IAS Mexico 2019 : la réponse au VIH est-elle en crise ?

Publié par Jean Pasteur le 07.08.2019
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ConférencesIas 2019

C’est sur cette question que s’est ouverte la conférence de presse inaugurale de la dixième conférence scientifique de l’IAS, à Mexico, en juillet dernier. Le constat, en effet, peut sembler sombre : si des résultats spectaculaires ont pu être accomplis en matière de réduction des nouvelles infections et de mortalité liée au sida depuis le début de l’épidémie, le dernier rapport de l’Onusida montre comment la réduction des financements disponibles a conduit à un ralentissement de la riposte au VIH, voire à des résurgences dans certains pays et régions.

La conférence IAS de Mexico a été l’occasion de rappeler certaines données particulières de l’épidémie de VIH dans le monde ; des données qui dessinent autant d’enjeux. Ainsi, aujourd’hui, les personnes usagères de de drogues restent disproportionnellement affectées par le VIH dans les pays d’Europe de l’Est et d’Asie centrale. Les jeunes filles représentent les 3/5e des nouvelles infections chez les jeunes de 15 à 19 ans en Afrique du Sud, et les crises humanitaires (nombreuses dans le monde) augmentent le nombre de personnes migrantes en situation de vulnérabilité. Ce dernier point ne manquant pas d’être souligné pour critiquer les « politiques migratoires inhumaines » telles que celles mises en place par l’administration américaine de Donald Trump.

Les barrières, que cette conférence essaie de briser (le thème retenu était « breaking barriers, building bridges ») restent, en effet, nombreuses : stigmatisation des personnes séropositives, discriminations multiples, vulnérabilité toujours grande des populations clés, etc. Et toujours, la question des financements qui restent insuffisants pour un passage à l’échelle des solutions existantes… et l’atteinte de l’objectif de fin de l’épidémie à l’horizon de 2030. Parmi les thèmes abordés se trouve donc naturellement celui de la mise en place de la couverture sanitaire universelle, en intégrant les services de prise en charge du VIH dans les systèmes de santé et en offrant aux personnes vivant avec le VIH une attention à l’ensemble de leurs besoins en santé, mais comme l’ont rappelé plusieurs activistes, cela ne pourra se faire qu’avec des fonds considérables, bien supérieurs à ceux engagés, et sans laisser de côté les populations vulnérables déjà éloignées du soin. La présence de cette conférence en Amérique latine a ainsi permis de mettre en avant la question des peuples autochtones et des discriminations dont ils ont fait et font encore l’objet, soit directement soit par omission.

Un autre constat est celui de la réduction plus lente des décès liés au sida, qui interroge sur la qualité de vie des personnes vivant avec le VIH sous traitement et la prise en compte effective des comorbidités.

Cependant, la conférence est aussi l’occasion de faire le point sur les nouvelles avancées en matière de recherche et le futur possible du traitement du VIH, concernant la thérapie génique par exemple, ou les thérapies permettant d’espacer le nombre de prises des antirétroviraux dans le temps : les stratégies d’allègement et de simplification. La conférence a également été l’occasion pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de publier la mise à jour de ses recommandations concernant les traitements de première et deuxième intentions, et – après une mise en garde l’an passé – de recommander dorénavant le dolutégravir (DTG) pour tout le monde, femmes souhaitant avoir des enfants y compris (les nouvelles études sur le risque associé aux anomalies du tube neural chez le fœtus et l’enfant pour les femmes exposées aux thérapies comprenant du dolutégravir montrent un risque très faible, surtout au regard des bénéfices du traitement).

Cette annonce souligne cependant les difficultés encore aujourd’hui à laisser les femmes choisir librement leur prise en charge, leurs traitements. Les activistes ont également pointé du doigt le coût encore trop élevé du DTG dans de nombreux pays… dont le Mexique.

Par ailleurs, la conférence a permis de consacrer (une fois de plus) la Prep comme moyen efficace de faire réduire drastiquement les nouvelles infections à VIH, et de présenter nombre d’études sur sa réception et ses usages par les populations auxquelles elle a été proposée. L’occasion également de présenter l’étude Prévenir de l’ANRS à laquelle AIDES participe, et dont le Pr. Jean-Michel Molina a présenté de nouveaux résultats, pour montrer l’efficacité de la Prep à la demande, et déconstruire les mythes autour de la Prep comme responsable de l’augmentation des infections sexuellement transmissibles.

L’OMS recommande le dolutégravir
Sur la base de nouvelles données probantes sur les avantages et les risques, l’OMS recommande d’utiliser de préférence le dolutégravir (DTG) comme traitement contre le VIH de première et de deuxième intention pour toutes les populations, y compris les femmes enceintes et celles en âge de procréer, explique un communiqué de presse (22 juillet) de l’institution. « Des études initiales avaient mis en évidence un lien possible entre le DTG et des malformations du tube neural (anomalies congénitales du cerveau et de la moelle épinière qui causent des affections comme le spina bifida) chez des nourrissons nés de mères qui prenaient ce médicament au moment de la conception. Ce problème potentiel d’innocuité a été rapporté en mai 2018 dans le cadre d’une étude menée au Botswana qui a révélé quatre cas de malformations du tube neural sur 426 femmes qui sont tombées enceintes pendant un traitement par le DTG. Sur la base de ces résultats préliminaires, de nombreux pays ont conseillé aux femmes enceintes et aux femmes en âge de procréer de prendre de l’éfavirenz (EFV) plutôt que du DTG. De nouvelles données issues de deux vastes essais cliniques comparant l’efficacité et l’innocuité du DTG et de l’EFV en Afrique ont maintenant étoffé la base de données probantes. Les risques de malformations du tube neural sont significativement moindres que ce que les études initiales ont pu suggérer », indique l’OMS.
Le groupe chargé de l’élaboration des lignes directrices a également examiné des modèles mathématiques des avantages et des inconvénients associés aux deux médicaments, les valeurs et les préférences des personnes vivant avec le VIH, ainsi que des facteurs liés à la mise en œuvre des programmes de lutte contre le VIH dans différents pays et au coût. « Le DTG est un médicament plus efficace, plus facile à prendre et qui engendre moins d’effets secondaires que les autres médicaments actuellement utilisés. Il présente également une barrière génétique élevée au développement d’une pharmacorésistance, ce qui est important étant donné que la résistance aux traitements à base d’EFV et de névirapine tend à augmenter. En 2019, 12 des 18 pays inclus dans une enquête menée par l’OMS ont signalé des niveaux de pharmacorésistance avant traitement dépassant le seuil recommandé de 10 % », indique le communiqué de l’OMS. Toutes les constatations ci-dessus ont conduit à la décision de mettre à jour les lignes directrices de 2019. « En 2019, 82 pays à revenu faible et intermédiaire ont indiqué avoir amorcé une transition vers des schémas thérapeutiques à base de DTG contre le VIH. Ces nouvelles recommandations mises à jour visent à aider davantage de pays à améliorer leurs politiques de lutte contre le VIH.  Comme pour tout médicament, un choix avisé est important. Chaque décision thérapeutique doit être fondée sur une discussion éclairée avec le prestataire de soins afin d’évaluer les avantages et les risques potentiels ». L’OMS souligne également « l’importance de fournir des informations et des options pour aider les femmes à faire un choix éclairé ». À cette fin, l’OMS a réuni un groupe consultatif de femmes vivant avec le VIH issues de divers milieux pour recueillir leurs avis sur des questions d’ordre politique relatives à leur santé, y compris la santé sexuelle et reproductive. L’OMS souligne la nécessité de surveiller continuellement le risque de malformations du tube neural associées au DTG.