programmes en cours dans différentes parties du monde sont annoncées, tant sur le dépistage, que la prévention (dont la PrEP) et l'accès aux systèmes de soins. "La recherche est de ce point de vue le bras armé des politiques qui se développent dans les pays pour aboutir aux objectifs fixés par l'Onusida de mettre fin à l'épidémie à l'horizon 2030", conclut le directeur de l'ANRS, François Dabis.

(1) : Lancet HIV 2017, published online May 10, 2017
(2) : CD32a is a marker of CD4 T cell HIV reservoir harboring replication-competent provirus. Benjamin Descours, Gaël Petitjean, José-Luis López-Zaragoza, Timothée Bruel, Raoul Raffel, Christina Psomas, Jacques Reynes, Christine Lacabaratz, Yves Levy, Olivier Schwartz, Jean Daniel Lelievre & Monsef Benkirane. Nature, 15 mars 2017.