Immigration : encore une nouvelle loi !

Publié par jfl-seronet le 13.02.2023
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Alors que les débats sur la nouvelle réforme des retraites battent leur plein, le gouvernement met un nouveau fer au feu avec une énième loi sur l’immigration, l’asile et l’intégration. Pas plus que sur l’autre sujet, le gouvernement n’est parvenu à dégager un consensus sur ce nouveau projet. Nouveau projet qui inquiète les associations de défense des droits des étrangers-ères. Quelles sont les mesures envisagées et les craintes ?

Accélérer les expulsions

C’est l’autre grand chantier législatif du moment, le projet de loi visant à « contrôler l’immigration et améliorer l’intégration. Le texte a été présenté, le 1er février, en Conseil des ministres. Le texte est porté par Gérald Darmanin (Intérieur) et Olivier Dussopt (Travail). Il comprend vingt-cinq articles. L’un des principaux objectifs du texte est d’accélérer les expulsions. Le gouvernement est régulièrement attaqué par la droite et l’extrême-droite sur ce point, notamment la « non-exécution » des OQTF (obligations à quitter le territoire français signifiées par les préfectures). Le gouvernement entend donc « simplifier » (mais dans l’idée, c’est limiter) le nombre de recours contentieux possibles. Il existe actuellement douze possibilités de contester une OQTF, elles passeraient avec le nouveau texte à quatre. Autre objectif, rétablir la « double peine », selon les mots mêmes du ministre de l’Intérieur. L’idée est de créer un régime juridique qui permettrait d’expulser du territoire français une personne étrangère condamnée, même si elle est en situation régulière. Autre piste : « Réduire le champ de protection » contre l’expulsion dont bénéficient certaines personnes immigrées — par exemple, celles qui sont arrivées en France avant l’âge de 13 ans, ou celles qui y résident depuis plus de dix ans. Cette mesure s’appliquerait en cas de menace grave à l’ordre public. Sur le volet « contrôle de l’immigration », la « philosophie » de l’exécutif est le prolongement de celle qui prévalait avec la réforme de l’asile de 2018, conduite lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Gérard Collomb. Autrement dit : examiner plus vite les demandes, limiter les recours et expulser plus rapidement.

Un titre de séjour pour métiers en tension

Le gouvernement a choisi d’atténuer (un peu) le côté teigneux du texte avec un volet « Améliorer l’intégration ». Ainsi le projet envisage de créer un nouveau titre de séjour d’un an pour les personnes travailleuses sans papiers exerçant dans des métiers et secteurs en tension. Jusqu’à présent, rappelle Libération (31 janvier), ces régularisations au motif du travail sont possibles dans le respect des critères, stricts, fixés par la circulaire Valls de 2012 et sur demande de l’employeur-se. Actuellement, face au tollé à droite de la mesure, le gouvernement évoquée des « quotas » dans les métiers concernés. En outre, le projet de loi prévoit la création d’une carte de séjour pluriannuelle « talent-professions médicales et de pharmacie », destinée aux praticiens-nes diplômés-es hors Union européenne, « dès lors qu’ils sont recrutés par un établissement de santé public ou privé à but non lucratif ». Ce titre qui ouvrirait droit à une carte de séjour d’une durée maximale de quatre ans, vise « à répondre au besoin de recrutement de personnels qualifiés de santé » : médecins, dentistes, pharmaciens-nes, sages-femmes. La passe d’armes autour de la création du nouveau titre de séjour « métiers en tension » n’a rien d’anodin car la majorité actuelle a besoin de la droite pour faire adopter son texte ; ce qui n’est pas gagné. À droite, le schéma est simple : on veut une division par deux de l’immigration légale et l’accélération du renvoi des personnes immigrées dites « clandestines ».

Immigration/délinquance : l’amalgame !

L’objectif principal reste bien de « faciliter les expulsions » en premier lieu celles des étrangers-ères déjà condamnés-es « pour des crimes et délits punis de dix ans ou plus d’emprisonnement ». L’exécutif justifie même ce choix au motif (selon lui) que la « part des ressortissants étrangers dans la délinquance représente (…) plus du double de leur représentation dans la population » souligne l’AFP. L’exécutif n’a pas retenu (à ce stade) toutes les mesures envisagées comme celle qui prévoit de délivrer une OQTF aux personnes demandeuses d’asile dès le rejet de leur dossier en première instance, les empêchant ainsi de faire un recours contre cette décision. Par ailleurs, bien que modifié en 2018, l’asile serait de nouveau modifié via une « réforme structurelle ». L’État entend élargir le recours à un juge unique à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) qui statue essentiellement de façon collégiale… Cela permettrait de réduire les délais d’examen des dossiers. La procédure collégiale pourrait être réservée aux « cas complexes » nécessitant une pluralité d’avis. Parmi les mesures imaginées, la création de « chambres territoriales du droit d’asile » ; actuellement la CNDA n’est basée qu’en Île-de-France. Différentes mesures visent « à raccourcir de plusieurs semaines les délais de la procédure ». Enfin, l’exécutif veut « conditionner la première délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle à la maitrise d’un niveau minimal de français ». Aujourd’hui, une simple participation à une formation linguistique est requise. Pour le gouvernement, la mesure vise à « inciter les étrangers qui souhaitent demeurer durablement sur le territoire à se mobiliser davantage dans leur apprentissage du français », afin de « favoriser leur intégration en France ».

Vote en équilibre

Fin janvier, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a présenté aux médias le projet dont il est co-porteur ; histoire de donner l’ambiance. Dans un entretien accordé au Parisien, il expliquait ainsi : « Le gouvernement présentera un texte de 25 articles qui sera très fort. Il prévoit une simplification drastique du droit (…) pour pouvoir mieux expulser ». Et le locataire de la Place Beauvau d’affirmer : « On met fin à la fin de la double peine ! On va pouvoir expulser encore plus d’étrangers délinquants sans leur trouver d’excuses juridiques ». Reste que l’équation politique est complexe pour l’exécutif. Si le gouvernement tire trop à droite — c’est la tendance du moment sur le texte —, il pourrait connaître des difficultés avec les députés-es de l’aile gauche de sa majorité. S’il pousse beaucoup sur le « titre de séjour. Métiers en tension », il s’expose à perdre des voix de droite ; lui empêchant de trouver une majorité pour faire adopter son texte. D’autant que pour des raisons diamétralement opposées l’extrême droite ne votera pas le texte, tout comme la Nupes. Le projet de loi sera d’abord débattu au Sénat où il a été déposé le 1er février dernier. La sénatrice (LR) Muriel Jourda et le sénateur (Union centriste) Philippe Bonnecarrère en sont les rapporteur-e-s. Le texte passera ensuite en discussion à l’Assemblée nationale. À suivre.

 

La Cimade critique le projet de loi
Dans un communiqué, la Cimade dénonce un texte qui « ne répondra pas à la détresse des personnes étrangères et s’emploiera à les plonger encore davantage dans une vie aux conditions inhumaines ». « Sans surprise le texte ne parlera pas des dizaines de milliers de personnes mortes ces dernières années aux portes de l’Europe sur les routes de l’exil, dont certaines à nos propres frontières. Il ne mentionnera pas les égarements des préfectures qui, hors de tout discernement, décident l’enfermement de personnes en besoin de soins, la délivrance d’OQTF à des personnes syriennes, afghanes, iraniennes… ou encore l’exécution d’expulsions hors de tout cadre légal. Rien non plus sur la nécessité de défendre les idées d’hospitalité et de solidarité, à l’heure où l’extrême-droite est à l’offensive pour faire échouer, comme à Callac, des projets d’accueil de personnes exilées. Ni rien sur l’importance d’affirmer haut et fort le respect du droit d’asile au moment où l’inacceptable projet britannique d’externalisation au Rwanda marque le débat européen », critique Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de La Cimade. Et de tacler : « Il est dramatique de voir à quel point, pour trouver une majorité politique permettant l’adoption du texte, la surenchère est déjà de mise. Obsession pour l’enfermement, les expulsions, stigmatisation des personnes étrangères à travers l’assimilation immigration/délinquance, assurance que la timide ouverture proposée autour des régularisations sur les métiers en tension restera bien marginale… Tout est fait pour que la spirale de la restriction des droits des personnes exilées se poursuive, que les drames continuent à nos frontières et sur notre sol, que les idées d’extrême-droite, que l’on prétend combattre en y répondant sur leur propre terrain, soient au final renforcées. Nous n’avons pas besoin de cet énième texte répressif. Nous avons besoin de justice, d’égalité et de solidarité. Nous avons besoin de hauteur de vue, d’exigence éthique et de courage face aux peurs, pour reconnaître et expliquer les migrations comme composante essentielle de notre monde, pour affirmer qu’il n’y a pas de « en même temps » qui tienne en matière de droits humains, mais un nécessaire respect qui n’est pas négociable ».

 

Tout savoir sur la future loi asile et immigration
Pour celles et ceux qui souhaitent suivre de près la genèse de la nouvelle réforme du gouvernement sur asile et immigration, on vous recommande de suivre la rubrique mise en place par le Gisti. On y trouve les différentes versions du texte qui ont circulé depuis l’été 2022, ainsi qu’une liste non exhaustive d’articles de presse, etc. Mise à jour au fil de l’actualité, cette page sera complétée au fil de l’eau avec des avis d’autorités indépendantes, mais aussi des communiqués et analyses d’organisations militantes. À suivre.