A la charge pour les 3e lignes et en ligne pour la charge... virale

Publié par olivier-seronet le 02.04.2010
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charge viraleCasa 2010
L'un des débats cruciaux de la 5e conférence VIH/sida de Casablanca a tourné autour de l'élargissement de l'offre thérapeutique et de l'accès aux examens de mesure de la charge virale. Dans certains pays d'Afrique, les programmes antirétroviraux sont en place depuis plusieurs années. Un certain nombre de personnes malades sont résistantes aux premiers traitements proposés et la palette thérapeutique reste limitée. S'il existe souvent une deuxième ligne de traitements (des molécules plus récentes), se pose maintenant la question de l'accès à une troisième ligne mais aussi à la charge virale.
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Alternatives thérapeutiques
Quand un traitement ne fonctionne plus pour une personne, il faut pouvoir en changer. Mais changer de traitement à un coût, souvent intenable tant les prix des labos sont élevés, pour les programmes de prise en charge des nouvelles molécules, toutes brevetées, non disponibles sous forme générique comme c'est le cas pour les traitements de premières lignes. Actuellement, le coût des médicaments augmente considérablement de la première à la deuxième ligne, de la deuxième à la troisième pesant d'un poids considérable sur les finances des associations qui ne sont pas extensibles. La deuxième ligne est de 8 à 17 fois plus chère que la première. Les 3e lignes sont 25 fois plus coûteuses.

Médecin Sans Frontières qui a mis en œuvre plusieurs programmes d'accès aux antirétroviraux au Sud estime qu'il y a maintenant près de 19 % des personnes qu'il suit qui sont en échec thérapeutique avec leurs traitements de deuxième ligne.
Les nouvelles molécules étant chères, il est alors vital de pouvoir conserver le plus longtemps possible le traitement initial. Ce qui implique d'atteindre un niveau d'observance optimal, et d'avoir à disposition des molécules les plus aptes à rester fonctionnelles même si cette observance n'est pas idéale.

Mais aussi suivi virologique
S'ajoute un deuxième problème, celui du coût des techniques de mesure de charge virale, et même de la disponibilité des tests génotypiques permettant de surveiller l'apparition de résistances aux traitements. La charge virale permet de savoir si une personne est en échappement thérapeutique (le traitement ne fonctionne plus pour elle), si elle a besoin d'un nouveau traitement, puis de savoir si ce nouveau traitement fonctionne correctement. Le test génotypique permet de savoir à quelles résistances correspond l'échec thérapeutique.

Selon Gilles Brücker, directeur du programme Esther (une initiative française visant à favoriser l’échange entre hôpitaux du Nord et du Sud pour l’accès aux soins des personnes vivant avec le VIH), "de tous les examens, celui de la charge virale est de très loin le plus important, mais se pose alors la faisabilité de cet examen qui représente une organisation technique lourde, du circuit de prélèvement et un coût élevé. L'objectif serait de pouvoir fournir à tous les patients l'accès à la charge virale."

Benjamin Coriat, économiste de la santé, a présenté les bénéfices d’avoir une mesure de la charge virale en terme économique et humain. Avoir accès à la charge virale, c’est permettre un meilleur suivi des patients, d’anticiper le besoin de changement de traitement, limiter la survenue d’échecs thérapeutiques, économiser les frais d’hospitalisation et prolonger, sauver des vies.

S'il a été possible pendant plusieurs années de traiter en Afrique les séropositifs sans mesure de charge virale, et parfois même de comptage des CD4, il apparaît de plus en plus aux experts que cette situation doit impérativement changer. Certains médecins africains déclarent que s'ils doivent choisir entre mesure des CD4 et charge virale, ils choisissent la charge virale qui leur est plus utile. Selon le docteur Blondin Diop, exerçant au Tchad, "On a de plus en plus de situations émanant de recommandations, le traitement précoce, le désir d’enfant, ... toutes ces situations qui sont des avancées, dont le corollaire est la mise en place d’outil de mesure de charge virale pour faire courir moins de risques"... La charge virale n'est plus un luxe, il faut qu'on l'ait".


Un combat à mener

Comme l'a rappelé la virologue Christine Rouzioux, le marché des tests de charge virale est très concentré. Il est verrouillé par quelques fabricants dont Roche qui détient 50 % du marché. Les machines proposées par ces fabricants sont excessivement coûteuses pour les pays du Sud (100 euros la mesure), à la fois par l'équipement, mais aussi le petit matériel dont les réactifs. Ce sont des systèmes fermés, c’est à dire qu’ils ne permettent que de faire que de la charge virale. Ils sont protégés par de multiples brevets qui implique une situation de dépendances face à ceux qui dominent le marché. Pourtant, il existe des alternatives, avec des systèmes ouverts, qui outre la charge virale, peuvent aussi être utilisés pour d'autres maladies (varicelle, grippe...). Mais pour que ce marché se développe, il est important que celui-ci ne soit pas verrouillé par les fabricants des systèmes fermés.

Experts de santé publique, médecins, mais aussi militants associatifs sont tous d'accord pour le besoin d'un plaidoyer plus vigoureux : il faut ouvrir les marchés du Sud aux formules génériques des traitements de troisième ligne et promouvoir des technologies ouvertes de suivi virologique (et pas des systèmes commerciaux verrouillés et sans concurrence). Et puis, parce que tout à un coût, il faut revoir les systèmes de financements internationaux pour qu'il n'y ait pas de financements de médicaments de deuxième ou de troisième ligne sans financements de la charge virale, de la formation des techniciens qui vont utiliser les machines. Enfin, il faut favoriser à tout prix la gratuité totale de l'accès aux traitements, gage d'une bonne observance, pour que les personnes malades puissent conserver le plus longtemps possible la même ligne de traitement efficace.

Crédit photo : Université du Luxembourg