"J’ai été choqué par la réaction de certains thanatopracteurs"

Publié par Mathieu Brancourt le 12.09.2017
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Interviewsoins funérairesthanatopraxie

"Le bon sens". C’est ainsi que Damien Comandon, président d’Hygeco, groupe européen qui emploie des thanatopracteurs, explique son soutien aux soins funéraires pour tous. Face à l’opposition de certains professionnels, il assure de son côté que son entreprise appliquera le décret levant l’interdiction de la thanatopraxie pour les personnes avec le VIH ou une hépatite virale décédées. Selon lui, les nécessaires bonnes conditions d’hygiène ne doivent pas être un prétexte au maintien d’une discrimination.

Pouvez-vous présenter Hygeco et expliquer sa position dans le milieu des soins mortuaires et de la thanatopraxie ?

Damien Comandon : Le groupe Hygeco, qui existe depuis 130 ans, est un leader des produits et des services dans les domaines funéraire et médical. Ses métiers s’articulent autour de trois activités principales : le transport de corps et la réalisation de soins de thanatopraxie en France — environ 130 000 soins et toilettes mortuaires sont réalisés chaque année — la distribution de produits funéraires en Europe ainsi que la conception de laboratoires d’autopsie et de chambres mortuaires, que nous livrons dans le monde entier. Hygeco et son dirigeant de l’époque, Jacques Marette, ont importé la thanatopraxie d’Angleterre dans les années 60 en France. Nous avons également créé la première école de thanatopraxie en France : l’Institut français de la thanatopraxie. Nous comptons environ 180 thanatopracteurs salariés et nous sommes en recrutement permanent. Notre présence à l’international nous permet d’évaluer l’évolution des pratiques tout en apportant notre support technique à une école de thanatopraxie en Roumanie ou en formant des thanatopracteurs portugais.

Vous avez adressé votre soutien à Jean-Luc Romero-Michel, à la suite de sa pétition défendant l’accès aux soins funéraires pour les personnes séropositives, un soutien rendu public par Elus locaux contre le sida. Pourquoi avez-vous souhaité prendre position sur ce sujet ?

J’ai été choqué par la réaction de certains thanatopracteurs à vouloir contester une loi qui est le fruit d’années de concertation. Je crois que c’est dû à un manque d’information sur le sujet. Aujourd’hui, les arguments en faveur de la levée de l’interdiction sont pléthoriques. C’est le bon sens qui m’a poussé à soutenir Jean-Luc Romero-Michel. Nos collaborateurs interviennent depuis de nombreuses années dans des contextes où ils ne peuvent pas connaître la sérologie potentielle des défunts — et je ne parle pas ici seulement du VIH bien sûr — lorsque le médecin qui déclare le décès n’en a pas la connaissance. On cite souvent le chiffre de 25 000 personnes atteintes du VIH sans le savoir. Mais combien de médecins délivrent des certificats de décès à des personnes dont ils ignorent tout ? Ce qui m’indigne le plus en lisant la pétition rédigée par le SPTIS [Un syndicat de thanatopracteurs en première ligne contre les soins funéraires pour les personnes séropositives, ndlr] est qu’il prétend que "pratiquer des toilettes mortuaires, un acte qui est identique au soin (…) permet de se recueillir dans les mêmes circonstances auprès du défunt". Ceux qui connaissent la différence de résultat et de bénéfice pour les familles entre une toilette mortuaire et un soin de thanatopraxie savent de quoi je parle.

Cela signifie-t-il que Hygeco s’engage, avec ses thanatopracteurs, à appliquer le nouveau décret, publié fin juillet, par la ministre de la Santé et pratiquer les soins funéraires sans distinction du statut sérologique ?

Hygeco est une maison sérieuse qui respecte les lois et leurs décrets. Et puis, objectivement, pour ne pas l’appliquer, faudrait-il pouvoir avoir la sérologie du corps sur lequel le thanatopracteur doit intervenir. C’est une indication qui relève du secret médical. Le médecin qui déclare officiellement le décès ne peut communiquer cette information aux professionnels du funéraire. J’espère que les détracteurs de cette évolution n’imaginent pas justifier un droit de retrait pour une suspicion de VIH/sida au prétexte qu’une photo de deux hommes enlacés se trouve à côté du défunt…

On a vu une levée de bouclier de certains thanatopracteurs, refusant la levée de l’interdiction, expliquant que le risque professionnel demeurerait trop élevé, malgré les preuves scientifiques contraires. Comprenez-vous cette polémique et pourquoi, de votre côté, soutenez-vous la fin de l’interdiction ?

Je crois qu’il faut être à l’écoute des praticiens et de leurs inquiétudes. Et mettre en place les moyens d’information et de protection nécessaire et suffisante pour apaiser le débat, et surtout leur permettre d’exercer leur métier dans de bonnes conditions. Ce point est pour moi le vrai sujet. Si vous intervenez dans un laboratoire correctement équipé vous ne vous exposez pas aux mêmes risques que lorsque vous intervenez à domicile. Je pense qu’en ce sens la loi Santé et le décret ne vont pas assez loin. Il devrait y avoir une interdiction des soins à domicile — ce qui n’exclue pas la présentation du défunt après le soin au domicile — au lieu de l’autoriser dans des conditions que ne sont pas réalistes, bâcher les murs non lessivables par exemple (1).

Craignez-vous, qu’au sein même de vos collaborateurs, une crainte émerge sur la pratique des soins de conservation sur les personnes séropositives ? Qu’allez-vous concrètement mettre en place comme dispositif pour appliquer cette mesure ?

Plutôt qu’une crainte, je pense que cela va réveiller chez ceux qui l’avaient oublié la réalité de tout risque de contamination biologique. A nous de leur rappeler les bonnes pratiques, de leur donner le matériel adéquat et faire notre maximum pour qu’ils puissent exercer dans de bonnes conditions.

Propos recueillis par Mathieu Brancourt

(1) : une analyse juridique proposée par Lisa Carayon, maîtresse de conférence en droit à l’Université Paris 13, publiée le 7 septembre dans la "Revue des droits de l’Homme" donne des informations précises à ce sujet.