La PreP dans tous ses états

Publié par Mathieu Brancourt et Bruno Spire le 16.02.2017
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ConférencesCroi 2017

Mercredi, c’est prophylaxie ! Le programme de la seconde journée officielle de la Croi (la troisième dans les faits) a été le théâtre d’une multitude de présentations sur l’intérêt, les enjeux et les limites du traitement prophylactique en prévention d’une contamination. Et pas seulement pour le VIH, mais pour les autres IST, en forte hausse. Aussi, le discret mais fondamental microbiote (flore microbienne dans les différentes muqueuses) est fruit de recherches passionnantes sur son rôle dans l’infection par les IST. Plusieurs chercheurs ont travaillé à une nouvelle façon de connaître et donc prendre soin de notre microbiote, au pouvoir plus grand qu’il n’y parait. Voici une sélection des travaux dont les conclusions permettront certainement de mieux répondre aux IST, quelles qu’elles soient.

Pas de frontières pour la PrEP ?

Cette session, ainsi intitulée, comportait des choses intéressantes, notamment sur les modes de dispensation des programmes de PrEP. Aux Etats-Unis, il y a eu 738 % d’augmentation de l’utilisation de la PrEP entre 2012 et 2016. Cependant les hommes noirs américains ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes et les jeunes gays restent sous-représentés, tout comme les femmes hétérosexuelles. Des applications mobiles permettent d’identifier les lieux de prescription autour de soi, de 1 à 80 miles selon les villes (un mile=1 609 mètres). Mais la couverture moyenne en PrEP représente 5 à 10 % seulement des attentes. Les barrières identifiées se situent sur l’envie même de prendre la PrEP, les barrières d’accès, mais aussi l’engagement du prescripteur à la délivrer et enfin l’observance au suivi. Des lors, des initiatives ont fleuri pour tenter de répondre à ces obstacles :

● On a pu démontrer la faisabilité d’une offre en pharmacie de ville pour délivrer, accompagner et suivre des utilisateurs de PrEP en suivant les recommandations officielles. Ainsi, 245 participants sous PrEP ont été accompagnés dont 84 % sont des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes. Un médecin était affilié à la pharmacie. Cette initiative démontre la possibilité d’un suivi de PrEP ailleurs que dans un centre médical classique.
● La faisabilité du dépistage dans les guichets des pharmacies américaines a été testée en Virginie : on a offert un test rapide dans 32 pharmacies du réseau Walgreens dans les villes les plus pauvres. On a pu démontrer une prévalence du VIH de 0,8 % sur plus de 3 000 tests réalisés, en particulier chez les Noirs américains et les Latino-américains, et ceux qui n’avaient jamais été testés auparavant. Le taux d’orientation vers la PrEP et les services de soins pour les personnes dépistées séropositives est supérieur chez les patients dépistés dans ce contexte par rapport aux consultations médicales ou à l’offre des associations.
● Une étude a évalué les connaissances des pharmaciens sur la PrEP au Nebraska et dans l’Iowa et leur volonté de s’impliquer dans des programmes de PrEP. Moins de la moitié connaissait la PrEP, la majorité était favorable à leur implication dans des programmes, mais exprimait un besoin de formation et de compensation financière.
● Des messages SMS ont été envoyés aux participants des programmes PrEP à Seattle (automatiques ou interactifs). Une étude a pu démontrer que les participants qui choisissent de rentrer dans ce programme par SMS sont plus susceptibles de bien suivre leur prise en charge de PrEP.
● Une brève intervention de prévention sur les pratiques augmente l’observance à la PrEP. Une première séance était centrée sur la qualité de vie sexuelle, la seconde plus centrée sur la motivation et l’observance à la PrEP. Les participants qui ont reçu au moins une séance ont plus souvent du Truvada dans le plasma, ce qui témoigne d’une meilleure observance que ceux qui n’ont suivi aucune séance.

Résistance au cabotégravir

Les macaques ont servi de modèle animal pour évaluer le risque de résistance au cabotégravir, une nouvelle anti-intégrase en injection longue durée qui pourrait être utilisée en PrEP. Un virus résistant peut apparaître quand la PrEP est prescrite chez une personne en primo-infection au VIH. Des macaques ont été infectés par du virus, et on leur a injecté du cabotégravir. On a pu observer l’apparition d’une souche résistante dans le plasma et dans les liquides sexuels, avec des mutations qui compromettent l’utilisation future de toute la classe des anti-intégrases. Des mutations qui peuvent, par la suite, se transmettre. Ces résultats confirment qu’il est indispensable de s’assurer de la non-infection par le VIH avant d’initier une PrEP.

Traiter la syphilis à l’ère de la PrEP

Il y a une augmentation constante de la syphilis chez les hommes depuis 2000 aux Etats-Unis. Ces cas concernent 82 % d’hommes, dont 90 % sont des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH). Ces données sont similaires dans d’autres pays d’Asie ou d’Amérique latine. Mais la prévalence a diminué dans certaines villes américaines depuis 2011. Une étude montre une augmentation de la syphilis chez les HSH à faible risque pour le VIH. Les modes de rencontres ont changé et les pratiques sexuelles aussi, avec l’utilisation de la réduction des risques pour le VIH (Tasp), mais pas forcément adaptée à la syphilis. La PrEP pourrait théoriquement favoriser la reprise des cas de la syphilis mais cela ne s’est pas vu dans l’essai Proud en Angleterre. Les solutions contre les IST sont donc de promouvoir un dépistage répété et/ou l’utilisation du préservatif. Il faut diagnostiquer les syphilis oculaires, rares mais graves. Il faut intégrer la prise en charge des IST dans la prévention du VIH, ce qui n’est pas toujours le cas aux Etats-Unis. La notification des partenaires, avec l’exemple de la Colombie britannique (Canada) s’est montrée assez peu efficace jusqu’à présent. Le dépistage des IST doit aussi être un moyen de proposer la PrEP. Il faut repenser l’utilisation du préservatif dans une approche non binaire, hors du "tout le temps" ou "jamais".

Un essai de traitement post-exposition orale pour les IST en France

La doxycycline, un antibiotique, a été testée comme traitement post-exposition des IST. Une sous-étude a été mise en place pendant la phase ouverte de l’essai ANRS-Ipergay, où 232 participants étaient répartis au hasard, pour prendre deux comprimés de doxycycline, ou un placebo, entre 24 et 72h après le rapport sexuel. Les résultats sont mitigés et partiellement protecteurs. Au total, on diminue par deux le risque, toutes IST confondues. Cela ne fonctionne pas pour les infections par le gonocoque, mais réduit de 70 % le risque d’infection pour les chlamydiae et presque de 75 % pour la syphilis. Ces résultats ne permettent cependant pas encore de recommander cette stratégie.

L’impact du microbiote sur le VIH et les IST

Le microbiome vaginal a un rôle sur l’infection au VIH. La vaginose bactérienne (infection bactérienne du vagin) est courante chez les femmes vivant avec le VIH. Elle est également plus fréquente chez les femmes à haut risque d’infection au VIH en Afrique. La flore microbienne a été caractérisée chez des femmes sans infection. Le lactobacillus est l’élément le plus fréquent, qui protège des infections en abaissant le pH (acide) vaginal. En revanche, des mauvaises bactéries ont été identifiées, élevant le pH jusqu’à augmenter par 13 le risque d’acquisition. Une méta-analyse a montré une plus grande variété bactérienne chez les femmes à haut risque, quatre espèces de bactéries qui ont été associées à un risque d’acquisition plus élevé du VIH. Cependant, on peut penser que ce sont les rapports non protégés qui entraînent à la fois la vaginose bactérienne et le VIH. Plus de recherches seront nécessaires pour démêler ces deux facteurs intriqués. On peut traiter la vaginose bactérienne par des antibiotiques, utilisables en cures régulières orales ou vaginales ou des probiotiques (on introduit des bonnes bactéries). Cependant, peu d’études ont pu mesurer l’impact de ces interventions sur la flore vaginale. Il est nécessaire de savoir quelles bactéries doivent être éliminées pour diminuer le risque d’infection par le VIH.

La PrEP quotidienne reste efficace chez les femmes ayant un microbiote vaginal anormal

On sait que la PrEP quotidienne orale est efficace chez les femmes qui prennent bien leur traitement. Cependant, en Afrique il y a très souvent des vaginoses bactériennes ou des modifications anormales de la flore vaginale qui pourraient compromettre l’efficacité de la PrEP, comme suggéré dans les essais de microbicide de gel de ténofovir (les essais Caprisa et Aspire). L’étude questionnait si cette variation du microbiote vaginal pouvait influer sur l’efficacité de la PrEP orale. Une étude a analysé de nouveau l’essai Partners PrEP, dans lequel la PrEP était donnée aux partenaires négatifs de couples sérodifférents. Il n’y a pas eu d’impact des vaginoses bactériennes ou des modifications de la flore vaginale sur l’efficacité de la PrEP pour réduire les contaminations. Le traitement de ces anomalies n’a pas non plus eu d’impact sur l’efficacité de la PrEP.

Le microbiote influe sur les concentrations vaginales de ténofovir

Cette étude creuse la recherche de l’information précédente, et s’intéresse à l’impact de la flore vaginale anormale sur l’efficacité du ténofovir en gel microbicide. L’étude a testé la relation entre les concentrations vaginales de ténofovir et la composition de la flore vaginale chez des femmes séronégatives sans IST symptomatiques. Certains germes associés à la vaginose bactérienne font baisser les concentrations de ténofovir dans le vagin et dans le plasma, six jours après une application quotidienne et aussi dès 2 heures après une seule application. D’autres germes physiologiques présents normalement chez les femmes séronégatives favorisent, au contraire, les concentrations élevées de ténofovir. Ces résultats pourraient expliquer les échecs des stratégies de microbicide de ténofovir chez les femmes. D’autres études devront le confirmer.

Rôle des germes anaérobies péniens pour l’acquisition du VIH

La composition des germes du pénis a été étudiée au cours du temps auprès d’hommes non circoncis s‘étant contaminés ou non. Certaines bactéries anaérobies (se développant sans oxygène, ici sous le prépuce) et la concentration en Interleukine 8, un marqueur inflammatoire, sont associées aux séroconversions. Cette étude explique les mécanismes biologiques liés à l’effet protecteur de la circoncision, qui élimine de fait ces bactéries. Elle suggère que d’autres interventions anti-bactériennes pourraient être expérimentées en prévention.