Jeanne Gapiya : "J’ai très peur pour les malades burundais"

Publié par Rédacteur-seronet le 30.07.2015
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Politiquecrise politique

Le Burundi, pays d’Afrique australe, vit en ce moment une grave crise politique qui l’a plongé dans un chaos sanitaire. Il est très difficile d’avoir des informations sur la situation des personnes vulnérables, comme les personnes séropositives. Jeanne Gapiya, présidente de l’ANSS, principale organisation de lutte contre le VIH du Burundi, n’a toujours pas pu rentrer dans son pays depuis début mai. Pour Seronet, elle partage les quelques nouvelles qu’elle obtient en direct du terrain. Figure militante, Jeanne Gapiya ne cache pas son angoisse sur ce qu’on lui rapporte, et malgré les propos "rassurants" du gouvernement. Interview.

Quelle est la situation, à la suite des événements politiques graves au Burundi, pour la population et tout spécialement les personnes vivant avec le VIH, en termes d’accès à la santé et aux soins ?

Jeanne Gapiya : La situation est tellement compliquée que la prise en charge des personnes vivant avec le VIH ou l’accès aux médicaments n’est même pas le principal enjeu. Cette crise, c’est une situation de danger permanent, qui met un très grand nombre de Burundais dans un état psychologique déplorable. Pour les personnes séropositives, c’est encore plus difficile à vivre. Aujourd’hui, nous ne savons pas de façon précise comment les personnes vivent et les implications psychologiques que le chaos actuel aura par la suite sur elles.

L’ANSS se trouve à Bujumbura [la capitale, ndlr], où ont eu lieu beaucoup de manifestations. Mais l’association a également une antenne dans le Nord, à Kirundo, à la frontière du Rwanda. C’est par là que de nombreuses personnes ont fui le pays à cause des attaques des milices du parti au pouvoir. Nous avons une autre antenne au Sud, à Makamba. Là-bas, les personnes se sont rendues en Tanzanie frontalière. Parmi ces réfugiés, il y a des personnes accueillies à l’ANSS. On nous a rapporté le début d’une épidémie de choléra sur place. Je ne sais pas si cette situation touche également des personnes soignées par l’association et je suis très inquiète. Au Nord près de Kirundo, nous avons pu connaître le nombre de personnes séropositives dans le camp de réfugiés situé au Rwanda. Environ 220 personnes ont été recensées, mais nous savons que d’autres n’ont pas osé déclarer leur statut. Ces malades n’ont plus de traitements depuis plus d’un mois et vivent dans des conditions matérielles et sanitaires très difficiles. Malgré nos demandes pour un accès rapide aux traitements vitaux aux personnes, nous constatons sur place que rien n’est fait à ce jour.

A Bujumbura, certes le quartier où sont situés nos locaux est relativement calme, mais lorsque nos membres ou le staff de l’association vivent dans d’autres quartiers où il y a des barricades, ils ne peuvent plus venir. L’équipe présente essaye de faire de son mieux, avec un "service minimum". Mais dans un contexte où les policiers peuvent tirer à balles réelles sur les manifestants, les gens ne sortent plus, alors qu’ils n’hésitaient pas à franchir nos murs auparavant. Le pire concerne les jeunes, particulièrement ciblés par la police, car supposés dangereux. Ces jeunes, parfois séropositifs, ne peuvent plus venir de leur quartier jusqu’à l’ANSS sans risquer d’être blessés voire tués.

L’ANSS s’occupe également d’un refuge d’orphelins, dont certains sont séropositifs, appelé La Maison de la joie. Quelle est la situation actuelle de ces enfants ?

Nous avions, en effet, un orphelinat appelé Maison de la Joie dans un des quartiers de la capitale où les affrontements et les coups de feu ont lieu de nuit comme de jour. Les enfants, sont, au-delà de la maladie, terrorisés et c’était très dur de les voir dans une telle insécurité. Certains ont même été emmenés dans d’autres quartiers par certaines familles de nos membres. Grâce à Dieu, nous avons pu les évacuer ensuite dans une maison prêtée par une famille. Elle n’est pas salubre, pas en état pour recevoir autant d’enfants. Mais elle nous apporte la sécurité. Nous y restons, car contrairement à ce qu’on entend, notamment en France, des gens meurent tous les jours au Burundi.

En quoi ce conflit vous inquiète-t-il à long terme pour la vie de vos membres et des malades burundais ?

Dans les communes de Bujumbura, un problème économique prend de l’ampleur. La grande majorité de nos membres n’avait pas de revenus. Mais nous étions arrivés à les mobiliser, à les inciter à se prendre en charge. Nous les avions rassemblés, formés et associés pour mettre en place des micro-projets de commerces de quartier. Cette micro-économie commençait à porter ses fruits. Au-départ, nous injections un peu d’argent. Avant la crise, nous avions réussi à ce que les personnes ne dépendent plus de nos dons alimentaires et subviennent elles-mêmes à leurs besoins. Cela permettait de nous concentrer sur les seuls orphelins ou ceux qui avaient prioritairement besoin de cette aide alimentaire. Aujourd’hui, tout ce processus est à l’arrêt. On me rapporte que des personnes ne mangent plus à leur faim, que beaucoup ont maigri, qu’elles vont très mal. J’ai très peur pour mon pays et les personnes malades.

Jusque ici, nous avons des traitements, mais nous ne connaissons pas du tout les stocks disponibles. Tout est provisoire. Alors que l’on pourrait donner plusieurs mois de traitements pour éviter que les personnes vivant avec le VIH soient obligées de sortir de chez elles et de revenir vers l’association. Le ministère de la Santé prétend que tout va bien, reprenant le credo du gouvernement, alors qu’il y a des morts chaque jour. Ils peuvent dire que tout va bien, mais ils ne reçoivent pas les appels des personnes sur le terrain. Ce ne sont pas eux qui doivent entendre la crainte et la peur des enfants de la Maison de la Joie. Pourtant, ce qui se passe, le gouvernement le sait. Mais personne n’est venu nous aider. Quand je prends la parole pour le dénoncer, on me dit même que j’ai tort. Pourtant je sais que rien ne va et j’ai très peur pour les malades.

Je ne suis pas au Burundi en ce moment, mais j’ai du mal à vivre cela. Moi, je peux dormir sans entendre des tirs ni craindre d’être suivie. Je me mets à la place de ces personnes et je sais le dénuement total dans lequel elles vivent. Si les choses perdurent, nous allons perdre tout ce que les personnes vivant avec le VIH ont gagné. Elles arrivaient à vivre normalement en prenant leur traitement, comme pour une maladie chronique. Tous ces progrès, nous sommes en train de les perdre.

Propos recueillis par Mathieu Brancourt le 13 juin 2015