Il était une fois les "recommandations suisses"

Publié par Nico-Seronet le 17.07.2014
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ThérapeutiqueTasPavis suisse

Seronet avait déjà rencontré Michèle Meyer en 2008 à l’occasion du Forum des personnes séropositives de Suisse… A l’époque, Michèle était présidente de LHIVE, l’association des personnes vivant avec le VIH en Suisse. Activiste radicale, Michèle fut présente dans les débats qui se sont tenus en Suisse afin d’établir les recommandations suisses que nous connaissons tous, ou presque, sur la non-infectiosité des personnes en traitement. Dans son portrait en 2008, nous évoquions sa participation à la Commission fédérale sur les problèmes liés au sida où elle a été témoin et actrice de ce processus qui déboucha sur l’avis des médecins suisses. L’article se terminait ainsi : "La suite, vous la connaissez !" Effectivement, nous connaissons maintenant la suite, mais qu’en est-il de ce qui s’est passé, avant ? Dans quel contexte ces recommandations, qui ont changé profondément la lutte contre le VIH à l’échelle mondiale, ont-elles été discutées, élaborées, diffusées ? Seronet est allé à la rencontre de Michèle, chez elle, dans le canton de Bâle-Campagne tout proche de la frontière avec l’Allemagne, pour qu’elle partage ses souvenirs et qu’elle nous raconte "son" morceau d’histoire. Récit.

Avant 2007, la non-infectiosité des personnes séropositives qui suivent un traitement antirétroviral est déjà connue. Rendre publique cette information fait partie des objectifs de l’association LHIVE. Michèle Meyer en parlait déjà et l’avait évoqué à plusieurs reprises dans les médias. On lui demandait comment elle avait eu ses filles, elle répondait simplement : "Parce que je ne suis plus infectieuse !". En 2006, elle a l’opportunité de présenter officiellement le projet de LHIVE auprès de la Commission fédérale, de l’Office fédéral de la santé publique et de la principale association de lutte contre le sida : l’Aide Suisse contre le Sida. Elle évoque alors leur volonté d’informer largement sur la non-infectiosité des personnes séropositives.

Déjà, selon elle, la Commission fédérale discute du principe d’établir une recommandation sur ce sujet. Elle pense néanmoins que l’influence de LHIVE à cette époque questionne les autorités, ainsi que la radicalité de ses militants, inhabituelle en Suisse. En 2007, elle est invitée à participer aux travaux de la Commission fédérale et notamment la préparation des recommandations suisses. La Commission prévoit de publier les recommandations dans le "Bulletin des médecins suisses" en janvier de l’année suivante. A ce moment-là, la revue de littérature est déjà faite et il faut une année de discussions pour établir le contenu de ces recommandations "conservatrices". "Conservatrices" selon Michèle, car elles s’adressent aux personnes qui vivent une relation stable, ce qui, d’après elle, est une position "morale" et pas de santé publique. Autre raison de ce "conservatisme", les recommandations évoquent une nécessaire absence d’IST pour pouvoir s’appliquer, une mesure de prudence car les rares données disponibles à l’époque suggèrent que l’influence des IST sur la charge virale sous traitement antirétroviral est modeste - des études menées au niveau rectal et au niveau du sperme - ayant échoué à démontrer un impact significatif.

Enfin, Michèle se rappelle que dans les recommandations suisses, la décision finale appartient à la personne séronégative. Pour elle, c’est une erreur car la décision revient aux deux. Pour elle : aucun n’aurait plus de responsabilité que l’autre, la vulnérabilité n’est pas plus haute pour le partenaire séronégatif vis-à-vis du VIH que pour le partenaire séropositif vis-à-vis d’une IST.

Au sein de cette commission, personne n’avait les mêmes objectifs. Certains veulent en finir avec les rumeurs sur la non-infectiosité et en faire une vraie information. D’autres voient une occasion de lutter contre les discriminations dans une société encore marquée par la peur des séropositifs. Certains veulent communiquer l’information seulement aux patients séropositifs et surtout pas à un large public. D’autres y voient une possibilité de défendre des personnes séropositives injustement inculpées devant des tribunaux pour avoir exposé leurs partenaires sexuels au virus ; quelques uns considèrent, au contraire, que cette information n’a aucune implication juridique. D’autres enfin se voient même finir dans les livres d’histoire…

Finalement, ce n’est pas en janvier 2008 que sortent ces recommandations, mais le 1er décembre 2007. Le Professeur Bernard Hirschel des Hôpitaux de Genève, qui participait également à l’élaboration des recommandations, décide de révéler, seul, publiquement, cette information. Certains membres de la Commission fédéral et notamment de l’Office fédéral de la santé publique sont furieux de cette sortie impromptue et ragent après celui qui "veut les lauriers pour lui seul". Pourquoi entreprend-il de convoquer la presse bien avant la publication officielle ? Parce qu’un de ses patients est accusé dans un procès. Et qu’il pense que l’information sur la non-infectiosité des séropositifs en traitement peut alors être un argument clef dans sa défense. L’annonce faite et les recommandations publiées, ce sera le bal des critiques, comme des cris de joie. Surtout des critiques ! L’équipe suisse ayant travaillé en vase clos, la direction de l’Office fédéral de la santé publique se retrouve avec un grand nombre de pays mécontents. Aucune communication n’est prévue mis à part la publication dans "Bulletin des médecins suisses". Dans le contexte de défiance qui s’installe autour de ces recommandations, LHIVE décide de lancer le "Manifeste de Mexico" lors de la conférence mondiale sur le VIH à l’été 2008, et cela afin de faire entendre la voix des personnes séropositives face à ce changement majeur et devant l’importance que revêtent ces recommandations dans leur qualité de vie. LHIVE n’obtiendra pas de tribune pour porter ce Manifeste lors de la conférence, y compris chez ceux qui présenteront les recommandations suisses. Ce manifeste n’aura que peu d’écho, seule une vingtaine d’associations de par le monde le signeront, ainsi qu’à peine quarante personnes à titre individuel. Le bilan, c’est "presque rien", souligne Michèle, mais elle nuance en ajoutant qu’au commencement : "Ce n’était que LHIVE, alors c’est déjà ça".

En Suisse, en 2008, ces recommandations font débat et sont loin de faire l’unanimité. Michèle se rappelle des réactions négatives des professionnels qui expriment "la peur que disparaisse la peur (du sida)", qu’il n’y ait plus de contrôle en somme. Une étude est même lancée pour suivre l’évolution des comportements préventifs des personnes séropositives… à la suite des recommandations. Il y a aussi la question des implications juridiques. L’Aide Suisse contre le Sida évoque, à un moment, qu’il serait peut-être nécessaire de faire un contrat écrit et signé avant "d’aller au lit". Cela traduit la peur des professionnels qui se retrouvent dans la situation de "conseiller" des séropositifs et questionnent, dès lors, leurs propres responsabilités. A l’inverse, la plus belle réaction dont se souvient Michèle, c’est celle de la vendeuse du kiosque à tabac qui lui a dit : "Je ne comprends pas pourquoi les gens hurlent ainsi, je trouve que c’est trop beau pour vous !" Merci Michèle.

Et un autre jour, en Suisse…
Après ce regard sur le passé, Seronet a interrogé Michèle sur sa vision de la lutte contre le VIH en 2020 à la lumière de l’information sur le traitement comme prévention. D’abord, elle a une crainte : "Celle que les médecins et les autorités de santé décident que les plus vulnérables aient moins de droits que les autres. Par exemple qu’un test de dépistage soit fait systématiquement à toute personne venant d’Afrique subsaharienne, à moins qu’elle ne le refuse explicitement. Ou qu’on mette certaines personnes automatiquement sous traitement "de base" et non individualisé." Michèle craint que la liberté individuelle soit restreinte en favorisant les "bons séropos" qui prennent bien leur traitement, blâmant alors ceux qui n’ont pas le même succès avec leur traitement. De l’autre côté, elle voit une société dans laquelle on sait que les séropositifs ne sont pas "dangereux", que "l’ambiance soit relâchée" et que la stigmatisation soit moindre que par le passé. Elle imagine qu’il soit plus facile de parler de soi et qu’une grande campagne nationale le soutienne. Elle pense que nous aurons toujours de moins en moins de nouvelles infections en Suisse et aussi qu’on parviendra enfin à en finir avec la pénalisation des séropositifs.

Qui est Michèle Meyer ?
Michèle Meyer a un long parcours de militante dans la lutte contre le VIH, s’impliquant dans le milieu des années 90 au sein de l’association PWA Suisse, puis en créant en 2007 une nouvelle association des personnes séropositives de Suisse : LHIVE. Ardente défenseure du principe GIPA, elle est vite incontournable dans les années 2000 lorsqu’il s’agit de faire entendre la parole de celles et ceux qui vivent avec le VIH en Suisse, ou dans l’espace germanophone. Elle n’hésitera pas à se "louer" comme séropositive lors de la conférence mondiale de Vienne en 2010 afin de défendre le principe GIPA (pour une plus grande implication des personnes vivant avec le VIH, parfois perçu comme un principe politiquement correct sans que les personnes soient réellement autorisées à défendre un point de vue de séropositif). En 2007, elle est invitée à participer aux travaux de la Commission fédérale sur les problèmes liés au sida. Puis en 2008, elle est nommée au sein de cette commission pour y siéger jusqu’en 2011. Depuis l’association LHIVE s’est arrêtée. En 2013, Michèle a posé, comme "égérie" du TASP pour la campagne des 30 ans de la Deutsch Aids Hilfe, la principale association de lutte contre le sida en Allemagne.

La Deutsch Aids Hilfe fête ses 30 ans…et le TASP !
La Deutsch Aids Hilfe, principale association de lutte contre le sida en Allemagne, a été créée le 23 septembre 1983. A l’occasion de cet anniversaire, l’association a lancé une campagne de communication publique intitulée “Saviez-vous que...?“ et visant les discriminations vécues par les séropositifs. Travail, prison, santé, intimité, tout y passe. Saluons ici le message adressé avec le visuel, sur lequel nous retrouvons Michèle Meyer et son compagnon, disant à tous les Allemands, et plus encore, qu’il existe un autre "safer sex" et c’est avec le traitement comme prévention. Que cet exemple allemand fasse école en France, en Suisse, au Québec, partout.